"Je suis tranquille avec ma conscience": l'interview intégrale de Vata dans Rothen s’enflamme, 34 ans après Benfica-OM et la "main du Diable"

C’est l’un des plus grands traumatismes du foot français. Il y a presque 34 ans jour pour jour, le 18 avril 1990, l’OM était éliminé en demi-finale de la Coupe d’Europe des clubs champions après une défaite 1-0 sur la pelouse du Benfica Lisbonne, vainqueur sur un but extrêmement litigieux qui semble avoir été inscrit de la main par Vata.

Ce lundi, à trois jours du quart de finale aller de Ligue Europa entre l’OM et Benfica (jeudi à 21h), l’attaquant angolais était l’invité de l’émission Rothen s’enflamme, sur RMC. L’occasion, notamment, de retrouvailles avec Eric Di Meco, joueur de l’OM lors de ce match entré dans la légende.

Jérôme Rothen: Bienvenue Vata. C’est un honneur pour nous de vous recevoir car, a priori, vous ne vous êtes jamais reparlé avec Eric Di Meco. Donc là, c’est l’occasion…

Vata: Oui, oui, c’est bien. (sourire)

Eric Di Meco: On est des vieux monsieurs maintenant! C’était il y a 34 ans, on est vieux!

Jérôme Rothen: Eric, qu’as-tu envie de dire à Vata? Pas d’insultes, hein!

Eric Di Meco: Non (rire). On le répète, ça fait 34 ans. Cette main et cette action sont entrées dans la légende du foot. Pour nous, les Français, c’est un peu comme l’agression de Battiston à la Coupe du monde, la Main de Dieu de Maradona. Pour les Marseillais, c’est un traumatisme. J’ai toujours l’habitude de dire que cette compétition est tellement difficile à gagner qu’il faut souffrir pour la gagner. Et cet épisode à Benfica, dans le plus grand stade d’Europe avec une ambiance incroyable… Il fallait tenir le résultat devant 120.000 personnes. J’étais au marquage sur l’action. Je le vois tout de suite quand il fait le geste pour marquer le but. En réalité, à part (Jean) Castaneda et moi, on n’est pas nombreux à l’avoir vu la main de Vata.

Jérôme Rothen: On va lui poser la question. Vata, est-ce qu’il y a main ou pas?

Vata: Non, non, non, non…

Eric Di Meco: Mais non, Vata, quand même! Ca fait 34 ans! (rire)

Vata: Le joueur qui était à mes côtés était Di Meco. C’est lui qui était derrière. Avant que le ballon arrive, il était collé à moi et il m’a poussé. J’ai fait le mouvement. Il était venu avec moi mais était toujours derrière moi. Il était juste à côté. Quand le ballon est venu, il y avait un vent très fort sur le terrain et le ballon était très rapide. Je n’avais pas le temps de penser. Di Meco était avec moi, il avait la main sur moi. La façon que j’ai eu de mettre ma poitrine, le côté de l’épaule… Moi, j’ai appris à l’école qu’il y a la main, l’épaule, la poitrine, la tête… Je n’ai pas marqué de la main. Si c'était la main, le ballon n’aurait pas pu avoir cette vitesse. Avant ce match, on avait joué un autre match contre Marseille, ils ont perdu 1-0 aussi et c’est moi qui avais marqué le but.

Eric Di Meco: Et tu l’avais marqué de la main celui-là aussi? (rire)

Vata: (rire)

Eric Di Meco: Car Vata, il ne nous le dit pas: il est international angolais de football mais aussi de handball! (rire)

Vata: Non, mais c’est toi qui étais à côté de moi.

Eric Di Meco: Si tu veux dire que je fais une erreur de marquage ou que je te tiens, il n’y a pas de souci, je l’ai toujours reconnu. Je joue mal le coup. Mais les images quand même, c’est terrible! Tu les as revues quand même?

Vata: Même aujourd’hui, je te dis la vérité. On était jeunes. Quand je vous parle maintenant, je n’ai pas de policiers assis à côté de moi. Je suis seul. Je suis libre de parler. Si c’était avec la main, pourquoi je mentirais?

Eric Di Meco: Maradona n’a jamais dit qu’il avait fait la main, il a dit que c’était la main de Dieu, il ne l’a jamais reconnue. Tu sais que c’est parfois le subconscient qui te fait croire que tu n'as pas fait un geste qu’il ne fallait pas que tu fasses. Si tu montres la vidéo à 10 personnes, les 10 vont te dire qu’il y a main.

Vata: Sois franc, tu étais témoin. Si moi j’étais un joueur de Marseille, je dirais la même chose que toi. Je te comprends. Je respecte ton opinion. La façon dont le but est entré, si j’étais un joueur de Marseille, j’aurais la même opinion. On voulait tuer l’arbitre et me tuer à cause de ça. Mais l’arbitre, le pauvre, il ne pouvait pas voir. Il y avait beaucoup de gens au milieu.

Nicolas Vilas: L’arbitre de la rencontre vous traite de voleur et de tricheur. Qu’est-ce que vous lui répondez?

Vata: C’est lui qui était sur le terrain. Le maître, c’est lui. C’est comme un père qui est en train de parler à son enfant. C’est lui qui prend les décisions sur le terrain. Tu qualifies quelqu’un de voleur mais tu ne l’as pas attrapé? C’est lui qui pouvait. Il n’a pas douté de moi sur le centre. Il a dit qu’il y avait beaucoup de gens (dans la surface). Dire que je suis un voleur ou un voyou, c’est une façon de se défendre, car la pression qu’il avait… Moi aussi j’avais une grande pression quand j’étais à Lisbonne. Des gens connaissaient le téléphone de ma maison. Ils me disaient des choses… Mais c’est la vie de footballeur.

Eric Di Meco: Je reste persuadé que, dans ton subconscient, tu ne veux pas te l’avouer en réalité. Je comprends quand il dit que la police ne va pas le mettre en prison s’il dit qu’il a fait une main. Je pense que ça peut s’analyser psychologiquement. Tu te convaincs que tu n’as pas fait la main et ça ne me choque pas. Moi, je reste persuadé, comme tout le monde le voit sur la vidéo, qu’il n’y pas de doute.

Benoît Boutron: Est-ce que c’est quelque chose qui a marqué votre fin de carrière? Quelque chose qui vous a fait souffrir?

Vata: J’ai appris une chose dans la vie: tu peux faire ce que tu veux, tu peux mentir à tout le monde, mais tu ne peux pas mentir à ta conscience. Je n’aime pas avoir ma confiance perturbée. J’ai toujours cherché à avoir ma conscience tranquille. Jusqu’à présent, je suis tranquille avec ma conscience. Je suis honnête avec ma conscience. Je sais ce que j’ai fait. Dans le football, il y a toujours des surprises, des choses qui arrivent. Si j’avais marqué ce but en match amical, personne n’en aurait parlé.

Jérôme Rothen: Avez-vous reçu des menaces à la suite de ce but?

Vata: Beaucoup, beaucoup, beaucoup (il insiste).

Eric Di Meco: Tu retournes à Lisbonne de temps en temps?

Vata: J’étais chez moi en Angola. Je suis venu en Australie à cause de mes enfants. L’un de mes enfants avait un petit problème et j’étais obligé de venir pour rester avec mes enfants. J’attends que mes enfants aient 18 ans. À partir de là, je retourne en Angola, j’ai des choses à faire là-bas.

Eric Di Meco: Et Lisbonne? Car tu es toujours dans le cœur des supporteurs de Benfica…

Vata: Cette semaine, on a tenté de m’appeler. Ils m’ont dit qu’il fallait que j’aille jouer là-bas (rire). Ils m’ont dit: "Si tu peux jouer seulement sept minutes." (rire)

Jérôme Rothen: Après ce match, le président de l’OM, Bernard Tapie, était très énervé. L’avez-vous croisé?

Vata: C’était difficile, je ne pouvais pas. Bernard Tapie était quelqu’un qui était très fort sur le sport. Je l’admirais beaucoup. Qui que ce soit, dans cette situation-là, peut se sentir mal. Mais quand le mal vient, il y a toujours le bonheur qui arrive. Il a fait les efforts pour mener l’OM jusqu’au titre de champion d’Europe. Après le match, il a dit "Je sais comment je peux faire pour gagner" etc.

Jérôme Rothen: En gros, c’est un peu grâce à vous que l’OM a gagné la Ligue des champions en 1993? (sourire)

Vata: Non (rire). Ce que je veux dire, c’est qu’on apprend avec les erreurs. Ils ont appris beaucoup de choses, ce sont des choses qui arrivent dans la vie.

Eric Di Meco: En réalité, les regrets qu’on doit avoir sont sur le match aller. On a beaucoup d’occasions et on n’arrive pas à gagner plus que 2-1.

Nicolas Vilas: D’ailleurs, Eric, t’as souvent dit que c’était le pire match de ta carrière…

Eric Di Meco: Oui, oui. Moi personnellement. Je suis concerné sur le but de Lima au match aller, je suis au marquage. Je me fais d’ailleurs tirer les oreilles par Gérard Gili. C’était mon inexpérience européenne qui avait péché ce soir-là. On avait eu plein d’occasions. Enzo Francescoli avait été extraordinaire mais n’avait pas marqué. Il aurait pu marquer un ou deux buts de plus et le match retour aurait été autre chose. Car avec un but d’avance, au stade de la Luz devant 120.000 personnes… Plus ça allait, plus c’était dangereux. L’accident arrive car on n’avait pas su tuer le match à l’aller, c’est tout.

Vata: C’est vrai. Au match aller, je n’étais pas là. L’entraîneur m’a dit qu’il avait plus besoin de moi à Lisbonne qu’à Marseille. Il m’a dit qu’il n’avait pas besoin de moi à Marseille car il voulait que je joue le match à la maison.

Jérôme Rothen: Vous avez fait référence à la phrase de Bernard Tapie, quand il dit qu’il a compris comment gagner une Coupe d’Europe. Il vous accuse de triche, alors?

Vata: C’est normal. Si moi aussi j’étais le président, dans sa position, je dirais la même chose. Tout ce que les gens disaient, je respectais. C’est la vie. Personne n’est content quand il perd. Je respecte. Je n’avais pas de soucis avec ce qu’il disait. Mon souci était de gagner le match.

Jérôme Rothen: Eric, après ces explications de Vata et cette réconciliation, est-ce que tu lui pardonnes?

Eric Di Meco: (rire) Il n’y pas de réconciliation, je n’ai jamais été fâché avec Vata. (...) Qu’est-ce que tu deviens d’ailleurs Vata maintenant?

Vata: Je suis avec mes enfants et j’aide les enfants ici (en Australie). Je me suis séparé de la maman de mes enfants donc je suis à la maison et je fais tout pour mes enfants. Je fais à manger, j’emmène les enfants à l’école… Je suis fier de faire ça. En Angola, j’ai créé l’équipe de football de plage, dont je suis président. J’ai été obligé de tout laisser pour venir en Australie.

Jérôme Rothen: Pour finir, après toutes ces explications, tu nous confirmes sur la tête d’Eric que tu n’as jamais fait main? (sourire)

Vata: Non, non, non… Il en est témoin, non? (rire) Quand on va au tribunal, on cherche le témoin non? Eric était le témoin! (...) Eric, ce que je peux te dire, c’est que tu es un homme bien et un bon joueur, que j’admire beaucoup. Tu as fait beaucoup de belles choses. Pour moi, c’était un grand plaisir de parler avec vous tous et surtout avec toi, Eric. C’était la première fois qu’on se parlait. Je te considère comme l’un des meilleurs défenseurs.

Eric Di Meco: C’est gentil, merci d’avoir pris la peine de parler avec nous.

Article original publié sur RMC Sport