Sur le travail en prison, la campagne de Dupond-Moretti « prend le problème à l’envers »

Le ministre français de la Justice, Eric Dupond-Moretti (C), s’entretient avec un détenu présentant son travail artisanal lors d’une visite à la prison de Bois d’Arcy, au sud-ouest de Paris, le 4 avril 2023.
Le ministre français de la Justice, Eric Dupond-Moretti (C), s’entretient avec un détenu présentant son travail artisanal lors d’une visite à la prison de Bois d’Arcy, au sud-ouest de Paris, le 4 avril 2023.

TRAVAIL - La dernière fiche de paie de Mirna* indique 206 €, pour 91 heures de travail par mois. Ça fait 2,26 € de l’heure. Détenue à la Maison d’arrêt de Limoges (Haute-Vienne), visitée par Le HuffPost le 12 février dernier, cette femme de 49 ans est l’une des rares à travailler au sein de l’établissement. Elle y est chargée du ménage depuis février 2022.

Mardi 4 avril, le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti a entamé un « tour de France » du travail pénitentiaire. L’objectif affiché : qu’au moins 50 % des personnes détenues en France aient une activité rémunérée, contre environ 30 % actuellement.

Le garde des Sceaux a défendu le travail pénitentiaire comme outil de réinsertion et « levier essentiel contre la récidive », au côté de dirigeants de grandes entreprises, dont les patrons d’Accor, Carrefour et M6, du président du Medef et de responsables associatifs (Emmaüs, France Victimes). « J’ai besoin que vous, chefs d’entreprises, associations et structures d’insertion par l’activité économique, vous vous implantiez en détention », a-t-il réclamé.

Deux fois plus de détenus actifs il y a vingt ans

Pour Cécile Marcel, directrice de l’Observatoire International des prisons (OIP) en France, c’est « prendre le problème à l’envers ». « Certes, il n’y a pas assez de travail proposé aux détenus, mais il y a surtout un problème qualitatif : c’est souvent de la manutention, très peu qualifiante et très peu valorisante, ce qui n’aide pas à changer l’image du travail des personnes détenues, ni à les préparer à sortir de détention », souligne-t-elle.

Toute personne détenue qui souhaite travailler doit demander à être « classée au travail » par l’administration pénitentiaire. Quand c’est possible, elle peut ensuite être recrutée par le « service général » de la prison ou par une entreprise extérieure. Environ 22 000 personnes détenues - 30 %, donc - pratiquent une activité rémunérée, alors qu’elles étaient proportionnellement deux fois plus il y a vingt ans.

Entre 2,25 et 3,72 € de l’heure

Pour Cécile Marcel, la question de la rémunération est « problématique ». Le Comité européen des droits sociaux vient notamment de conclure à la non-conformité de la situation française avec le droit à une rémunération décente pour les personnes détenues. « Elles sont payées 20 à 45 % du SMIC, selon les postes, estime-t-elle. Et le paiement à la pièce perdure (ndlr la pratique est pourtant interdite par la loi française depuis 2009), donc cette fourchette de rapport au SMIC n’est pas respectée par certaines entreprises. »

Les salaires correspondant au bas de l’échelle sont ceux des « auxiliaires d’étage », qui travaillent au sein de la prison, pour le « service général ». « Les “auxis”, ce sont les détenus qui travaillent à distribuer les repas ou qui nettoient les cantines », nous expliquait le directeur de la Maison d’arrêt de Limoges, Mohammed Ed Dardi. Leur salaire est imposé par l’Administration pénitentiaire, et va de 2,25 € à 5,07 € € de l’heure, selon les chiffres du Ministère de l’Intérieur.

Les « auxiliaires d’étage » peuvent aussi être affectés en cuisine, à la bibliothèque, à des postes de maintenance, ou assurer des petits travaux de peinture, de plomberie ou d’électricité.

Autre option, quand cela est possible : travailler pour une entreprise extérieure, depuis des ateliers à l’intérieur de l’établissement, pour 45 % du SMIC maximum. L’accès à une main-d’œuvre moins coûteuse attire certaines entreprises, que l’on appelle des « concessionnaires ». Elles sont environ 500 à embaucher des personnes détenues en France. Pour accélérer la diversité des missions, Éric Dupond-Moretti a créé en 2020 le label PePs (« produit en prison.s »).

La loi du 1er mai 2022 a par ailleurs permis de faire bénéficier les personnes détenues d’assurances maladie et d’un système de retraite, ce qui n’était pas le cas auparavant. Elles n’ont en revanche toujours pas de congés payés, ni de droit syndical.

Surpopulation et conditions de sécurité

Mais pour travailler, encore faut-il que l’établissement soit adapté et en capacité d’organiser l’implication de ces concessionnaires, ce qui peut être le cas des structures de construction récente, mais pas toujours celui des autres. À la Maison d’arrêt de Limoges, par exemple, dont le bâtiment date du XIXe siècle et qui a encore atteint il y a quelques semaines 240 % de taux d’occupation, c’est impossible.

« Ici, on n’a pas de concessions de travail, reconnaît le chef de l’établissement Mohammed Ed Dardi. On n’a pas de place. J’espère qu’on va y arriver en 2023, on y travaille, on essaye de trouver un local. Car plus les détenus travaillent, mieux ils sont réinsérés, moins ils reviendront. »

Ce que confirme Cécile Marcel, de l’OPI. « Plus il y a de détenus, moins il y a de possibilités pour eux de travailler, ce qui est vrai pour tout : la formation, l’éducation, les activités socioculturelles… Tout est impacté par la surpopulation », détaille-t-elle. À cela s’ajoutent les contraintes sécuritaires, elles-mêmes accentuées par le nombre de détenus et le personnel pénitentiaire en sous-effectif. Un cercle vicieux.

Repenser la conception du travail en prison

Tous les établissements font tout de même face à de longues listes d’attente pour accéder au travail. « Malgré le fait que ce soit très mal payé et peu qualifiant, c’est quand même très prisé par les détenus. Parce que ça les fait sortir de cellule et parce que la détention a un coût », reconnaît Cécile Marcel. L’argent gagné leur sert à « cantiner » (acheter des produits en prison), appeler leur famille, ainsi qu’indemniser les victimes.

Les bienfaits du travail en prison ne sont plus à prouver, que ce soit pour favoriser la réinsertion ou prévenir la récidive, comme l’a rappelé le ministre. « Une formation professionnelle va être plus efficace qu’un travail rébarbatif et peu formateur, mais c’est toujours mieux que de rester en cellule 24 heures sur 24 », glisse Cécile Marcel, qui rappelle qu’une personne sur deux est sans emploi à son entrée en détention.

La formation professionnelle y est encore très peu développée : selon le Ministère de la Justice, 8,4 % des personnes détenues ont pu y avoir accès en 2021. « C’est un gros problème, surtout depuis que cette compétence a été confiée aux régions en 2015, ajoute Cécile Marcel. Certaines ont complètement abandonné et n’investissent pas du tout dans la formation, comme l’Île-de-France. Il y a des disparités très importantes. »

« C’est un investissement à faire »

Si la directrice de l’OIP se réjouit que le garde des Sceaux s’empare du sujet du travail en prison, pour elle « il faut changer de braquet » et s’appuyer davantage sur des structures de l’économie sociale et solidaire, encore très marginales en détention et qui se heurtent à pas mal d’obstacles logistiques, sécuritaires et financiers.

« Il ne faut pas être dans une logique de rentabilité économique. C’est un investissement à faire, il faut subventionner l’emploi des détenus, estime-t-elle. C’est comme ça qu’on préparera leur sortie et leur réinsertion. S’ils ont un travail à leur sortie et que ça a du sens dans leur vie, ça contribuera au fait qu’ils ne soient pas réincarcérés. »

À Limoges, Mirna* n’a qu’un jour de repos total par semaine, mais elle ne s’en plaint pas, au contraire. « Si je n’avais pas ce travail, je ne serais plus là, affirme-t-elle. Travailler, sortir de sa cellule, s’occuper, ça fait du bien au cerveau. »

* Son prénom a été modifié à sa demande

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