"Tu ne tueras point" : pourquoi la diffusion du téléfilm traitant de l'autisme avec Samuel Le Bihan sur France 2 fait débat ?

La diffusion du téléfilm, suivie d'un débat, intervient au lendemain de la journée mondiale de sensibilisation à l’autisme.

Samuel Le Bihan joue le rôle d'un avocat chargé de défendre une mère qui a tué son enfant handicapé dans le téléfilm
Samuel Le Bihan joue le rôle d'un avocat chargé de défendre une mère qui a tué son enfant handicapé dans le téléfilm "Tu ne tueras point" (Photo by LOU BENOIST / AFP)

Une pétition, un rassemblement devant le siège de France Télévisions... La programmation spéciale revendiquée et prévue au lendemain de la journée mondiale de sensibilisation à l'autisme, prévue le 2 avril, fait grincer des dents.

Ce mercredi soir, France 2 diffusera un téléfilm inédit, "Tu ne tueras point", avec notamment l'acteur Samuel Le Bihan, dont la fille est atteinte d'autisme et qui vient de recevoir la légion d'honneur pour son combat pour les personnes autistes. À l'issue de sa diffusion, le téléfilm est suivi d’un débat dont le thème est "Autisme, la détresse des familles".

"On invisibilise les personnes autistes dans ce téléfilm"

Sauf que la programmation pose problème aux principaux intéressés, au point qu'une pétition a été lancée appelant France Télévisions à renoncer à la diffusion du téléfilm.

"Pour la journée mondiale de sensibilisation à l'autisme, on invisibilise totalement les personnes autistes dans ce téléfilm. La seule personne autiste, c'est l'enfant qui est tué. Ensuite, ce sont des personnes qui ne sont pas autistes qui discutent entre elles d'à quel point l'enfant souffrait d'être autiste. Ce serait beaucoup moins problématique s'il avait été diffusé un autre jour dans l'année", déplore Amélie Tsaag Valren (le nom de l'interviewée a été changé à sa demande, par crainte de discriminations en raison de son autisme, ndlr), secrétaire de l'asso Neurodiversité France et qui a lancé la pétition contre la diffusion du téléfilm.

Le téléfilm raconte l'histoire d'un avocat, joué par Samuel Le Bihan qui défend une mère accusée d'infanticide. Elle "a reconnu le crime et dit avoir voulu mettre fin aux immenses et irrémédiables souffrances de son enfant, atteinte de polyhandicap et de troubles autistiques sévères", selon le communiqué de presse décrivant le téléfilm.

"Ils vont extrêmement mal le vivre"

"Le message envoyé aux parents d'enfants souffrant de troubles autistiques est mauvais car on va légitimer la mort d'un enfant autiste par sa mère. Cela montre le désarroi des parents alors que sur le terrain on constate qu'il y a des possibilités de prises en charge qui se sont vraiment améliorées. Le film est peut-être très bon, mais il faut le reprogrammer à une date distincte de la journée mondiale de sensibilisation à l'autisme", estime de son côté le docteur Hugo Baup, psychiatre au CH de Perigueux (Dordogne), qui a signé la pétition.

Le milieu associatif redoute la façon dont le film sera perçu par les premiers concernés. "J'ai des connaissances dans le milieu associatif qui sont des jeunes adultes qui ont été exclues voire qui ont réchappé à des tentatives de meurtre dans leur famille. Quand vous avez été rejeté par votre famille parce qu'on vous demandait sans cesse de ne pas marcher sur la pointe des pieds parce que c'est nul, de ne pas battre des mains ou de ne pas parler de telle façon pour être intégré... Quand vous n'avez jamais été accepté tel que vous êtes et que vous voyez que de l'argent public finance un film dans lequel on tue un enfant qui leur ressemble...", redoute Amélie Tsaag Valren*, secrétaire de l'asso Neurodiversité France.

Inspiré d'un livre qui a fait polémique

Le téléfilm s'inspire du livre d’Anne Ratier, "J'ai offert la mort à mon fils", dans laquelle elle confie avoir donné la mort à son fils de 3 ans, tétraplégique.

Son témoignage avait suscité à l'époque l'indignation d'Adrien Taquet, secrétaire d'État chargé de la protection de l'enfance : "Consternant sur la forme, inadmissible sur le fond. Quand plus d’un enfant meurt tous les cinq jours sous les coups d’un membre de sa famille, on ne banalise pas ces crimes. Rien ne justifie de tuer un enfant".

La secrétaire d'État aux personnes handicapées Sophie Cluzel se déclare elle choquée par la mise en scène de la vidéo, "sa forme, sa mise en scène d'une froideur terrifiante m'ont profondément choquée. En tant que maman (d'un enfant trisomique), je ne comprends ni le geste, ni la communication de cette mère." La ministre de la santé Agnès Buzyn affirmait alors que "rien ne peut justifier que l'on puisse donner la mort à un enfant".

Une promotion de l'eugénisme ?

La crainte, à l'issue du téléfilm "Tu ne tueras point", dans lequel une mère est jugée pour avoir tué son enfant handicapé et dont Samuel Le Bihan joue le rôle de l'avocat, c'est que "la grande majorité des téléspectateurs vont retenir que l'enfant souffrait d'autisme donc qu'on lui rend service en l'éliminant physiquement", redoute Amélie Tsaag Valren qui dénonce le validisme de la société, c'est-à-dire le rejet de la société dont sont victimes les personnes en situation de handicap, et voit la validation de "l'idéologie eugéniste selon laquelle une vie en tant que personne autiste ne vaudrait pas la peine d'être vécue".

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À l'issue de la diffusion du téléfilm, un débat est prévu sur France 2, sur le thème de "la détresse des familles", selon la programmation diffusée par France Télévisions.

"On imagine qu'on souffre de notre état mais ce que je constate dans le milieu associatif, ce n'est pas ça"

"Regardez la composition du plateau. C'est la preuve de l'invisibilisation des autistes. C'est la journée mondiale de sensibilisation à l'autisme, et on ne laisse pas la parole aux autistes mais on nous la confisque. On parle à notre place du ressenti de l'autisme qui correspond très rarement à notre ressenti. On imagine qu'on souffre de notre état mais ce que je constate dans le milieu associatif, ce n'est pas ça", conclut Amélie Tsaag Valren.

Outre Samuel Le Bihan, seront invités à débattre Florent Chapel, père de Galaad, jeune autiste de 18 ans, et cofondateur de la plateforme Autisme Info Service, Anne-Sophie Peyle, présidente d’Autisme sans frontières 92, mère d’un jeune garçon autiste, Étienne Pot, délégué interministériel à la stratégie nationale pour les troubles du neuro-développement, Stéf Bonnot-Briey, vice-présidente France de l’association Autisme Europe, autiste de haut niveau, Séverine Leduc, psychologue, spécialiste des troubles du spectre autistique et enfin Jean-François Dufresne, président et fondateur de l’association Vivre et Travailler Autrement (VETA) et père d’un adulte autiste de 34 ans.

Outre la pétition en ligne, un rassemblement est organisé devant France Télévisions à l'appel de l'association Cle Autiste, pour dire "Stop à la justification des meurtres sur les personnes handicapées et à leur silenciation".