UFC 295 : Prochazka, le samouraï tchèque prêt à devenir empereur des mi-lourds

D'aussi loin qu'il se souvienne, il a toujours été question d'un voyage. Une quête intime, spirituelle, existentielle que Jiri Prochazka écrit à travers le combat pour tenter de se définir. "Je ne lutte pas juste pour gagner, gagner et gagner. La poursuite de la victoire et du succès est éphémère, philosophait-il, déjà, en 2016. Tout peut disparaître en un claquement de doigts. Je me concentre sur la maîtrise du voyage en tant que tel."

De la République tchèque où il a vu le jour jusqu'au Japon, en passant par la Serbie et l'Allemagne, les pérégrinations ont jalonné son destin. À trente-et-un ans, son périple le mène désormais aux États-Unis. Dans l'écrin majestueux du Madison Square Garden, Prochazka va défier Alex Pereira en main event de l'UFC 295 avec en jeu la ceinture des mi-lourds (-93 kg). Un affrontement incandescent sous le signe d'une violence rare entre deux des hommes les plus dangereux de la ligue américaine.

Une guerre sanglante contre Teixeira inscrite au Hall Of Fame

Le forfait du GOAT Jon Jones, lourdement blessé au pectoral et qui s'érigeait à New York comme la tête d'affiche face à Stipe Miocic, propulse Jiri Prochazka sur le devant de la scène pour l'événement majeur de l'organisation reine de MMA en cette fin d'année. Mais la lumière, le combattant l'a déjà appréhendée le 11 juin 2022, jour où son ascension fulgurante s'est matérialisée avec la conquête du titre des mi-lourds face à la légende brésilienne Glover Teixeira.

Une guerre sans merci. Inconditionnelle. Sanglante. Homérique. Élue plus belle bataille de l'année et parmi les plus mythiques dans l'histoire de l'UFC. Plébiscitée par le public mais exécrée par le Tchèque, malgré sa victoire par soumission à trente secondes de la fin du cinquième round. "C'était un combat horrible, une très mauvaise performance. Honnêtement, à certains moments, j'étais juste en survie, analysait-il au sortir de l'affrontement, le teint blafard et éprouvé. Je n'étais pas le chasseur, j'étais le chassé. C'était peut-être divertissant pour vous mais c'était dur, plein de sang, ce n'était pas beau."

Hooliganisme et star au Japon

La violence a toujours été consubstantielle à l'existence de celui qui a été champion des -93kg de juin à novembre 2022 avant de laisser choir sa couronne à cause d'une terrible blessure à l'épaule. Elle a d'abord été intérieure, dès six ans, avec la perte de son père. Puis elle s'est transposée dans le hooliganisme, qu'il découvre avec le club de foot du FC Zbrojovka Brno. Dans les années 2000, avant ses dix-sept ans, le natif de Znaïm assure avoir participé à plus d'une centaine de rixes de rue contre d'autres groupes: "Ça faisait partie de ma vie. J’avais besoin d’être ce mec-là pour être celui que je suis aujourd’hui." Au lycée, l'adolescent affectionne le judo, le karaté ou encore la lutte gréco-romaine. Le muay-thaï sera ensuite son premier exutoire avant d'embrasser une carrière dans le MMA au pays. "Pour beaucoup, le MMA n'est que violence et douleurs. Mais cette violence a guéri mes douleurs", martèle-t-il.

Au Gladiator Fighting Championship (14-2-1) – plus grande organisation en République tchèque –, il devient champion inaugural des poids lourds et frappe aussi fort les têtes que les esprits. "Je savais que je voulais vivre des sports de combat, racontait en 2020 celui qui a hérité du surnom de "Denisa" quand il a répondu présent à l'appel et à la place d'une élève lors d'un camp d'entraînement. Quand j'ai gagné, tout a commencé à prendre un sens. Cela a été le tournant de ma carrière. Je pouvais me détendre, je savais que j'avais déjà accompli quelque chose." Un accomplissement qui prend encore davantage de consistance au Japon. Au sein de la ligue nippone du Rizin Fighting Federation (2015-2019), Jiri "BJP" Prochazka peaufine sa technique et aiguise son style. La ceinture des mi-lourds glanée donne corps à ses ambitions tout en lui accordant une notoriété certaine au pays du Soleil Levant.

Le livre d'une vie, code Bushido et samouraï des temps modernes

Le Japon, justement, épouse viscéralement la trajectoire de Jiri. C'est là-bas que son entraîneur lui fait découvrir un livre qui résonne en lui comme une véritable révélation: Le traité des cinq roues, aussi connu sous le nom Le livre des cinq anneaux. Rédigé en 1645 par Musashi Miyamoto tour-à-tour légende du kenjutsu (art du maniement du sabre par les samouraïs), philosophe, calligraphe ou encore peintre, l'ouvrage est considéré comme un classique de stratégie militaire où s'entremêlent réflexions sur l'art du sabre et développements philosophiques.

Des écrits ancestraux qui ont trouvé un écho spirituel auprès de Prochazka. "Le but des arts martiaux est de se contrôler mentalement, techniquement et physiquement. J'ai lu des articles sur les samouraïs japonais, des livres spirituels, etc. Et peut-être que je trouve toujours quelque chose de nouveau dans les écrits de Musashi. Cette quête est sans fin, toujours mouvante, dissertait le Tchèque il y a quelques années. Nous sommes venus au monde sans rien et nous le quitterons de la même manière. Il ne nous reste plus que l'âme et ce que nous y avons creusé."

Adepte de la méditation et du bushido – code de conduite et des principes moraux des samouraïs –, l'ex-hooligan cultive son appartenance jusque dans son apparence. Depuis plusieurs années, il arbore sur le haut de son crâne une version revisitée du "chonmage", chignon traditionnel des guerriers japonais. Et lorsqu'il avait conquis la couronne des mi-lourds à Las Vegas, il y a un an et demi, c'est avec un kimono de soie vert qu'il a fait face à l'assistance: "Porter le kimono, c'est normal quand on suit les valeurs morales du code Bushido. Pour moi, c'est ainsi qu'un roi doit s'habiller."

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Trois jours sans lumière ni nourriture pour expier ses démons intérieurs

Une vision singulière qui s'étend à travers ses méthodes d'entraînement. Dans son refuge des bois, situé à une trentaine de kilomètres de Brno (sud de la Tchéquie) où il vit depuis 2017, celui qui a grandi en s'inspirant de Jon Jones et Conor McGregor mène une vie ascétique. Il s'est construit un dojo qui dispose d'électricité mais pas d'eau courante, le contraignant à de fréquents aller-retours au puits le plus proche. Des vidéos partagées par lui-même le montrent en train d'utiliser des arbres comme punching bag.

Avant sa revanche avortée contre Glover Teixeira pour l'UFC 282 à cause de sa blessure, Jiri Prochazka (1m93, 93 kg) s'était infligé une préparation drastique en s'enfermant dans une pièce... sans lumière ni nourriture pendant trois jours. À la lisière de la folie. "Je me suis totalement plongé dans le noir pendant trois jours, expliquait celui qui demeure invaincu depuis 2016 dans la cage dans l'émission The MMA Hour en octobre 2022. Une fois dans la pièce, tu peux travailler avec tes démons intérieurs et t’entraîner sur tous les aspects mentaux que tu désires."

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"Dans le cage, je ne ressens rien, je suis complètement éteint"

Avec l'homme des bois, tout est une question de lutte. Et cela depuis ses débuts en MMA dont le bilan effraie (29 victoires dont 28 finishs, 3 défaites, 1 nul). "Quand vous voyez une tête ensanglantée, un KO ou un étranglement, ce n'est qu'une technique pour finir le combat, éclaire-t-il. Il ne faut pas s'attarder là-dessus émotionnellement, fermer les yeux et dire: c'est terrible. Non. C'est une lutte et la lutte a toujours été là, tout au long de l'histoire de l'humanité."

Regard impavide et impassible dans la cage, Prochazka ne court qu'après la maîtrise totale ainsi que le perfectionnement de son art conformément à deux vertus énoncées par Musashi Miyamoto: la sagesse et la volonté. "La peur est omniprésente, mais je ne peux pas me permettre de ressentir quoi que ce soit dans l'octogone, expose le samouraï tchèque qui, de son propre aveu, ne "pense pas" pendant un combat. Je dois me garder sous contrôle et gérer toutes mes émotions. Je ne ressens rien du tout, je suis complètement éteint."

Pereira, le défi d'une vie pour prendre le pouvoir

Pour son quatrième combat à l'UFC, "Denisa" n'entend pas dévier de sa ligne de conduite. Que ce soit contre Volkan Oezdemir, Dominick Reyes ou Glover Teixeira, chaque combat a reçu la palme de la meilleure performance de la soirée. Et contre Alex Pereira, ex-champion du monde des poids moyens (-84 kg) et striker redouté, la promesse d'un sommet dantesque devrait être tenue. "Jiri, c'est un combattant exceptionnel, très agressif, au style peu orthodoxe et à part, pose Antoine Simon, voix référence du MMA sur RMC Sport. Sa force principale est d'avoir fait toute sa carrière en MMA. Il utilise toutes les armes à sa disposition et a un profil complet: bon striker, bon lutteur, coup de genou sauté, coup de coude retourné. Mais comme Benoît Saint Denis, Prochazka prend des risques insensés et aurait pu se faire éteindre plusieurs fois contre Glover. Tant que ça marche, il va continuer..."

"Certains disent que mon style est imprévisible. Mais je ne fais pas de choses imprévisibles, réfute pourtant le principal intéressé. Je suis calme, je guette le point faible de l’adversaire, et j’attaque." Orpheline d'une tête d'affiche majeure depuis le passage de "Bones" chez lourds, la catégorie des -93 kg enchaîne les règnes fugaces depuis 2020. Jan Blachowicz, Glover Teixeira, Jiri Prochazka et le dernier en date Jamahal Hill – contraint d'abandonner son titre à cause d'une fracture du talon d'Achille – se sont succédé. Sans suffisamment marquer de leur empreinte. À New York, l'occasion est donc rêvée pour le samouraï tchèque de ravir de nouveau son bien. Pour reprendre et poursuivre sa quête. Son unique voyage.

Article original publié sur RMC Sport