"Je suis venu pour les civils": des soldats français partis se battre en Ukraine livrent leurs motivations

Deux drapeaux ornent leur tenue militaire aux classiques couleurs de camouflage, kaki, vert et beige: le drapeau tricolore et le drapeau ukrainien. Maxime, Jules, Tom et Charlie font partie de ces centaines de Français partis combattre dans les rangs de l'armée ukrainienne pour faire face à l'invasion russe. Quatre hommes que l'équipe de "Ligne Rouge" - un documentaire de BFMTV diffusé ce lundi 22 avril à 21 heures - a pu rencontrer.

Leur motivation première: aider le peuple ukrainien. "Je suis venu en Ukraine pour toutes ces images d'enfants que j'ai pu voir, soit martyrisés, soit évacués tout seul sans leurs parents", explique depuis Karkhiv, Maxime, 33 ans. "Des images qui m'ont un peu fait trembler".

Il ajoute: "Quand je vois encore Irpin et Butcha, quand on voit tous ces corps de civils au milieu de la route, on se dit qu’on a raison d'être là et d’aider ce peuple".

"Si on perd l'Ukraine, pour moi, la Russie voudra plus"

Maxime s'est engagé en mai 2022 dans une milice après l'appel du président ukrainien Volodymyr Zelensky aux étrangers "qui savaient se battre". Ce père d'un enfant a ensuite combattu pour "le troisième bataillon", jusqu'à ce qu'il perde une partie de sa jambe gauche en novembre 2023, lors d'une "petite mission de reconnaissance" sur une "ligne de forêts". Il a explosé sur une mine. En visionnant les images de ce moment, s'il se "demande comment il a fait pour survivre", il n'a qu'une "envie", c'est d'y "retourner".

Après quatre opérations, et une évacuation en France, Maxime récolte depuis un bureau, à la localisation tenue secrète, de l'argent et du matériel pour son bataillon, en attendant de pouvoir retourner combattre malgré sa prothèse.

"J'étais un petit peu réticent au départ, puis, je me dis quand même que j'aide les mecs qui bossent, ma place n'est pas minime quoi", réfléchit celui pour qui le drapeau bleu et jaune fait désormais "partie de son sang".

Jules, 21 ans, a aussi décidé de venir en Ukraine il y a quelques mois car "depuis 2014, les Ukrainiens vivent un enfer".

"Je suis venu principalement pour les civils. Et puis, je pense que c'est important de rétablir la paix ici. Si on perd l'Ukraine, pour moi, la Russie voudra plus", souligne ce dernier.

Interviewé avant une mission classée secret défense menée par les forces spéciales ukrainiennes, il apparaît le visage en partie caché à l'écran pour préserver son anonymat.

Avec Tom, un autre Français de 25 ans, ainsi que d'autres membres de leur unité avec qui ils partagent un appartement, ils ont pour mission de reprendre le contrôle d’un bâtiment tenu par des dizaines de soldats russes.

Déçus par l'armée française

Tom, en Ukraine depuis neuf mois, est un ancien soldat de l’infanterie de marine de l’armée française. Comme lui, Maxime et Jules ont aussi servi la France avant leur départ. Mais ils ont été déçus par cette expérience. Pour Jules, il y avait trop de contraintes et pas assez d'actions.

"J'ai fait quelque temps dans l'armée française… Ensuite, j'ai été chauffeur livreur en France pendant une petite année. C'est pendant cette petite année que je me suis décidé à partir ici", explique Jules.

Maxime, originaire de Metz, explique aussi rechercher dans son enrôlement dans les rangs de l'armée de Kiev de l'adrénaline ainsi qu'une expérience forte.

Charly, qui fait partie d’une unité de l’armée régulière ukrainienne, a vu quant à lui la guerre en Ukraine comme "le moyen de tout recommencer", comme une "case départ".

Après une courte formation dans l'armée française au collège, son retour à la vie civile a été un "désastre". "J'étais perdu. Je traînais tout le temps dehors, je traînais avec les mauvaises personnes... Mes parents se faisaient énormément de soucis. J'avais beaucoup de rendez-vous avec la gendarmerie, tellement que j'étais un idiot. Puis je pense que je prenais la route de la délinquance", détaille le soldat, qui arbore le tatouage d'un heaume de chevalier sur la joue.

Une paye de 1.500 euros par mois

Charly se bat depuis un an et demi en Ukraine et a tenu pendant trois mois une tranchée à 400 mètres d'une position russe avant que son unité ne soit obligée de reculer. Il a transmis à BFMTV de nombreuses vidéos qu'il tourne lui-même à l'aide de son portable. Souvent avec le sourire, sur le ton de l'humour, détaché, il témoigne dans ces vidéos de son quotidien, de l'intérieur des tranchées au champ de bataille.

Un sourire qu'il perd lorsqu'il évoque la bataille de Bakhmout, particulièrement meurtrière pour les deux armées, où il a vécu pendant six mois les pires moments de sa vie de soldat. Contrairement à ceux qui se noient dans l'alcool, il se change les idées grâce à Dorota, sa compagne polonaise, également membre de son unité. Il la considère "un peu" comme sa "psychologue", celle à qui il peut parler et qui le "réconforte".

"Si vraiment je ne voulais pas risquer ma vie mais rentrer à métro boulot dodo, rien ne m'empêche de rentrer chez moi, mais qu'est ce qu'ils feraient les copains sans moi et moi qu'est ce que je ferais sans eux, donc non je ne les laisse pas", précise-t-il, conscient qu'il "pourrait y rester".

Si Charly risque sa vie en Ukraine, ce n'est en tout cas pas pour l'argent. Contrairement à des mercenaires qui s'engagent pour une entreprise privée, ces soldats sont enrôlés par l'armée ukrainienne, et de facto par le gouvernement ukrainien. Comme n'importe quel soldat de ce pays, ils sont payés 1.500 euros par mois. Une somme de laquelle ils déduisent l'achat de certains équipements. "Ils [l'armée ukrainienne, NDLR) n'ont pas forcément tous les moyens nécessaires. Le plus gros de la paye passe dans l’équipement. J’ai investi 1.500, 2.000 euros de ma poche", nous explique Jules.

Tous les combattants français en Ukraine sont de plus dans le viseur des services spéciaux du Kremlin. Maxime, le soldat amputé, et Charly, le soldat des tranchées, ont leurs noms et photos publiés dans des boucles Telegram. Un avis de recherche stipule que ces hommes "ont commis un crime grave" et sont "recherchés par les autorités de la Fédération de Russie".

"Le fichage se fait par les Russes automatiquement dès qu'on passe à la télé ou dès qu'on passe quelque part. Je crois que je suis terroriste un truc comme ça, avec une petite prime à la clé", déclare Maxime.

Depuis le début de la guerre en février 2022, au moins sept combattants français ont perdu la vie sur le front ukrainien. Deux d’entre eux ont leur visage et leur nom sur le mur des héros à Kiev, ils avaient 22 et 20 ans.

Article original publié sur BFMTV.com