Tour de France: "Il faut s’attendre à souffrir", comment le peloton appréhende les très fortes chaleurs

Il en est déjà à sa "cinquième bouteille d’eau" depuis le début de matinée. Et tout indique qu’il va bientôt mener une expédition chez le marchand de glaces qu’il ne cesse de fixer. Johan le reconnaît, il ne s’attendait pas à "mourir de chaud" à ce point. Étudiant en arts plastiques à Aalborg, au nord du Danemark, il a décliné des vacances entre amis en Espagne pour filer en Toscane avec sa copine et assister au départ du Tour de France. "Il fallait absolument que je sois là pour soutenir le meilleur coureur du monde: Jonas Vingegaard", dit-il, sourire aux lèvres et casquette de la Visma-Lease a bike vissée sur la tête, à l'approche du lancement de la première étape depuis le Parco Delle Cascine. "J’espère juste ne pas repartir d’ici avec trop de coups de soleil", s’inquiète-t-il, avant de se rapprocher des bus des équipes en quête d’un autographe ou d’une photo souvenir.

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Il faut dire que le décor a bien changé entre Bilbao, où le Tour 2023 s’était élancé l’année dernière sous un ciel capricieux, et Florence, transformée pour ces premiers jours d’été en une belle fournaise. A 11h, le thermomètre flirte déjà avec les 32°C et devrait atteindre les 37°C au cours de la journée. Ce qui nécessite forcément quelques ajustements au sein du peloton pour préparer les organismes et éviter toute déshydratation, malaise ou perte de vigilance. "L’équipe appréhende, on va devoir être mobilisés pour assister les coureurs tout au long de l’étape", confirme Cédric Vasseur, manager de Cofidis, qui rappelle "qu’un départ à 35°C, ça n’arrive pas souvent sur les routes du Tour".

"Ça va marquer les organismes"

"On est là depuis mardi, on a pu avoir une petite période d’acclimatation au niveau de la chaleur. Mais on n’a pas encore fait d’efforts intenses. Ça va être un choc, mais tous les coureurs sont prêts et affûtés. Ils auront tous les éléments nécessaires pour se rafraîchir, avec des bidons d’eau fraîche et des poches de glaçons. L’idée, c’est qu’ils soient dans les meilleures dispositions pour aborder le final", explique-t-il. Avec 3600m de dénivelé positif et sept côtes répertoriées, dont celle de Saint-Marin (7,1km à 4,8%), les organisateurs du Tour ont réservé une mise en bouche spectaculaire aux 176 coureurs engagés sur cette 111e édition. Un sacré programme, encore plus lorsqu’il faut s’y attaquer sous un soleil de plomb, avec la crainte pour beaucoup de voir les UAE de Tadej Pogacar imposer d’entrée un rythme d’enfer pour essorer la concurrence.

"Entre le dénivelé, la température et la durée de l’étape (206km, plus de cinq heures de courses), ça s’annonce particulier à gérer. Je pense qu’on peut voir, non pas des défaillances de favoris pour le général, mais des surprises. Ça va marquer les organismes", prévient le grimpeur normand Guillaume Martin (Cofidis), qui connaît la recette pour éviter le coup de bambou. "Il faut évidemment veiller à bien s’hydrater pour avoir les ressources suffisantes en eau. Ce sera un peu la course au bidon pendant l’étape", prévient-il. Si l’eau est surtout utilisée par les coureurs pour s’asperger et s’offrir une pause fraîcheur, les boissons riches en minéraux contenues dans les bidons permettent de compenser la perte hydrique. Concrètement, le conseil est de boire encore et encore. Idéalement toutes les 20 minutes.

Des entraînements spécifiques en pleine chaleur

"En plus de la déshydratation, le gros risque, c’est l’hyperthermie, c’est-à-dire que la température corporelle monte trop haut avec des signaux d’alarme comme un sentiment de désorientation ou une perte d’équilibre. Il faut en même temps que les coureurs s’alimentent assez pour ne pas se retrouver en situation d’hypoglycémie", détaille le docteur Cyril Barthomeuf, médecin pour Decathlon-AG2R La Mondiale. Dans ces conditions, le rôle des "porteurs d’eau", ces coureurs chargés de redescendre aux voitures pour aller chercher des bidons et les remonter pour les autres, devient essentiel. Comme la préparation effectuée en amont par certaines équipes pour survivre au mieux dans cette rôtissoire.

"Tout le peloton craint les premières chaleurs parce que malheureusement on a eu un début de saison catastrophique en termes de météo. Chez nous, Felix Gall était en montagne il y a encore quelques jours avec pas forcément du beau temps donc il faut du temps pour se réacclimater. On a essayé avec le cercle médical et les entraîneurs de durcir les conditions. Les coureurs ont par exemple fait du rouleau devant le bus, en pleine chaleur, sur des séances de 20-30 minutes, pour un peu s'acclimater. Certains coureurs, qui sont très sensibles, ont aussi fait des entraînements spécifiques sous la chaleur", témoigne Vincent Lavenu, manager de Decathlon-AG2R La Mondiale, convaincu que cette première étape disputée en plein cagnard jusqu’à Rimini "va apporter son lot de surprise, peut-être même chez les meilleurs coureurs du Tour".

Dix à quinze bidons par coureur

"On vient de faire un brief ce matin pour rappeler à tout le monde l’importance de boire régulièrement et de s’arroser. Les assistants seront également là sur les bords de route pour leur distribuer de l’eau fraîche, de la glace. Avant le départ, l’idée est qu’ils restent au maximum dans le bus. Pendant l’étape, on s’attend à ce qu’ils utilisent deux à trois bidons par heure, ça représente dix à quinze bidons par coureur, soit cinq à huit litres d'eau par coureur. A l’arrivée, on leur donnera des gilets de froid pour faire baisser le plus possible la température corporelle. Les coureurs sont aussi pesés avant et après l’étape, la différence de poids permettra de comprendre combien ils ont perdu de litres d’eau. Tout au long de la soirée, il faudra veiller à ce qu’ils se réhydratent ", développe Cyril Barthomeuf.

Revenu récemment d’un stage en Sierra Nevada, au sud de l'Espagne, Kévin Vauquelin n’est lui pas spécialement inquiet. "Là-bas, il faisait 35°C en bas de la montagne, donc j’ai déjà vécu ces fortes chaleurs. Et aujourd’hui on a prévu tout ce qu’il faut en termes de glace et de ravitaillement. Mais c’est sûr qu’il faut s’attendre à souffrir sur le vélo dès le début", glisse le grimpeur d’Arkéa-B&B Hotels, davantage excité que craintif à l’heure de faire ses débuts sur le Tour de France, à 23 ans. Pas de grosse inquiétude non plus chez Paul Lapeira, le nouveau champion de France sur route. "La météo n’a pas été formidable cette année, on n’a pas souvent été confrontés aux grosses chaleurs. Mais c’est pareil pour tout le monde et il faut être prêt à affronter cette chaleur", confie le coureur de Decathlon-AG2R La Mondiale, lui aussi aligné sur son premier Tour à 24 ans.

Une fois la ligne d’arrivée franchie, tous auront donc une priorité: refroidir la température corporelle en s’immergeant dans une bassine de glaçons, en enfilant un gilet réfrigéré ou en faisant... un petit détour par le marchand de glaces. Avant de remettre ça dès dimanche. Le mercure devrait une nouvelle fois dépasser les 30°C pour le départ de la 2e étape à Cesenatico.

Article original publié sur RMC Sport