Tahnee : « La prise de parole de Muriel Robin m’a fait beaucoup de bien en tant qu’humoriste lesbienne » - Témoignage

Tahnee sur scène en 2022
Laura Gilli Tahnee sur scène en 2022

TÉMOIGNAGE - La scène m’a toujours fait rêver. De la danse au théâtre d’improvisation, c’est sur scène que je me suis affirmée et que j’ai pris confiance en moi. Après mes études, inspirée par les cassettes vidéo d’humoristes que je regardais en boucle quand j’étais petite, j’ai décidé que j’avais envie de faire rire à mon tour, et c’est l’humour que j’ai eu envie de porter sur scène. J’ai pris des cours, fait des stages et en 2016, quand le stand-up a explosé en France, c’est ce format que j’ai choisi pour me lancer.

C’est aussi le moment où j’ai fait mon coming out en tant que lesbienne. Naturellement, c’est ça que j’ai eu envie de partager avec le public : ce qu’on vit quand on se découvre lesbienne, mes premières soirées queers à Paris, les doubles discriminations que je pouvais subir en tant que métisse et lesbienne...

« Tu es drôle, mais tu parles trop de ton homosexualité »

C’est là que j’ai repensé à Muriel Robin, qui faisait partie des humoristes que je regardais enfant et qui, à l’époque, était une des seules comédiennes out. Je me suis réintéressée à ses sketchs, au spectacle dans lequel elle aborde le sujet. J’ai découvert le travail de Shirley Souagnon qui a été une grande inspiration pour moi, celui d’Océan aussi avec La lesbienne invisible. Leur travail m’a permis de me dire : « Ok, il y a un public et des endroits qui programment des personnes qui parlent du fait d’être lesbienne. Si ça existe, je peux le faire. »

Dans le même temps, mon début de carrière s’accompagnait de beaucoup de doutes et de peur. Aussi bien des humoristes que des professionnels du milieu m’ont rapidement fait comprendre, à grand renfort de remarques, qu’en parler n’était pas une bonne idée. « J’aimerais bien travailler avec toi mais je pense que tu fais une erreur en parlant trop des lesbiennes », « T’es pas que lesbienne, t’es drôle aussi », « Un spectacle entier sur le fait d’être lesbienne c’est beaucoup», «Tu devrais pas hésiter à parler d’autres sujets... »« 

Pourtant, sur scène, tous les humoristes racontent leur vie. Certains font des spectacles entier sur le foot, sur la politique ou sur la mort, et je ne vais pas leur demander de parler d’autre chose. Alors c’est quoi, le souci avec ce que j’écris ? Ce que j’ai ressenti, c’est une vraie réticence à voir quelqu’un aborder ouvertement les vécus LGBTI dans le monde de la comédie. Comme si ça allait me fermer des portes, me faire perdre un public, me limiter... À chaque réflexion, je répondais : « Pour l’instant, c’est de ça que j’ai envie de parler ». Mais à chaque fois, j’étais heurtée. Je débutais dans le milieu, je n’y connaissais rien, et je me disais « Peut-être qu’ils ont raison, peut-être que je vais être exposée à des réactions très homophobies. »

Offrir aux autres les modèles dont on a manqué

La colonne vertébrale de mon spectacle, c’est ce que j’ai vécu : le manque de représentations, le manque de modèles. C’est étrange à dire, mais j’ai appris l’existence des lesbiennes assez tard dans ma vie. Je voyais parfois des hommes gays représentés, mais jamais de femmes homosexuelles, dont je ne connaissais que des clichés qui n’avaient rien à voir avec ce que je ressentais. C’est pour ça qu’en parler est aussi important. Ca me permet d’offrir à d’autres ce dont j’ai manqué, ces modèles, ces représentations tellement invisibilisées. Mais même si dans le milieu de la comédie certaines personnes en sont conscientes, je continue à sentir une gêne. J’ai comme l’impression que si je parlais d’autre chose dans mes spectacles, j’aurais un peu plus d’opportunités.

Depuis plusieurs mois, je me questionne. On me qualifie d’humoriste « engagée » parce que je parle de mon homosexualité. En réalité, je raconte juste ma vie, et il s’avère que j’ai une copine. Quand je raconte ce que je vis avec elle, je suis catégorisée comme militante - ce que je peux comprendre, dans un contexte d’invisibilisation et d’homophobie. Mais quand un humoriste raconte des « blagues » transphobes, homophobes ou sexistes, il n’est pas considéré comme militant. On dit qu’il est « provocateur », qu’il fait de l’humour trash. Pourtant, c’est aussi un engagement qu’on ne nomme pas. Pourquoi eux, on ne les interroge jamais là-dessus ?

« Qu’est-ce qu’on fait des LGBTphobies dans le milieu du spectacle ? »

C’est une des questions fortes qu’a posé Muriel Robin sur le plateau de Quelle époque. Qu’est-ce qu’on fait des LGBTPhobies dans le milieu du cinéma, dans le milieu du spectacle, de la culture ? Est-ce qu’on les prend au sérieux, ou est-ce qu’on continue à faire comme si elles n’existaient pas ? Cette prise de parole m’a fait beaucoup de bien et j’espère qu’elle a touché beaucoup de monde : ça manquait, en France, qu’une lesbienne connue pousse un coup de gueule.

J’aimerais cependant y ajouter quelque chose. Une partie de son discours m’a beaucoup attristée, quand elle invite les jeunes homosexuels à taire leur orientation sexuelle pour faire carrière au cinéma. Je ne veux pas parler pour le monde du grand écran, que je ne connais pas, mais dans le monde de l’humour, j’ai envie de dire l’inverse. Il faut montrer qu’on est là, montrer qu’on a de l’humour et qu’on a un public. C’est ce que nous faisons avec le Comédie Love, un plateau de stand up bienveillant qui prône l’acceptation de soi et des autres, et j’en suis très fière. Nous continuons à ouvrir des portes derrières celles que Muriel Robin, Shirley Souagnon et tous les autres humoristes queers ont ouvertes avant nous et j’espère continuer à suivre la route qu’iels ont commencer à tracer, pour nous et pour celles et ceux qui viendront après.

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