VI Nations féminin: Assia Khalfaoui, une pilier qui a du (French) flair

Elle a le sourire à chaque fois qu’on la croise, en rassemblement à Marcoussis ou dans les stades des VI Nations. Assia Khalfaoui a marqué les esprits en ce début de Tournoi contre les Irlandaises (38-17) et les Ecossaises (15-5) par son envie de jouer. Adepte des passes après contact et même des chisteras, la pilier droit d’1,68 m et 98 kg maîtrise aussi toute la palette des premières lignes.

Formée à Pont-du-Casse, dans la banlieue d’Agen, puis au SUA, Khalfaoui n’a pratiqué que le rugby depuis ses sept ans. Passée par toutes les catégories, elle signe au Stade bordelais en 2019 au moment de passer en seniors. Elle est depuis championne de France en titre avec les Lionnes de Bordeaux.

Vous n’avez connu que le rugby dans votre vie sportive? 

Oui, je suis arrivée très tôt dans le rugby et je n’ai connu que ce sport-là. Je fais partie de ces filles qui n’ont connu que ça, qui ont commencé par l'école de rugby, qui ont joué avec les garçons et qui ont grandi avec ce sport.

Les plus anciennes de l’équipe de France observent l’arrivée de joueuses qui poussent fort pour se faire une place et qui ont des qualités techniques qu’elles n’avaient pas en arrivant. Vous êtes de cette génération?

Forcément, quand on commence tôt, que l’on joue avec les garçons, on développe un bagage technique un peu plus complet que celles qui sont arrivées sur le tard au rugby. On a pu emmagasiner très tôt. J’ai la chance d’être à l’aise dans mon rugby, de savoir que j’ai certaines compétences, certaines qualités techniques pour pouvoir jouer et surtout m’épanouir.

Justement, vous êtes l’une des joueuses en vue depuis le début du Tournoi. Les filles vous ont même élue, au sein du vestiaire, joueuse du match inaugural contre l’Irlande. Comment vous le vivez?

Je suis heureuse. C’est une belle reconnaissance de la part des joueuses et du staff. Ca me pousse à oser encore plus, à me donner à 100% sur un terrain. Ca donne envie de travailler encore plus fort pour être encore meilleure, gravir les échelons et apporter ma pierre à l’édifice.

On me dit souvent: “Ah! Toi, tu joues pour les Fidji!"

Dans le vestiaire avant les matches, le staff vous demande de fixer vos objectifs personnels. Quels ont été les vôtres en ce début de Tournoi?

Sur ce premier bloc [contre l’Irlande et l’Ecosse], mon mot d’ordre était de “jouer libérée”. Ne pas réfléchir... Enfin si, il faut quand même réfléchir (rires). Mais jouer comme je joue en club, me donner à fond, être toujours à 100% sur le placage, toujours être dans l’avancée, faire avancer l’équipe. Jouer tout court avec le rugby que je connais, ne pas me mettre de limites.

C’est quoi le rugby que vous connaissez?

Je suis quelqu'un qui aime beaucoup jouer. Je suis une porteuse de ballon. J’aime aussi beaucoup défendre mais j’aime surtout faire cette petite passe en plus, faire des petits crochets. Je peux aussi mettre ce petit coup d'accélération pour aller jouer mon duel. C’est un peu le profil d’une “pilier moderne”.

Ça vient d’où, cet amour pour le jeu?

Mon frère joue ce rugby-là, il est très joueur et il m’a appris à jouer comme ça. C’est ancré en moi. On me dit souvent: “Ah! Toi, tu joues pour les Fidji!”. Pour moi, le rugby est un jeu. J’ai besoin de m’épanouir dans ça, ne pas toujours rester très scolaire.

Vous avez toujours voulu jouer au poste de pilier ou vous rêviez d’autre chose?

J’ai toujours joué pilier. Un peu deuxième-ligne à Agen mais sinon j’ai toujours été cantonnée à ce poste-là. Quand j’ai commencé, ce n’était que du jeu pour moi. Je ne me suis jamais dit: “Demain, ça sera mon métier, je jouerai pour l’équipe de France”. C'est venu plus tard, quand je jouais en cadettes, que j’ai commencé les sélections jeunes, les top 100, les top 35... J’ai commencé à penser que j’en étais capable. J'ai toujours été très compétitrice et très dure envers moi-même. J’ai toujours voulu plus. C’est vraiment en arrivant en seniors à Bordeaux que j’ai passé un cap mental. J’ai fait les efforts de plus, la musculation, les exercices physiques, pour être encore plus performante.

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Comment vous vous sentez dans cette équipe de France aujourd’hui?

Je me sens ultra bien dans ce Tournoi. Outre les matches, il y a les semaines d'entraînement lors desquelles je me sens aussi très bien. J’ai des retours très positifs de nos séances vidéo. Donc mentalement, ça me met dans une “good vibe” et ça me pousse à jouer encore plus, à me donner et à prendre encore plus de plaisir. Je suis dans un super groupe avec de super filles. Je sais que si je veux lever le ballon, j’aurai toujours quelqu'un à côté de moi pour le récupérer. Il y a beaucoup de filles qui sont dans cette dynamique-là, avec un groupe assez jeune. On surfe toutes sur la même vague et ça me permet de m'exprimer. Et je ne suis pas la seule!

Contre l’Italie, il y a un peu cette sensation de Crunch à l'italienne.”

Vous n’avez que 23 ans mais déjà 20 sélections. On peut dire que vous êtes à la charnière entre les jeunes qui débarquent dans ce XV de France et les taulières de l’équipe? 

Exactement. Je suis un peu entre les deux. J'apprends, et je continuerai d'apprendre toute ma vie, des plus grandes. J'ai un énorme respect pour elles. J’essaie aussi d'apporter mon soutien aux plus jeunes, d'avoir toujours un petit mot pour les aider. Quand je suis arrivée ici, on m'a toujours soutenue et ces filles-là en ont aussi besoin. C’est aussi faire l'intermédiaire entre les très jeunes et des filles un peu plus expérimentées.

Est-ce que l’on se trompe si l’on dit que les Bleues ont un tout nouveau projet de jeu depuis l’arrivée de Gaëlle Mignot et David Ortiz à la tête de votre équipe?

On a connu un vrai tournant depuis la Coupe du monde 2022. Surtout ce VI Nations avec un projet de jeu qui a évolué. On veut plus de jeu. Gaël et David ont apporté un nouveau souffle à l'équipe de France, ce “French flair” qui avait, je pense, disparu pendant un petit moment. On était plus connues pour notre défense que pour notre attaque. Aujourd’hui, notre jeu offensif est revenu. Ça se sent sur le terrain.

Et vous avez le profil parfait pour ce projet de jeu... 

Si je prends autant de plaisir aujourd'hui et que je peux m'exprimer sur le terrain, c'est parce que j'ai le projet de jeu qui me permet de le faire. Les avants ne sont plus cantonnés à certaines tâches de l’ombre ou à la conquête.

Vous allez disputer le troisième match du Tournoi ce dimanche contre une équipe d’Italie qui peut vous poser des problèmes.

L'Italie est une équipe très joueuse avec une très belle ligne derrière. Mais on sait aussi que devant, ça va être un gros combat, avec un huit de devant très compact. Elles sont hargneuses, elles en veulent. Jouer contre l’Italie, c'est un peu jouer contre l'Angleterre. Il y a un peu cette sensation de Crunch à l'italienne. Donc il ne faut pas tomber dans le piège de la facilité, il faut s'attendre à un gros match.

Les matches sont de plus en plus serrés entre les nations féminines, ce qui est bon signe. Mais l’Angleterre reste le match que vous attendez, non?

On a des équipes qui montent d'année en année, la preuve face à l'Irlande et à l'Écosse. On a encore deux grosses marches à passer pour pouvoir prétendre à une finale contre l'Angleterre [le 27 avril au stade Chaban-Delmas de Bordeaux]. On veut se perfectionner contre l'Italie et contre le pays de Galles, et on sait que l'Angleterre reste l'une des plus grosses nations. C’est un peu notre bête noire avec beaucoup de défaites contre elles. Mais on est très focus sur l'Italie et le pays de Galles.

L’Angleterre est une équipe comme une autre, on est capables de la battre.”

Vous aussi, vous constatez que le niveau global du rugby féminin est de plus en plus relevé?

Oui, l’étau se resserre! Il y a beaucoup de nations qui commencent à se développer, qui se professionnalisent. Les championnats se développent en France et on le ressent. Les scores sont plus serrés et c’est un plaisir. Et le fait d’avoir un Tournoi des VI Nations resserré, ça nous permet aussi de nous préparer aux autres compétitions lors desquelles on affronte la Nouvelle Zélande, l’Australie, le Canada...

Après ce premier bloc du Tournoi, quel bilan avez-vous tiré? Selon vous, qu’y a-t-il à corriger avant l’Italie?

On veut un projet de jeu qui est plus joueur. Mais pour ça, il faut corriger beaucoup de points. Notamment le soutien, les fautes de mains, la discipline. On veut beaucoup jouer, mais il faut aussi apprendre à canaliser notre énergie. Et puis, ce qui nous fait défaut aujourd’hui, c’est notre zone de conclusion dans laquelle on a du mal à marquer. On franchit, on se crée de belles occasions, mais on ne parvient pas toujours à terminer les coups, on ne se récompense pas. Il faut aussi que l’on corrige notre touche qui nous a fait défaut, surtout contre l’Ecosse.

Il faut parfois que vous soyez moins fougueuses et plus sereines?

Exactement, il va falloir que l’on apprenne à être un peu plus sereines, à se réguler. On ne peut pas toujours “jouer à la balle”. Il faut parfois savoir jouer simple et marquer l'adversaire parce que ça reste du rugby. Se calmer dans certains moments et mettre les gaz quand il faut.

Sur ce point-là, quel rôle joue votre demi de mêlée Pauline Bourdon-Sansus?

C’est elle qui nous dirige dans le jeu, tous les ballons passent par elle. Donc c'est elle qui nous donne le tempo, elle qui va nous calmer quand on est dans le dur physiquement entre certaines tâches, les rucks, les touches, les mêlées... Dans ces moments-là, on est forcément moins lucides. Donc c’est très important que Pauline nous dise: “Là, régule-toi”, qu’elle nous emmène. On a besoin de ces filles-là.

Elle a l’air d’avoir le caractère pour ce rôle...

Je confirme qu'elle a le caractère, oui! (Rires) Pauline a une immense carrière, c'est une femme avec plein de caractère. Et sur le terrain, elle le fait ressentir. Elle a la tête sur les épaules pour pouvoir nous guider, et surtout, elle ose le faire.

Vous faites partie des joueuses que Pauline doit canaliser?

Par moment, je pense qu'il faut me canaliser, oui! Je suis jeune, j'aime beaucoup jouer et j’ai besoin qu’on me dise certaines choses sur le terrain parce que je peux avoir les fils qui se touchent ou que la fatigue commence à prendre le dessus.

On peut me souhaiter de faire avancer le rugby féminin et de marquer mon nom dans son histoire.”

Quel est le match international qui vous a le plus marquée en tant que joueuse?

Le Crunch de l'année dernière [défaite 33-38 des Bleues à Twickenham]. On est quand même dominées 33-0 à la mi-temps et on arrive à revenir, ce qui est dingue! En première mi-temps on ne propose rien du tout, et on fait une seconde mi-temps incroyable. Ce match laisse beaucoup de frustration parce que on a mis du temps à se réveiller et on s'est dit: “Ah d'accord! En fait, on est capables.” Il faut croire en nos capacités. L’Angleterre est une équipe comme une autre, on est capables de la battre. Ça aurait pu le faire, l’année dernière. Ça commence à faire long [les Bleues n’ont plus battu le XV de la Rose depuis le Tournoi 2018]...

Justement, le match de Twickenham va rester dans les esprits à bien des égards. C’est notamment le record d’affluence pour un match du Tournoi féminin avec plus de 55.000 personnes en tribunes. La barre est haute pour la prochaine confrontation à Bordeaux, le 27 avril!

Oui, la barre est très, très haute! En France, on ne joue pas dans des stades capables d'accueillir autant de personnes. J'espère que le stade sera à guichets fermés à Bordeaux et que le stade Jean-Bouin va se remplir plus ce week-end contre l'Italie. On a une grosse marge de progression encore sur la communication autour de nos matches. C'est aussi la responsabilité des supporters de suivre le rugby féminin, et on est encore loin de l’Angleterre sur ce sujet.

Pour le choc contre les Anglaises, vous serez beaucoup de Bordelaises à la maison...

Oui, chaque réception des Lionnes du Stade bordelais se joue à Chaban-Delmas. C'est quelque chose qui est très excitant. Il y a une petite touche en plus, des gens que je connais, c’est mon public.

On a beaucoup parlé de la ligne de trois-quarts bordelaise chez les Bleus pendant le Tournoi masculin. Les Bordelaises aussi sont en nombre dans le XV de départ, avec notamment toute la première ligne...

Avec Agathe (Sochat) et Annaëlle (Deshayes), on a ces petites connexions qui nous permettent de faire ces petites passes en plus. Je sais dans quel axe je dois venir pour permettre un meilleur soutien. Ça apporte beaucoup dans notre jeu parce que l’on se connaît. Et, mentalement, ça nous met dans de bonnes dispositions. C’est un peu un toc que j'ai: dans les vestiaires, j'ai besoin d'être assise à côté d’Agathe. Ça me rassure de me dire: “Ah je vais jouer avec Anaëlle et Agathe”. Ca me calme de me dire que je suis bien entourée. Je peux partir à la guerre avec ces filles-là mais aussi avec toutes les filles qu’il y aura sur la feuille de match. Annaëlle et Agathe sont mes amies dans la vie de tous les jours. Je suis prête à aller n’importe où avec elles.

Vous êtes particulièrement liée à Agathe Sochat?

Oui, c'est ma coloc de chambre! On est très amies comme avec Annaëlle. On forme un trio, on s’appelle “Les triples A” (Annaëlle, Agathe, Assia). Cette connexion nous aide à jouer en première ligne, pour la mêlée, dans le jeu courant, etc. Ce sont des personnes qui comptent beaucoup pour moi et qui me rassurent beaucoup dans le rugby. Je prends beaucoup de plaisir à jouer avec elles.

Dans les prochaines années, qu'est-ce qu'on peut vous souhaiter?

D’un point de vue collectif, d’aller chercher cette Coupe du monde en 2025! Sinon, simplement me souhaiter une belle carrière, une grande carrière. Et surtout pouvoir faire avancer le rugby féminin et marquer mon nom dans son histoire.

Article original publié sur RMC Sport