Trump pourrait-il faire campagne depuis la prison s’il était condamné ? Deux Américains l’ont déjà fait

Eugene V. Debs (à gauche) et Lyndon LaRouche (à droite) ont mené une campagne présidentielle depuis la prison.
Eugene V. Debs (à gauche) et Lyndon LaRouche (à droite) ont mené une campagne présidentielle depuis la prison.

ÉTATS-UNIS - Et si Donald Trump faisait campagne derrière les barreaux ? Malgré les affaires qui assaillent le milliardaire de toutes parts − il a encore été inculpé mardi 1er août pour « complot à l’encontre de l’État américain » –, cette perspective reste très incertaine. Mais l’hypothèse n’est pas fantaisiste : dans l’Histoire des États-Unis, deux hommes l’ont déjà fait.

Ces pionniers sont Eugene V. Debs et Lyndon LaRouche. Sur leur modèle, l’ancien président, qui est à nouveau en campagne pour briguer la Maison Blanche, et qui vient de comparaître jeudi 3 août devant une juge à Washington, plaidant non coupable, l’a affirmé : même s’il est condamné, il ne mettra pas fin à son ambition présidentielle.

De fait, selon des experts, rien dans la Constitution ne l’en empêche. Ni l’Histoire, comme le prouvent les incroyables campagnes électorales du leader syndicaliste socialiste Eugene V. Debs et du polémiste d’extrême droite Lyndon LaRouche, qui ont défrayé la chronique à leur époque respective.

Debs condamné pour sédition

Le nom du premier n’évoque plus grand-chose pour le grand public aujourd’hui. Pourtant, Eugene V. Debs, né en 1855, était à son époque une célèbre personnalité politique dont les faits et gestes faisaient la Une des journaux.

Originaire de l’Indiana, il est cinq fois le candidat des socialistes à l’élection présidentielle entre 1900 et 1920. Avec une dernière campagne électorale menée donc depuis sa cellule d’Atlanta, en Géorgie, après une condamnation à 10 ans de prison pour sédition.

Le 18 juin 1918, a récemment raconté le professeur d’études Américaine Thomas Doherty à The Conversation, Eugene V. Debs avait en effet enfreint le « Sedition Act » promulgué par le président Wilson. Un texte qui interdisait de critiquer le gouvernement ou l’effort de guerre, ce qu’a donc fait le syndicaliste en affirmant que les jeunes Américains étaient « bons à autre chose qu’à être de la chair à canon ».

« Je hais la guerre »

« J’ai été accusé de faire obstruction à la guerre. Je le reconnais. Messieurs, je hais la guerre », avait-il lancé au jury pendant son procès. Malgré sa condamnation, la notoriété du « détenu numéro 9653 » dépasse largement les quatre murs de sa cellule grâce à une communication inédite.

Un événement marque particulièrement l’époque : l’arrivée, le 29 mai 1920, d’une délégation du parti socialiste devant l’établissement pénitentiaire pour annoncer son investiture devant les caméras. « La scène la plus inhabituelle dans l’histoire politique des États-Unis – Debs, condamné à 10 ans de prison pour “activités séditieuses”, accepte la nomination du parti socialiste pour la présidentielle », était-il écrit sur le panneau accompagnant les images diffusées dans les cinémas de l’époque, raconte encore Thomas Doherty.

Le « détenu numéro 9653 » finit par remporter plus de 900 000 votes cette année-là, et termine à la troisième place de l’élection remportée par Warren G. Harding. Sa sentence est commuée en 1921 par le nouveau président et il est libéré, avant de s’éteindre cinq ans plus tard.

Mort depuis plus de 100 ans, l’homme reste une figure marquante pour les militants de gauche américains. Le sénateur Bernie Sanders, l’un de ses admirateurs, a même réalisé un documentaire en 1979 sur cet ardent anticapitaliste qui a sillonné le pays pour défendre les droits des travailleurs.

Lyndon LaRouche, un complotiste

Le second détenu connu pour avoir fait campagne depuis la prison, Lyndon LaRouche, s’est présenté à chaque élection entre 1976 et 2004. Polémiste d’extrême droite et adepte des théories du complot né en 1922, il a débuté sa carrière politique après la Seconde Guerre mondiale à l’extrême gauche, avant de fonder le Parti américain des travailleurs sous la bannière duquel il s’est présenté en 1976.

Plus tard, celui qui est mort en 2019 à 96 ans s’est lancé dans la course en tant que démocrate (au grand dam du parti) ou indépendant. Au cours de sa vie, il a évolué vers les thèses d’extrême droite et a souvent été accusé d’antisémitisme, ce qu’il a toujours nié. Climatosceptique, il défendait aussi nombre de théories conspirationnistes, comme celle selon laquelle la reine d’Angleterre était impliquée dans le trafic de drogue ou qu’Henry Kissinger était un « agent d’influence » des Soviétiques.

À la fin des années 1980, Lyndon LaRouche fut condamné à 15 ans de prison pour fraude fiscale. Ce qui ne l’empêcha pas de se présenter à l’élection de 1992 depuis sa prison fédérale. Il enregistra des messages sur l’économie ou l’éducation qui furent diffusés pendant qu’il était dans sa cellule. Il n’obtint qu’un peu de plus de 26 000 voix au scrutin, bien loin des quelque 45 millions de voix du vainqueur, Bill Clinton.

La Constitution n’a pas tout prévu

Par rapport à ces deux hommes, Donald Trump a un profil particulier puisqu’il a déjà séjourné à la Maison Blanche. Et que les affaires qui le poursuivent sont liées à sa présidence : il a été inculpé pour « l’affaire des documents classifiés » qu’il aurait conservés dans sa résidence en Floride, est soupçonné d’avoir versé des pots-de-vin à une ancienne actrice pornographique pour acheter son silence pendant la campagne de 2016, et a été formellement accusé d’avoir essayé d’inverser les résultats de l’élection de 2020.

Dans cette dernière affaire, Donald Trump risque 55 ans de prison : 5 ans pour « complot contre les institutions américaines », 20 ans pour « complot pour entraver une procédure officielle » ainsi que pour « obstruction de procédure officielle », et enfin 10 ans pour « atteinte aux droits civiques ».

Malgré ces casseroles, le magnat de l’immobilier peut néanmoins compter sur sa base puisqu’il est largement favori pour la primaire républicaine. Un sondage du New York Times publié le 1er août montre en outre que lui et Joe Biden sont au coude-à-coude pour l’élection générale du 5 novembre 2024, chacun pouvant compter sur le soutien de 43 % des votants.

Il est encore trop tôt pour dire si l’homme d’affaires de 77 ans revêtira l’uniforme orange des prisonniers américains avant l’élection. Mais dans l’hypothèse où Donald Trump était élu tout en se trouvant derrière les barreaux, que se passerait-il ?, s’est demandé un lecteur du The New York Times dans un direct consacré aux déboires judiciaires du milliardaire. Réponse du journal : « No one knows. » Personne ne le sait.

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