« Victime de harcèlement sexuel et de l’inaction de l’administration, j’ai fini par quitter l’hôpital public » - Témoignage

Elsa P. raconte le sexisme et le harcèlement sexuel subis de la part de son supérieur hiérarchique à l’hôpital.
Jonathan Kirn / Getty Images Elsa P. raconte le sexisme et le harcèlement sexuel subis de la part de son supérieur hiérarchique à l’hôpital.

TÉMOIGNAGE - Lorsque j’ai été embauchée à l’hôpital, j’ai très vite été mise au parfum de l’ambiance dans laquelle j’allais évoluer au sein de mon service. J’ai tout de suite remarqué qu’il y avait de nombreuses blagues qui ne volaient pas haut, salaces, sexuelles, sexistes. Et on m’a dit : « Ici, il faut avoir de l’humour. L’ambiance est comme ça. »

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À peine arrivée, mon chef de service, médecin, a commencé : « Celle-là, il va falloir qu’on s’en occupe bien ! » C’était oppressant, je me suis sentie très vite mal à l’aise. Je veux bien rire, avoir du second degré, mais bon. Rigoler avec mes collègues, c’est déjà une chose, mais avec un chef hiérarchique, c’est encore différent. Sur le coup, je me suis dit : « Dans quoi je débarque ? »

Au début, je ne le côtoyais pas trop souvent, donc ça allait à peu près. Mais dès que j’avais besoin de lui dans le travail, il se sentait indispensable et se présentait en grand seigneur tout-puissant. Il me lançait un regard plein de sous-entendus, en disant : « Comment ça, tu as besoin de moi ? Ne me dis pas des choses comme ça, tu sais que tu vas me tenter. » Et ce n’était que le début.

« Y’en a de la phéromone, ça sent la femelle, ici »

Dès qu’on avait affaire à lui, ça ne loupait pas. Si on mettait des shorts l’été, quand il faisait chaud, on entendait : « Ah bah vous savez comment me faire plaisir. Ça va m’émoustiller, je ne vais pas tenir en place. » On m’a dit : « Il est comme ça, il faut faire avec. C’est le côté médical qui veut ça. » Dans le service, il y avait deux réactions différentes. Certaines personnes en rigolaient et en jouaient aussi, mais pas au même degré. Et d’autres levaient les yeux au ciel.

Quand j’ai demandé à évoluer dans mon poste, il m’a répondu : « Ça tombe bien, j’ai fait du tri sous mon bureau, maintenant tu sais ce qu’il te reste à faire. » Je suis restée estomaquée. Autre exemple : un jour, il est entré dans la pièce où j’étais avec trois collègues femmes et il a dit : « Y’en a de la phéromone, ça sent la femelle, ici. » Je lui ai fait comprendre que j’en avais marre. Mais il a continué à faire ses « blagues » et quand j’étais là, il disait : « Oui, je sais, avec Elsa, c’est compliqué, on ne peut pas rire avec elle. »

Avant moi, l’une de mes collègues est montée au créneau et a signalé ces faits à l’administration. On lui a alors répondu qu’entre la crise économique et la pénurie de médecins, on ne pouvait pas se permettre de faire des vagues, car cela allait impacter le fonctionnement de l’hôpital. Ça s’est retourné contre elle, ils l’ont poussée à partir et elle a quitté l’hôpital quelques mois plus tard. Le signalement n’a jamais abouti.

« À l’hôpital, c’est partout pareil »

Au fur et à mesure, mon chef a commencé à faire des différences de traitement entre moi et mes collègues. Je n’avais plus accès à aucune formation, aucune progression en interne. Comme je ne rentrais pas dans son jeu, il m’a clairement mis des bâtons dans les roues. C’est un homme qui a du poids dans l’hôpital, donc j’ai compris que ça allait être très compliqué de faire valoir mes droits.

Dans son service, en plus du harcèlement sexuel, c’était un médecin très autoritaire, très sévère. Quand on avait le moindre problème, on avait peur de lui parler. Quand j’ai voulu le signaler à la médecine du travail, on m’a dit : « Mais vous savez, à l’hôpital, c’est partout pareil. » Entendre ça de leur part, c’était choquant ! Je me suis dit que ce n’était pas de la part de l’hôpital que j’aurais de l’aide.

Quand j’en parlais autour de moi, on me disait qu’effectivement, cela fait partie de la culture de l’hôpital. Que quand on voit les week-ends d’intégration des internes et des médecins, cela ne vole pas haut. Que c’est le milieu médical qui veut ça.

Je me suis alors tournée vers mon généraliste et j’ai pris rendez-vous avec une association d’aide aux victimes de souffrances au travail, qui m’a mise en contact avec des psychologues et une juriste. Cette dernière m’a prévenue : dans la fonction publique hospitalière, c’est un peu David contre Goliath.

« Jamais je ne retournerai dans le milieu hospitalier »

Elle estimait que le petit personnel n’avait aucune chance contre un médecin soutenu par l’administration, qui de surcroît est un personnage médiatique, une figure de l’établissement. L’association m’a conseillé de me protéger et de quitter l’hôpital plutôt que de perdre du temps et de l’énergie à me battre pour une cause perdue.

Avec le recul, je m’attendais tellement à ce que l’administration prenne cela au sérieux… Et il ne s’est rien passé. J’ai eu peur que cela se retourne contre moi et de ne pas réussir à trouver de travail ailleurs. Alors, j’ai décidé de trouver un poste dans un autre secteur que la fonction publique hospitalière et je suis partie de l’hôpital après plusieurs années.

J’espère que ce mouvement #metoohopital et l’afflux de témoignages vont changer la donne. Mais jamais je ne retournerai dans le milieu hospitalier.

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