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Suicide de Lucas : le programme pHARe est-il vraiment efficace pour lutter contre le harcèlement scolaire ?

Plusieurs centaines de personnes ont participé à une marche en hommage à Lucas, un collégien de 13 ans, victime de harcèlement, qui a mis fin à ses jours début janvier.
fizkes / Getty Images/iStockphoto Plusieurs centaines de personnes ont participé à une marche en hommage à Lucas, un collégien de 13 ans, victime de harcèlement, qui a mis fin à ses jours début janvier.

ÉCOLE - Dimanche 5 février à Épinal, une marche blanche a rendu hommage à Lucas, collégien de 13 ans victime de harcèlement et d’homophobie, qui a mis fin à ses jours début janvier. Selon le rectorat, l’adolescent et sa mère « avaient fait état de moqueries à la rentrée de septembre » et les faits avaient été « immédiatement pris au sérieux par les équipes du collège ». L’établissement était par ailleurs « engagé dans le dispositif pHARe de lutte contre le harcèlement ». Mais en quoi consiste ce programme et quelle est son efficacité ?

Déployé dans les collèges et les écoles primaires, le plan pHARe est un dispositif de lutte contre le harcèlement à l’école, mis en place par l’ex-ministre de l’Éducation Jean-Michel Blanquer en 2020. Il a, dans un premier temps, été testé pendant deux ans dans six académies, avant d’être étendu à tous établissements de premier et second degrés en septembre 2022.

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Selon les professionnels interrogés, si ce dispositif « n’a rien inventé », il permet de regrouper et mutualiser des outils existants. « Le programme n’a fait que mettre en musique tout ce que l’on demande, ce qui en soit n’est pas une mauvaise chose, reconnaît Olivier Raluy, CPE dans un collège REP + de Clermont-Ferrand et secrétaire national du Sness-FSU. Mais le problème, c’est le manque de moyens. »

Des équipes de référents

Parmi les « huit piliers » du programme, il est indiqué de « mesurer le climat scolaire », « prévenir les phénomènes de harcèlement » ou « former une communauté protectrice de professionnels et de personnels pour les élèves ». Cinq personnes-ressources par établissement doivent être formées à prendre en charge les situations de harcèlement et être identifiées comme telles. Ce qui est déjà mis en place dans certains établissements, comme le collège où travaille le CPE Olivier Raluy.

« Souvent, les collègues peuvent se sentir dépassés et, par manque de temps, avoir tendance à minimiser, ne serait-ce que pour se rassurer. Ils ne sont pas indifférents, mais quand on est pris dans le maelstrom d’un travail éreintant, on n’a pas forcément les bons réflexes, explique-t-il. D’où l’importance d’avoir une équipe référente qui va prendre la situation en main, voir les protagonistes, défricher et décrypter les faits, voir les parents et faire le lien avec les équipes. Y compris pour des situations qui peuvent sembler anodines. »

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Une formation « pas à la hauteur »

Chaque référent doit bénéficier de huit journées de formation, échelonnées sur deux ans. Une formation qui n’est « pas à la hauteur », selon les professionnels interrogés. « Souvent, c’est de l’autoformation à travers des visios et des vidéos, un peu comme des mooks, explique Olivier Raluy. Ce sont des modules préparés par le Ministère, qui ne sont pas mal faits, mais qui ne sont pas au niveau de l’ambition qu’on aurait pu espérer sur ce sujet. »

Pour Guislaine David, secrétaire générale et porte-parole du SNUipp-FSU, qui représente les instituteurs et professeurs des écoles, ces formations ne permettent pas de discuter du fond. « Ce qui est important, c’est l’échange entre pairs, le partage d’expérience sur certaines situations, des apports de chercheurs. Ce n’est pas mis en place et ça manque », souligne-t-elle.

La sociologue Johanna Dagorn, membre de l’Observatoire International de la Violence Scolaire, parle de « saupoudrage ». « Il n’y a aucun travail sur le fond, de ce que m’en disent les équipes, c’est assez sommaire », dénonce la chercheuse qui connaît bien le sujet, puisqu’elle a été en charge de la lutte contre les violences sexistes à la délégation ministérielle chargée de la prévention et de la lutte contre les violences en milieu scolaire de 2012 à 2014.

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Un manque de temps pour la concertation et la coordination

Autre écueil : les enseignants manquent tout simplement de temps. « En primaire, on a très peu de possibilités de partir en formation », rappelle Guislaine David, qui ajoute : « Les référents ne sont pas déchargés de classe pour autant. Donc c’est en plus. »

Dans les établissements en REP (réseau d’éducation prioritaire) et REP +, les enseignants ont droit à des « temps de concertation », dédiés à la coordination d’équipe, aux relations avec les parents ou à l’élaboration et au suivi des projets. « Dans mon établissement, les cours s’arrêtent pour tout le monde le mardi de 15 h 30 à 17 h 30 et on se garde deux heures où tout le monde est là », indique Olivier Raluy. Ces moments peuvent permettre des échanges de fond autour des questions de harcèlement, mais cette option n’est mise en place que dans ces établissements, ceux hors-REP et REP+ doivent se coordonner sur le temps libre du personnel.

Et même dans les écoles primaires en REP et REP+, ces temps de concertation ont souvent du mal à être mis place « faute de profs remplaçants ». « Et puis, ils ne sont pas dédiés qu’à ça, souligne Guislaine David. Ils sont souvent utilisés pour d’autres problématiques. Et c’est très compliqué à mettre en œuvre, parce qu’on n’est pas toujours disponibles au bon moment. »

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Pénurie de personnel

De plus, les référents sont parfois désignés et non volontaires. Avec la pénurie sévère d’enseignants qui touche l’Éducation nationale, les équipes tournent et le turn-over nuit à l’évaluation du « climat scolaire » et au repérage des situations de harcèlement.

« C’est un travail forcément collégial, il faut tous les personnels pour s’emparer de ce sujet, confirme Olivier Raluy. Mais quand il n’y a pas d’infirmière, ou de CPE, ou que les dotations AED (assistants d’éducation, ndlr.) sont minimes, c’est très compliqué. »

Un problème parfois accentué à l’école primaire, où les enseignants peuvent se retrouver encore plus isolés. « Parfois, il y a des cas de harcèlement parce qu’il n’y a pas assez de personnel autour des élèves, souligne Guislaine David. Nous, on est seuls avec nos trente élèves par classe et on ne voit pas ce qui se passe autour. Au collège, il y a plusieurs profs, le CPE, la vie scolaire. On n’a pas ce système-là, donc si on passe à côté d’une situation, il n’y a personne pour nous alerter. »

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Une méthodologie parfois faillible

Les professionnels interrogés partagent aussi un autre bémol : le plan pHARe s’articule, pour la résolution des situations de harcèlement, autour d’une méthodologie, intitulée « préoccupation partagée » (MPP) ou Pikas - du nom de son créateur, Anatol Pikas, un psychologue suédois. Pour Olivier Raluy, c’est « une méthode parmi d’autres ».

« Elle vise à ne pas blâmer et se caractérise par une grande ‘préoccupation’ à l’égard de l’élève cible, que l’on veut partager avec les élèves intimidateurs, explique Olivier Raluy. Donc l’idée, c’est de ne pas oublier les harceleurs dans le traitement du sujet et que tout le monde soit acteur de la résolution de la situation. » Mais celle-ci ne s’applique pas à tous les scénarios.

« C’est très efficace quand le ou les harceleurs n’ont pas d’intentionnalité de nuire, quand le harcèlement n’est pas installé depuis longtemps et quand il n’y a pas eu de violences paroxystiques - des violences qui relèvent de faits graves juridiquement », énumère Johanna Dagorn. Ce qui ne recouvre pas tous les cas de figure. « Dans le cas du revenge porn, par exemple, où l’intentionnalité est de nuire, ça ne marche pas et c’est même fortement déconseillé, parce que si vous expliquez à l’auteur à quel point sa victime souffre, comme c’était le but, ça va lui ‘faire plaisir’ », développe-t-elle.

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Pas les mêmes problématiques selon les établissements

Pour elle, cette méthode ne règle pas le problème du harcèlement scolaire. « Que l’on puisse avoir des outils, comme la MPP, à un moment donné, pour travailler sur telle et telle question, ça peut être pertinent ponctuellement, expose-t-elle. Mais ça ne fait pas changer un système dans le fond. »

Le côté « Kit harcèlement », applicable à tous les établissements, ne fait pas non plus l’unanimité. « Dans un collège avec 200 gamins en zone rurale, qui sont dispatchés, et dans un collège de type centre-ville avec 600 gamins, je ne vois pas pourquoi le même programme marcherait, ce ne sont pas les mêmes problématiques », conclut Johanna Dagorn.

Si l’intention est louable, les moyens ne sont pas pour autant mis pour faire de la lutte contre le harcèlement une priorité. « Ce qui est pertinent, c’est de se préoccuper des questions de harcèlement. Mais c’est un peu comme tous les programmes qui se mettent en place à l’Éducation nationale, c’est très médiatisé à un moment donné et ensuite, ça n’est pas forcément bien utilisé dans les écoles, par manque de temps et de moyens », regrette Guislaine David.

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