« Veiller sur elle » de Jean-Baptiste Andrea, un prix Goncourt 2023 consensuel, mais salutaire

LITTÉRATURE - Du statut « d’outsider », Jean-Baptiste Andrea est passé à celui de « winner ». L’écrivain français de 52 ans a été couronné, ce mardi 7 novembre, du prix Goncourt 2023 pour son roman Veiller sur elle, un titre paru dans le courant du mois d’août aux éditions de l’Iconoclaste et déjà récompensé par le prix Fnac.

Le prix Goncourt 2023 a mis en lumière le « sensitivity reader » qui divise le monde littéraire

« Je pense à tous les gamins qui ont ce rêve [de devenir écrivain], qui pensent que c’est dur et qu’ils n’y arriveront pas. Je leur dis : “Soyez déraisonnables” », a déclaré l’auteur devant les caméras, à la sortie du restaurant Drouant, dans le VIIe arrondissement de Paris, où a lieu chaque année l’annonce du lauréat du prix Goncourt.

Dans Veiller sur elle, son quatrième roman, Jean-Baptiste Andrea nous emmène dans le passé, dans l’Italie des années de la montée du fascisme. Michelangelo Vitaliani dit « Mimo », un apprenti sculpteur de pierre talentueux mais sans le sou, croise le chemin de Viola Orsini, l’héritière d’une famille nantie. Une rencontre qui va changer le cours de leur vie.

Jean-Baptiste Andrea, ici à la remise du prix Goncourt 2023, devant le Drouant, à Paris.
DIMITAR DILKOFF / AFP via Getty Images Jean-Baptiste Andrea, ici à la remise du prix Goncourt 2023, devant le Drouant, à Paris.

Poignante histoire entre deux enfants que tout sépare, c’est aussi une véritable déclaration d’amour à l’Italie, « pays des ancêtres » de Jean-Baptiste Andrea, et à l’art. « Il fallait que j’écrive dessus », a-t-il déclaré ce mardi.

Le Goncourt du « romanesque »

Cette œuvre, selon les membres de l’académie Goncourt, offre tous les caractères traditionnels d’un roman. « Cette année, c’est le Goncourt du romanesque », a ainsi expliqué à la presse Éric-Emmanuel Schmitt. Françoise Chandernagor, elle, a ajouté qu’il s’agit d’« un vrai roman » et d’« un livre prodigieusement romanesque ». « Ça manque un peu. Aujourd’hui, les gens ont tendance à raconter leur vie », a poursuivi la jurée.

La fresque de 600 pages de Jean-Baptiste Andrea semble par exemple très éloignée du prix Goncourt 2022, remis à Brigitte Giraud pour Vivre vite. Un texte intime dans lequel elle donnait sens aux questionnements (parfois hasardeux) qui ont entouré la mort accidentelle de son mari, survenue il y a vingt ans.

En 2023, l’autofiction est laissée sur le bas-côté. Neige Sinno partait pourtant comme grande favorite avec son livre Triste tigre, événement de la dernière rentrée littéraire dans lequel elle aborde l’inceste dont elle a été victime au cours de sa jeunesse.

Exit, aussi, les livres d’Éric Reinhardt et Gaspard Koenig. Les deux autres concurrents de Jean-Baptiste Andrea ne parlent pas d’eux dans leur roman (respectivement Sarah, Susanne et l’écrivain et Humus), mais font écho à de sérieux sujets de société. Dans le premier, il est question des rapports de domination homme femme dans le couple. Dans l’autre, de la crise de l’agriculture intensive.

Une maison d’édition indépendante

Moins politique que ses adversaires, Veiller sur elle s’apparente ainsi à un choix plus consensuel. Le fait qu’il figurait dans presque toutes les sélections des grands prix littéraires de la saison (Femina, Interallié, Grand prix du roman l’Académie française) renforce d’ailleurs cette impression.

Et l’attribution du Goncourt n’en est pas moins méritée car comme le dit Jean-Baptiste Andrea (dont il s’agit de l’œuvre la plus aboutie), « c’est aussi une maison d’édition que vous avez récompensée aujourd’hui. »

Plus précisément, c’est une maison d’édition indépendante, l’Iconoclaste. À l’heure où les rachats comme la mainmise de Vincent Bolloré sur le secteur de l’édition sèment la panique, c’est salutaire. Du haut de quelque 400 000 exemplaires en moyenne qu’il promet d’écouler, le prix Goncourt reste chaque année l’assurance de ventes considérables pendant les deux derniers mois de l’année, les plus importants pour les librairies.

À voir également sur Le HuffPost :

Neige Sinno remporte le prix Femina pour « Triste Tigre », son roman sur l’inceste

Prix Renaudot 2023 : le livre d’Ann Scott récompensé