"Ce sont de véritables artistes": comment les cascadeurs prennent leur revanche avec "The Fall Guy"

Sans eux, la magie du cinéma n'existerait pas: héros de l'ombre du 7e art, les cascadeurs se battent pour obtenir la reconnaissance qu'ils méritent dans une industrie qui se repose de plus en plus sur les effets numériques et l'intelligence artificielle. Alors qu'ils militent depuis des années à Hollywood pour la création d'un prix récompensant les meilleures cascades aux Oscars, ils prennent leur revanche dans les salles obscures avec The Fall Guy, blockbuster avec Ryan Gosling en salles ce mercredi 1er mai. L'acteur y incarne un cascadeur aux allures de justicier dans cette adaptation de la série culte des années 1980 L'Homme qui tombe à pic.

"J'ai toujours ressenti beaucoup de gratitude à leurs égards", raconte à BFMTV Ryan Gosling. "Ils prennent tous les coups. Ils se mettent en danger pour nous et ne sont jamais mis en avant. Ça m'a toujours semblé étrange."

Une situation d'autant plus étrange que certaines des plus grandes stars sont aussi des cascadeurs, de Buster Keaton à Jackie Chan en passant par Charlie Chaplin, Harold Lloyd et Douglas Fairbanks. "Leurs cascades étaient considérées comme faisant partie de leur performance d’acteur, et non comme un métier à part entière", précise cependant Alex Rallo spécialiste du cinéma d'action aux commandes du populaire compte X (ex-Twitter) @HeadExposure.

Même analyse pour Tom Cruise, qui réalise pourtant depuis une décennie ses propres cascades pour Mission: Impossible - devenues le principal élément marketing de la franchise: "Honnêtement, je ne suis pas si sûr que (cela) aide énormément à l'avancée de la cause des cascadeurs: il peut s'en faire un porte-parole, c'est vrai, mais il restera toujours une vedette de cinéma avant tout", estime le spécialiste.

"Pas des surhumains"

Les cascadeurs occupent une place fondamentale dans un film. Et participent autant que les stars à la création de séquences qui deviendront pour le public des souvenirs impérissables. "Les cascadeurs sont en quelque sorte ceux qui aujourd'hui dévouent le plus d'eux-mêmes, physiquement parlant, à l’accomplissement cinématographique", confirme encore Alex Rallo.

"Pour moi, ils sont tout aussi louables que les danseurs qui nous régalaient de numéros extravagants à l’âge d’or du musical: c'est une approche du cinéma qui s'articule autour d'une physicalité tangible, et un moyen pour le spectateur de se rapprocher encore plus des personnages, de l'action, à un niveau corporel et émotionnel." C'est le sujet de The Fall Guy, dont le réalisateur est David Leitch, l'ancienne doublure cascade de Brad Pitt (Fight Club) et Matt Damon (La Vengeance dans la peau).

Le film, qui suit un cascadeur (Gosling) engagé pour retrouver une star portée disparue sur un tournage, dépeint ces "actions men" comme des hommes dont la vie intime est brisée par leur travail. "Les montrer faire des cascades incroyables puis pleurer dans leur voiture sur du Taylor Swift, ça permet de les montrer d'une manière un peu plus complexe", s'amuse Ryan Gosling. "Ça permet de montrer que ce qu'ils font est particulier et qu'ils ne sont pas surhumains."

Les films les plus célèbres sur le sujet - La Fureur du danger avec Burt Reynolds, Drive avec Ryan Gosling, Once Upon a Time… in Hollywood avec Brad Pitt - présentent toujours ces figures de l'ombre comme des personnages surpuissants. The Fall Guy n'échappe à la règle. Mais plusieurs scènes du film battent des records du monde de cascades. "On voulait que ce soit authentique", insiste sur BFMTV David Leitch. "Parce qu'on parle de cascadeurs, c'était important de tout faire pour de vrai."

Bientôt un Oscar des meilleures cascades?

Son prochain objectif - et sa cascade la plus difficile à réaliser: obtenir une reconnaissance de ce corps de métier par l'Académie des Oscars. "C'est très important", insiste auprès de BFMTV Emily Blunt, star de The Fall Guy. "C'est dingue qu'il n'y ait pas de catégorie aux Oscars car ces cascades nécessitent des semaines et des semaines de préparation. Ce sont de véritables artistes." Entamées il y a plusieurs mois, les discussions devraient aboutir. "L'Académie est vraiment intéressée", annonce David Leitch.

Comment expliquer une reconnaissance si tardive alors que les cascadeurs sont reconnus dans d'autres pays comme Hong Kong? Alors que la cérémonie des Oscars est souvent critiquée pour son excessive longueur, de nombreux membres de l'industrie craignent de voir une autre catégorie être retirée au profit des cascadeurs. Et le cinéma d'action a longtemps été victime du snobisme de Hollywood.

En presque cent ans, seulement trois cascadeurs ont été honorés par l'Académie des Oscars. Le cascadeur Yakima Canutt, connu pour avoir développé des dispositifs de sécurité sur les plateaux, a reçu un prix d'honneur en 1967. Hal Needham, cascadeur devenu réalisateur de films avec Burt Reynolds (Cours après moi shériff, L'Équipée du Cannonball) en a reçu un en 2012. Jackie Chan a aussi été récompensé en 2016.

"C'est démoralisant"

Ce débat sur l'absence de reconnaissance anime la profession depuis des années. Jack Gill, coordinateur des combats et des cascades de Fast & Furious, se bat depuis 1991 pour obtenir une reconnaissance de la part de l'Académie des Oscars. Interrogé en 2013 par la BBC, il confiait son sentiment d'injustice malgré le soutien de poids lourds comme Steven Spieberg, James Cameron et Arnold Schwarzenegger:

"C'est démoralisant parce qu'on met toute notre vie dans ces scènes. Vous êtes assis chez vous en train de regarder les responsables des autres services (être célébrés aux Oscars) et vous n'êtes pas avec eux. Tous les coordinateurs des cascades à succès que je connais étaient chez eux devant leur poste quand leur film a remporté un Oscar. Et il n'était pas là pour fêter avec l'équipe."

Une amertume à la hauteur du talent employé par les cascadeurs dont le métier est bien plus subtil que de se faire tirer dessus, être explosé, écrasé ou jeté par les fenêtres, rappelle Emily Blunt: "Le lien est très fort. Les meilleurs cascadeurs vous observent. Ils se fondent dans votre personnage et dans votre personnalité. Ils regardent comment vous vous déplacez, comment vous incarnez votre personnage."

Renouvellement

Le combat de Jack Gill et de David Leitch devrait prochainement porter ses fruits grâce au renouvellement des générations, estime Alex Rallo: "Les professionnels de l'industrie d'aujourd’hui sont des fans des films sortis des années 70 aux années 90, période dans laquelle le monde a connu une certaine ébullition de films d'action, des États-Unis à Hong Kong en passant par le Japon et même l’Europe. "

"Aujourd’hui, le genre de l’action lui-même connaît une certaine effervescence pour plusieurs raisons, dont la segmentation des plateformes de streaming", renchérit le spécialiste. "C'est plus sûr de parier sur un film de genre que sur un drame indé et les cascadeurs ont donc de très nombreuses opportunités de travail de nos jours, peut-être plus qu’auparavant."

"La convergence de ces deux évolutions rend à mon avis le métier plus sollicité et donc plus médiatisé", poursuit-il encore. "Certains cascadeurs et directeurs de l’action commencent par conséquent à se faire connaître personnellement (87North, Eric Jacobus, Kensuke Sonomura, Kenji Tanigaki, etc.), comme c'était autrefois le cas à Hong Kong." "C'est dans l'air du temps", se réjouit David Leitch. Le timing est enfin le bon.

Article original publié sur BFMTV.com