Tour de France 2023 : face à la canicule, les petites techniques ne suffiront plus très longtemps

Deuxième du classement général du Tour de France, Tadej Pogacar a souffert de la chaleur comme tout le peloton à l’occasion de la 9e étape qui s’achevait dimanche 9 juillet au sommet du Puy de Dôme.
Deuxième du classement général du Tour de France, Tadej Pogacar a souffert de la chaleur comme tout le peloton à l’occasion de la 9e étape qui s’achevait dimanche 9 juillet au sommet du Puy de Dôme.

SPORT - « La marmite a surchauffé, le couvercle avait sauté déjà donc je savais que ça allait être de la survie. » En arrivant au sommet du Puy-de-Dôme, Romain Bardet a pointé l’une des causes de sa contre-performance : la chaleur. Si la première semaine du Tour de France avait été relativement épargnée par la canicule, cette dernière est arrivée dimanche et elle sera encore au rendez-vous de la 10e étape qui a lieu ce mardi 11 juillet entre Vulcania et Issoire.

Pédaler sous le cagnard peut avoir des conséquences dramatiques, du coup de chaud à l’arrêt cardiaque, obligeant les entraîneurs et sportifs à une vigilance permanente. Un « protocole températures extrêmes » a été créé en 2015 par Union cycliste internationale (UCI) afin d’assouplir les règles en cas de très fortes chaleurs : le lieu du début et de la fin des étapes peut être modifié, le délai d’arrivée augmenté, tout comme le nombre de points de ravitaillement sur la course… Mais pour les entraîneurs et les médecins des équipes, alors que les vagues de chaleur sont de plus en plus fréquentes et intenses, ce protocole n’est plus suffisant.

Frédéric Grappe, directeur de la performance de l’équipe cycliste professionnelle Groupama-FDJ, et chercheur en science du sport, détaille au HuffPost les coulisses de la préparation de ses coureurs. Car si en 2023, il est encore possible de contrecarrer les effets de la chaleur, le scientifique estime qu’il est temps de réfléchir à adapter de façon pérenne les compétitions dans un contexte de changement climatique.

Comment préparez-vous vos coureurs à supporter les canicules sur le Tour de France ?

La chaleur est un vrai facteur limitant de la performance, donc c’est un nouveau paramètre à prendre en compte dans la préparation des coureurs. Il y a quelques années, on partait s’entraîner dans du grand froid, sous des averses, désormais toutes les équipes font leur stage en Espagne.

Pour se prémunir des canicules, on a mis en place des entraînements d’« acclimatation à la chaleur » dont les plus classiques consistent à pédaler dans des environnements chauds. Ensuite, il y a aussi les entraînements en chambres chaudes : l’athlète s’entraîne dans une « thermo training room », une cabine dans laquelle on peut monter la température et régler le niveau d’hydrométrie. C’est souvent très cher, et certaines équipes n’en ont pas. Alors, des athlètes mettent en place chez eux une salle spécifique et recréent un climat chaud grâce à des radiateurs et des humidificateurs.

Il y a aussi des entraînements dits « passifs » : après un effort, les coureurs doivent plonger leur tête dans un bain chaud pendant 15-20 minutes. Le but est de les habituer à garder une température corporelle à un niveau élevé. C’est très désagréable, parce que bien évidemment après un effort de haute intensité, on a juste envie de se jeter sous une douche froide. Autre alternative : le sauna, qui permet aussi de garder la température interne en « zone rouge », supérieure à 38 degrés.

Jusqu’à quelle température interne le corps des cyclistes peut-il monter pendant un effort sous la chaleur ?

Au-dessus de 40 degrés. À partir de cette température, le corps développe des mécanismes de protection et fait tout pour que vous cessiez toute activité sportive. Et heureusement que ça existe, sinon il y aurait des morts sur les courses à cause de la chaleur.

On connaît ce seuil car, ces dernières années, on a réalisé de nombreuses mesures de la température interne des coureurs en condition réelle. Pour la mesurer, les athlètes ingurgitent de petites gélules avant l’entraînement. Ces mesures nous ont beaucoup appris : les coureurs répondent plus ou moins bien à la chaleur, certains ont des montées en température sur des terrains en particulier, d’autres récupèrent mieux… Et ces résultats nous permettent d’améliorer la réponse des coureurs quand leur corps est en surchauffe.

Thibaut Pinot, connu pour détester la chaleur, est un bon exemple de coureur qui a appris à mieux la supporter. Il a acheté un sauna, il a suivi les entraînements spécifiques, et aujourd’hui son corps a développé des mécanismes d’adaptation.

« Il faudrait réfléchir à adapter les distances des courses : au lieu de courir six heures sous des chaleurs accablantes, on pourrait les raccourcir à deux heures. » Frédéric Grappe, directeur de la performance de la Groupama-FDJ

Quelles sont les techniques et astuces sur le Tour qui permettent de faire baisser la température interne des coureurs ?

Déjà, tout est une question de gestion de l’effort. Les cyclistes doivent se ménager et ne pas trop monter en intensité, car il est quasiment impossible de refaire baisser sa température corporelle en pleine canicule.

Et on a des stratégies de refroidissement. On met des glaçons des bas en nylon pour se rafraîchir le dos et la nuque pendant la course. Pour huit coureurs, sur une étape, on utilise au moins 100 bidons d’eau, c’est énorme. Et ça pose d’ailleurs des questions logistiques. Mais ça reste du bricolage et ce n’est plus suffisant, on va finir pas avoir des coureurs qui ne pourront plus récupérer.

Malgré votre travail pour aider les coureurs à mieux s’acclimater à la chaleur, comment la hausse de l’intensité des canicules altère leur performance ?

À l’avenir, en plus de la multiplication des abandons, les coureurs rouleront moins vite pour que leur température interne reste à un niveau acceptable. On ira vers des courses avec de moins en moins d’accélération durant lesquelles les cyclistes vont chercher à lisser leur effort pour tout jouer dans les derniers kilomètres.

Il est aussi possible qu’on arrive à des niveaux de températures tels, qu’il ne sera plus acceptable de courir. Avec le médecin de la Groupama-FDJ, on se pose la question du futur des courses : à quel moment les compétitions cyclistes l’été seront-elles une atteinte à la santé ? Est-ce que ça à encore du sens de demander à des athlètes de faire un tel effort sous le cagnard ?

Comment pourraient évoluer les courses dans un contexte de changement climatique ?

Il faudrait réfléchir à adapter les distances des courses : au lieu de courir six heures sous des chaleurs accablantes, on pourrait les raccourcir à deux heures. Il serait aussi nécessaire de faire évoluer les parcours, avec davantage de points de rafraîchissement, surtout sur les étapes de montagne. Sur le Tour 2022, je me souviens que sur certaines étapes, il n’y avait que trois arrêts où l’on pouvait « glacer » les coureurs.

Les organisateurs devraient, enfin, se pencher sur le fait d’avancer le calendrier des courses ou interdire plus fréquemment les compétitions sous certaines conditions, comme cela se fait pour le ski de fond ou en biathlon quand l’air est trop frais et devient irrespirable.

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