On a suivi l’armée française en exercice avec l’Otan en Estonie

Le HuffPost a suivi un exercice de l’Otan avec l’armée française à Tapa, en Estonie.
Lucie Hennequin / Le HuffPost Le HuffPost a suivi un exercice de l’Otan avec l’armée française à Tapa, en Estonie.

OTAN - En pleine forêt estonienne, au détour d’un chemin, un char est dissimulé sous un camouflage fait de branches de sapin. Plus loin, une salve de tirs résonne entre les arbres. À Tapa, à une centaine de kilomètres de la frontière avec la Russie, 1 300 militaires de l’Otan ont participé mi-octobre à un exercice, « Bold Hussar », un entraînement grandeur nature. Le HuffPost les a suivis en immersion, comme vous pouvez le voir dans la vidéo ci-dessus.

D’un côté, il y a des troupes britanniques, françaises et danoises. De l’autre, des Estoniens et d’autres soldats britanniques. Le scénario de la bataille, conçu par l’armée estonienne, dure une semaine, alternant les phases offensives et défensives entre les « battle groups ». L’objectif : apprendre à combattre dans des conditions dites « de haute intensité » - c’est-à-dire faisant s’affronter des armées de taille et forces égales.

Ce 11 octobre, nous retrouvons au petit matin des militaires du 7e bataillon de chasseurs alpins (BCA), une unité d’infanterie de l’Armée de terre spécialisée dans le combat en montagne et par grand froid. Ils sont motorisés en véhicule d’avant-blindé (VAB) et font partie de la « mission Lynx » et des 300 soldats français stationnés en Estonie dans le cadre de l’OTAN.

Ils sont à mi-parcours de l’exercice et ont passé la nuit dans la forêt. La température avoisine les 0°. Le sergent Enzo frappe ses mains gantées pour y faire circuler le sang. « C’est une légende qui circule, ça, que le chasseur alpin, le froid ça ne le dérange pas ! La météo indique 0, ressenti -3 », sourit-il. Le grand froid n’est pas encore là : en hiver, la température en Estonie atteint les -20°.

Le froid, c’est l’une des raisons pour lesquelles les Griffons, des véhicules blindés multi-rôles modernes, n’arriveront qu’en mars 2023. Car l’armée française a décidé depuis le début de la guerre en Ukraine de maintenir son bataillon en permanence en Estonie et non d’alterner, comme c’est le cas habituellement, avec le Danemark. Sur la base, les effectifs sont plus nombreux que prévus mais les infrastructures n’ont pour l’instant pas suivi.

« Ils vont vite se faire taper dessus »

Contre le VAB, une cigarette à la bouche, un soldat réchauffe son casque sur le pot d’échappement avant de l’enfoncer sur sa tête. Le lieutenant Guillaume, face au rétroviseur, parfait son maquillage camouflage. L’objectif de la journée, c’est « d’appuyer » des chars anglais. « Dès qu’il y a un souci, qu’ils sont pris en embuscade, c’est à nous de débarquer et de réduire la menace, explique-t-il depuis la trappe qui mène au toit du VAB. Et on va vite débarquer parce qu’ils vont vite se faire taper dessus. »

Un dernier contrôle radio et c’est parti. Un thermos de café circule de main en main, dans le véhicule. Les militaires s’équipent de munitions, marquées de jaune, pour signifier que ce sont des balles à blanc. Le calme du petit matin sera de courte durée : les militaires débarquent très vite pour « sécuriser un obstacle génie ». Aussitôt hors du véhicule, c’est l’embuscade entre les sapins.

Deux blessés par balle

Dès le début de l’offensive, deux soldats français sont blessés par balle, touchés par un véhicule blindé ennemi, dissimulé, qui a ouvert le feu. « Ça fait cinq minutes qu’on est partis, je suis dégoûté », souffle l’un des deux blessés, équipé d’une « Minimi », un fusil-mitrailleur. La simulation se fait jusqu’au bout : des « tourniquets » - des garrots - sont posés sur les jambes des deux hommes, qui sont déshabillés et « stabilisés » en vue d’être exfiltrés vers l’hôpital de campagne de la base arrière.

Des arbitres estoniens sont là, tout le long de l’exercice, pour suivre le scénario prévu, freiner certains, dire qui est blessé. Ils portent de petits fanions bleus sur leur gilet pare-balles. Un fumigène est envoyé pour faire une couverture visuelle et extraire les blessés. Les militaires rembarquent dans leur véhicule. « On continue la mission avec joie et ceux qui restent », sourit le sergent Enzo. Le trajet ne dure pas longtemps.

Les attaques s’enchaînent, dans un paysage uniforme, fait d’arbres et de tanks, sans aucun relief, avec boue et marécages à la clef. L’objectif, c’est d’acquérir le « drill », des réflexes de combat. C’est la répétition qui permet aux soldats d’exécuter sans hésitation, rapidement et sans faute, les manœuvres qu’il faut en situation de stress. Et donc de guerre de haute intensité, qu’aucun d’entre eux n’a pour l’instant connu.

« On est partis pour que ce soit très long, confirme le lieutenant Guillaume. À chaque virage, ils mettent un obstacle et à chaque obstacle, ils font une embuscade sur le côté. Et le temps qu’on intervienne, ils se barrent. » La coordination entre les Britanniques et les Français se fait par radio. Chaque armée à son propre système de communication et des agents de liaison sont présents pour faire le lien.

Des couacs de communication

Ce qui donne parfois lieu à des couacs. Quelques instants et blessés plus tard, le VAB français fonce à vive allure dans un champ de mines. « Bah t’as pété ! », s’écrie le sergent Enzo depuis le bas-côté de la route, en direction du véhicule. Une information provenant des Britanniques s’est perdue en chemin.

« Les Anglais ont rendu compte que la route était safe, alors qu’en fait la route n’était pas safe, décrypte le sergent. Il y avait un itinéraire de contournement, sauf qu’on ne nous l’a jamais dit et la zone n’était pas balisée. » Pas toujours facile de travailler en « interopérabilité », terme cher aux militaires, ce qui signifie entre armées de différents pays. Et qui est l’un des objectifs de l’exercice.

Le matériel n’est pas le même, les règles d’engagement, qui déterminent comment les militaires peuvent employer leurs forces et comment, non plus. « Les normes OTAN sont des normes de fonctionnement et pas de procédure », détaille un militaire.

Concrètement, sur le terrain, chaque armée a ses propres règles de combat. « Les Estoniens, par exemple, n’ont pas les mêmes règles de guidage des tirs d’artillerie, nous explique-t-on. Donc ça pleut de partout. » Lorsque l’on interroge les soldats britanniques, estoniens et français, la difficulté principale invoquée reste la barrière de la langue. « Mais c’est le but de l’exercice, de travailler tout cela ! », souligne-t-on.

« On n’est jamais prêts »

Le soir commence à tomber. Si les véhicules ont pour consigne de s’arrêter de rouler à 19 heures, pour des raisons de sécurité, les combats eux continuent. À la nuit tombée, les chasseurs alpins ne savent pas de quoi la nuit sera faite. « On attend les ordres qui vont tomber, sourit, impassible, le lieutenant Guillaume. On est censés se retrouver sur un point et bivouaquer en sécurité, mais si ça se trouve pas du tout et on va repartir pour la nuit. »

Cet exercice, qui a lieu plusieurs fois par an, vient clôturer la mission des chasseurs alpins, qui seront restés 5 mois en Estonie. Et qui seront « relevés », remplacés, ensuite. Habituellement, le bataillon français alterne avec un bataillon danois. Mais depuis le début de la guerre en Ukraine, la France a décidé de maintenir son bataillon sur place de manière permanente, jusqu’en 2024.

Si l’Ukraine n’est jamais mentionnée lors de l’exercice, elle est présente dans les esprits, alors que la frontière avec la Russie est proche. « Est-ce qu’on est prêts pour un combat de haute intensité ? Oui, assure le lieutenant Guillaume. Après est-ce qu’on est prêts vraiment à affronter le jour J des vrais obus et des vraies balles… Non, on n’est jamais prêts. En revanche on s’en rapproche. »

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