Que va faire Catherine Colonna en Estonie, pays frontalier de la Russie ?

Chasseurs alpins français lors de l’exercice « Bodl Hussar » sur la base militaire de Tapa, en Estonie, le 11 octobre 2022.
Lucie Hennequin / Le HuffPost Chasseurs alpins français lors de l’exercice « Bodl Hussar » sur la base militaire de Tapa, en Estonie, le 11 octobre 2022.

DIPLOMATIE - « Un signal de solidarité et de réassurance très fort ». C’est le message que vient délivrer la ministre des Affaires étrangères française, Catherine Colonna, lors d’une visite en Estonie prévue ce mardi 25 octobre. À Tallinn dès lundi soir, la ministre doit rencontrer son homologue estonien, Reinsalu, puis sera reçue par la première ministre Kaja Kallas.

Mais pourquoi l’Estonie ? Tout d’abord parce que 300 militaires français y sont présents, à Tapa, dans le centre du pays, à environ 70 km de la capitale, dans le cadre d’une mission baptisée « Lynx », au sein d’une base militaire de l’OTAN créée en 2017. La ministre doit d’ailleurs s’y rendre pour rencontrer les troupes françaises.

En 2017, c’est déjà la menace russe qui avait poussé l’OTAN à installer des groupements tactiques multinatinaux, dans le cadre d’une « Présence avancée réhaussée » (eFP), en Lituanie, en Estonie, en Lettonie et en Pologne. Si à Tapa, ce sont les Britanniques qui sont « nation-cadre » de l’OTAN, la France a depuis le début de la guerre en Ukraine renforcé sa présence dans l’État balte.

« D’une posture non-permanente à permanente »

« On est passé d’une posture non-permanente, avec une rotation une année sur deux entre les Français et les Danois, à une posture permanente, expliquait sur place mi-octobre au HuffPost le Lieutenant-Colonel Lefèvre, représentant national sur place. Nous sommes dans le tour danois mais nous avons décidé en février de rester, alors que l’on était en train de rendre notre tour. Et ce jusqu’en 2024. Après on verra. »

La décision, politique, a été prise lors du 40e sommet de l’OTAN à Madrid en juin dernier, alors que les pays membres ont décidé de mettre en place quatre nouveaux groupements tactiques en Bulgarie, en Hongrie, en Roumanie -où la France est cette fois-ci « nation-cadre »- et en Slovaquie.

L’objectif : « dissuader et défendre », à une centaine de kilomètres de la frontière russe. Le 11 octobre, le ministre des Armées français Sébastien Lecornu annonçait la décision du président Emmanuel Macron de « rehausser notre posture défensive sur le flanc est de l’Europe et de l’Alliance Atlantique, au regard de la guerre en Ukraine. »

« C’est important, en y allant, de valoriser cet appui qui est très structurant pour notre relation bilatérale et c’est important aussi pour la Ministre, dans un contexte difficile pour les troupes françaises, d’aller les voir et de leur faire part de la grande fierté de la France et des Français à l’égard de leur travail », affirme une source diplomatique française.

Ce renforcement était pourtant déjà engagé en Estonie, avec le maintien des troupes à Tapa et l’envoi déjà prévu en novembre de véhicules blindés légers et en mars de Griffons, des véhicules blindés multirôles. « Dans ce contexte de tension avec la Russie, c’est un déplacement important, assure toujours la même source diplomatique. C’est l’occasion de réaffirmer notre solidarité avec un allié balte, un partenaire qui joue un rôle fort. »

En effet, depuis le début de la guerre en Ukraine, l’Estonie, à travers la voix de sa première ministre Kaja Kallas, est l’un des pays européens les plus impliqués aux côtés de l’Ukraine. Le budget de la Défense y a doublé en 2022, avec pour objectif d’atteindre 3 % du PIB. Cela alors que le pays flirte avec les 25 % d’inflation et a accueilli sur son territoire environ 100 000 réfugiés ukrainiens, dont 70 000 qui y sont restés, soit 4,4 % de la population.

« Clarifier les différends »

La position de la France, membre du conseil de sécurité de l’ONU, de vouloir faire perdurer un dialogue avec Moscou, notamment au début de la guerre en Ukraine, a pu parfois être mal interprétée à l’Est de l’Europe. À plusieurs reprises, la première ministre estonienne Kaja Kallas a martelé ne voir « aucun intérêt » à discuter avec Vladimir Poutine.

Si des discussions ont déjà eu lieu sur le sujet entre les deux pays, cette visite vient réaffirmer le soutien de la France au flanc Est de l’Europe. « Nos actes parlent de manière très claire. La France a fait des annonces récentes d’armement militaire envers l’Ukraine, qui sont un effort massif, rappelle-t-on. S’il y a des incompréhensions, la cohérence de notre ligne permet de clarifier les différends que l’on peut avoir. Les contacts entre les deux pays montrent qu’il y a une attente positive de cette visite. »

Emmanuel Macron a annoncé début octobre la création d’un « fonds spécial » de 100 millions d’euros pour que l’Ukraine puisse « acheter directement auprès de nos industriels les matériels dont elle a le plus besoin pour soutenir son effort de guerre ». Le président français a confirmé dans la foulée que Paris envisageait l’envoi de six canons Caesar supplémentaires à l’Ukraine, outre les 18 déjà livrés.

Le 15 octobre, la France annonçait également qu’elle allait former « jusqu’à 2 000 soldats ukrainiens » sur son sol. Selon les estimations du ministère, l’effort budgétaire français pour renforcer la posture défensive de l’Otan dans les pays de l’Est devrait être d’entre 600 et 700 millions d’euros cette année.

Implication de l’Estonie au Sahel

Du côté estonien, on rappelle l’importance de l’allié français. « L’Estonie et la France sont des alliés très proches, des membres de l’UE très proches et des partenaires stratégiques », affirmait Kristjan Mäe, chef du département politique et planification au sein du Ministère de la défense estonien, lors d’un entretien avec Le HuffPost le 13 octobre à Tallinn. L’implication militaire de l’Estonie au Sahel est un autre dossier important dans la relation bilatérale entre les deux pays.

« Les forces armées estoniennes ont été déployées au Mali, en Centre-Afrique. Notre coopération est large et ancrée », rappelle Kristjan Mäe. L’Estonie est en effet l’un des partenaires européens ayant apporté une contribution à la force Takuba, le groupement européen de forces spéciales au Sahel.

« Nous avons une volonté, dans la dynamique actuelle de reconfiguration de notre présence au Sahel, de travailler en étroit partenariat avec l’Estonie », affirme la source diplomatique française. Autre objectif de cette visite : préparer la réunion des ministres des Affaires étrangères de l’OTAN, qui aura lieu les 29 et 30 novembre en Roumanie.

Un sommet virtuel de l’OTAN pourrait aussi avoir lieu ces prochains jours autour de Volodymyr Zelensky. « Il est important que nous puissions discuter avec les Estoniens maintenant, d’autant plus que la Ministre revient de Washington et qu’elle a eu à cette occasion des échanges sur ces sujets avec Antony Blinken et Jake Sullivan », conclut la source diplomatique.

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