UFC: Chris Gutiérrez, au nom du fils

Une lumière dans la nuit. Un éclat dans l'obscurité. Si les lueurs vives de l'écrin majestueux du Madison Square Garden peuvent en aveugler plus d'un, elles ont ce soir-là servi d'exutoire aux tourments d'un homme. Ce 12 novembre 2022, Chris Gutiérrez a les yeux embués de larmes et la voix éraillée quand il lâche ces quelques mots qui résonnent comme un soulagement: "Ce soir, j'ai changé ma vie. Pour le meilleur. Je veux juste être une lumière dans ce monde." L'Américain vient alors de se faire un nom en envoyant à la retraite un Hall of Famer de l'UFC. Un KO fulgurant dès le premier round après un coup de genou asséné avec maestria au crépusculaire Frankie Edgar, la quarantaine éprouvée, ancien champion des poids légers (2010-2012) et figure éminemment populaire auprès du public.

PourThe Answer, c'était "The Last Ride" comme il s'était plu à la mettre en scène. Pour Gutiérrez, c'est un "rêve devenu réalité" au sein d'un théâtre new-yorkais où il n'était pas censé être convié de son propre aveu. C'est, aussi, dans son espérance une étape de plus pour le rapprocher de celui qui représente autant sa raison de combattre que de vivre: "Je le redis une nouvelle fois, mais je veux juste voir mon fils..."

Prison évitée de justesse et foi salvatrice

Avant d'être un père exposant ses fêlures intimes aux yeux du monde et de figurer aujourd'hui dans le top 15 des poids coqs (-61kg) à l'UFC, El Guapo s'est construit à Greenville, au Texas. Avec les valeurs et les principes d'une famille traditionnelle hispanique. Fils d'une mère guatémaltèque et d'un père colombien, Chris Gutiérrez partage le rêve commun de ses frères de devenir footballeur. Mais l'octogone se révèle finalement un terrain d'expression bien plus idoine que le rectangle vert.

À seize ans, il découvre le MMA avant de livrer son premier combat amateur deux ans plus tard. Le statut de professionnel acquis en 2013, le combattant américain écume différentes organisations telles que le Bellator, le World Series of Fighting (futur PFL) ou encore le Legacy Fighting Alliance pour un bilan des plus éloquent (12 victoires, 3 défaites, 1 nul). Sauf que les belles promesses entrevues ont bien failli être réduites à néant à cause d'une existence auparavant parfois tumultueuse.

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La prison aurait ainsi pu devenir une cage, cette fois inextricable. "Je me suis retrouvé au mauvais endroit au mauvais moment et ça m'a causé des ennuis. Je risquais un an de prison, révélait-il à MyMMANews, en 2018. Pendant la préparation de mon procès, j'avais perdu foi en Dieu.  J'ai appelé ma mère la veille, elle m'a dit: 'Garde ta foi! Dieu t'aime toujours!' Le lendemain même, j'allais au tribunal et j'avais une sensation très agréable à l'intérieur de moi. Je me souviens, la veille, j'ai dit: 'Si tu es vraiment réel, tu me montreras ton amour. Parce que, pour le moment, je ne crois pas du tout en toi.' J'ai accepté ce qui m'arrivait. C'est à ce moment-là que Dieu m'a dit: 'Tu as peut-être perdu confiance en moi, mais je vais te montrer combien je t'aime. Je ne te tournerai jamais le dos.' Il l'a fait. C'était juste une première bénédiction. Je lui en serai toujours reconnaissant."

"Je suis une statistique du système"

Rasséréné, Chris Gutiérrez se réfugie davantage dans la spiritualité pour reprendre le fil de son ascension jusqu'aux portes de la plus prestigieuse des organisations de MMA au monde. Son baptême du feu en novembre 2018, lors de l'Ultimate Fighter: Heavy Hitters Finale où figure alors en main event un Kamaru Usman en pleine ascension avant son avènement chez les welters (-77kg), aurait dû être un souvenir inaltérable. Il n'en restera qu'une plaie palpable.

D'une part parce qu'El Guapo s'incline contre Raoni Barcelos sur soumission. Et d'autre part car il livrait en même temps une bataille intime qui a fini d'épuiser ses ressorts psychologiques et physiques. Tout juste installé dans le Colorado pour commencer une nouvelle vie avec sa compagne et leur nouveau-né, l'athlète ne peut empêcher la séparation du couple. Et c'est son ex qui finit par obtenir la garde de leur petit garçon, âgé de trois mois. "Cela m'a rongé la semaine précédant le combat. J'ai essayé d'être professionnel et de me battre, mais je ne suis qu'un humain, confiait Gutiérrez il y a cinq ans. Mon fils représente tout pour moi. J'étais émotionnellement trop touché, je me suis effondré mentalement avant ce combat."

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Parce que l'injustice s'est mêlée à la souffrance. Dans cette bataille judiciaire pour la garde de son fils, il a payé malgré lui son statut de combattant MMA, perçu comme potentiellement dangereux pour la société et donc son propre enfant. "Je ne pense pas que mon fils aurait dû m'être retiré, s'est-il insurgé à MMA Fighting. Parce que je suis un combattant, j'ai été accusé de toutes ces choses stupides qui, en fin de compte, n'avaient aucune vérité. Malheureusement, je suis une statistique dans le système et il faut que ça cesse. Il doit y avoir un moyen d'arrêter ça car je suis un père aimant. Tout ce que je veux, c'est mon fils dans ma vie et ils me l'ont enlevé. Je veux pouvoir être une voix pour les pères. Dans ce pays, ils traitent les hommes comme si nous étions des citoyens de seconde zone. Les pères comptent. Les enfants, les bébés, ils ont autant besoin de leur mère que de leur père."

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"Sean O'Malley n'est pas un surhomme"

Aujourd'hui, le combattant de trente-deux ans ne peut pas voir son garçon de six ans comme il l'entend. Les années s'écoulent mais il continue, encore et toujours, de faire valoir ses droits. Tout en s'escrimant tant bien que mal à écrire sa carrière l'UFC. "Tout l'argent que je gagne me sert à payer mon putain d'avocat. Croyez-le ou non mais je n'ai jamais profité de ce que j'ai gagné. Mon fils habite à une heure de chez moi et sa mère ne me laisse pas le voir, soufflait-il, la voix empreinte d'émotion à Sherdog.com, en 2022. J'ai passé trois ans et demi sans le voir, je ne sais rien de lui. Quand je demande comment il va, je n'ai aucune réponse. C'est horrible mais je ne renoncerai pas."

Tout comme il s'accroche à son rêve de ceinture chez les coqs, actuellement détenue par Sean O'Malley. Une division incroyablement dense où la concurrence exacerbée ne laisse que peu de place pour obtenir un title shot (Sterling, Yan, Cejudo, Cruz, Dvalishvili, Sandaghen). Remplaçant Petr Yan blessé, le challenger n°14 (8 victoires, 2 défaites, 1 nul à l'UFC) a une opportunité en or, ce week-end, d'asseoir davantage sa crédibilité et de s'inviter à la table de ceux qui comptent vraiment avec son premier main event face au Chinois Song Yadong (n°5). Lui qui estime d'ailleurs ne pas bénéficier du "respect (qu'il) mérite" et qui a "accepté de devoir en faire deux fois plus que les autres."

Avec son assise de kickboxing très solide, son bon jab, ses contre-attaques fulgurantes et sa judicieuse gestion des combats (un seul revers lors de ses dix derniers à l'UFC), El Guapo possède de sérieux arguments à faire valoir. Au point de le hisser au sommet? "Je crois que je pourrais battre Sean O'Malley. Je mentirais si je disais qu'il est nul. Il est brillant, notamment dans sa manière d'aborder les combats, reconnaissait récemment l'Américain à MMA Junkie. Mais, dans cette catégorie, tout le monde peut battre tout le monde. Ce n'est pas un surhomme, je ne lui accorde pas ce pouvoir." Parce que son histoire est celle d'un homme qui a "toujours été négligé tout au long de (s)a vie", Chris Gutiérrez s'accroche à sa foi désormais inébranlable pour ouvrir le champ des possibles. Et infléchir son destin: "J'ai une autre opportunité de poursuivre mon rêve. Je serai damné si je laisse quelqu'un d'autre me le prendre. Quelqu'un d'autre m'a déjà pris quelque chose et je ne peux rien y faire." Mais tant que la lumière sera vive, le devoir est de ne pas abdiquer. Jusqu'au bout. Au nom du fils.

Article original publié sur RMC Sport