Top 14: "Les Bleus? Il y a des mecs à mon poste bien plus proches et plus légitimes que moi", nuance le Rochelais Hugo Reus

Top 14: "Les Bleus? Il y a des mecs à mon poste bien plus proches et plus légitimes que moi", nuance le Rochelais Hugo Reus

Il y a encore neuf mois, le grand public du rugby ne vous connaissait pas. Aujourd’hui, vous faites partie des prétendants à la prochaine liste élargie du XV de France après avoir mené le jeu des Bleuets lors de la Coupe du monde U20. Vertigineuse ascension, non ?

C’est sûr. C’est allé très vite ! Que ce soit mon premier match en pro, la Coupe du monde ou ce début de saison… Je ne me serai jamais dit qu’en neuf mois, j’allais vivre autant d’émotions. Je les enchaîne, toutes généralement positives. Je ne sais pas si je réalise encore. En tout cas, j’essaie de vivre le moment présent, de garder plaisir à jouer au rugby, de savourer la chance que j’ai. J’espère que ça va continuer comme ça. Je travaille pour.

Vous parlez de chance ?

J’essaie de laisser le moins de place possible à la chance sur le terrain mais il faut être honnête, il y a toujours une part de chance dans une arrivée, dans un début de carrière. J’ai eu la chance de faire le bon choix, de venir ici à La Rochelle, d’être bien entouré, d’avoir des gens qui me donnent leur confiance pour être sur le terrain.

On pense en premier chef au manager du Stade Rochelais Ronan O’Gara, à l’origine de votre transfert à l’été 2022 et qui vous tient en très haute estime…

Il a fait pencher ma décision de rejoindre La Rochelle, avec un staff très étoffé. Il la confirme en m’aidant énormément, en me faisant énormément progresser. Et l’ensemble du staff aussi. Je me sens vraiment épanoui ici, j’espère que ça va continuer à me faire progresser.

"Les mots du sélectionneur Fabien Galthié ? C’est très flatteur. L’équipe de France, c’est un rêve depuis tout petit […] Il y a plusieurs matchs de Top 14 et de Champions Cup avant, pourquoi pas, de bonnes nouvelles. Ce serait mentir de dire que je n’y pense pas (à entrer dans ce vestiaire)"

Depuis quelques semaines, de plus en plus de supporters rochelais vous surnomment 'le petit prince de Deflandre'. Le saviez-vous ?

Le surnom n’est pas arrivé à mes oreilles mais c’est très flatteur. J’ai vu que le public m’aimait bien, j’essaie de lui rendre. Si c’est mérité ? Je ne sais pas. Il faudra voir dans les saisons à venir. C’est bien beau de faire deux, trois bons matchs mais, après, il faut le confirmer. Le temps le dira. Pour l’instant, la phase est ascendante. Quand elle sera plutôt descendante, on verra quel joueur je suis, quel joueur je veux être. La vérité, c’est sur le carré vert. Ce qu’il y a en dehors, c’est de la littérature.

Comment réagissez-vous aux récents propos du sélectionneur du XV de France Fabien Galthié qui, dans les colonnes de Midi Olympique, glisse à votre endroit : 'Il a le droit, il a tout le potentiel de penser qu’il peut entrer dans ce vestiaire' ?

C’est très flatteur. L’équipe de France, c’est un rêve depuis tout petit. C’est un objectif que l’on se fixe quand on a 5, 6 ans de vouloir jouer en équipe de France. C’est toujours un objectif. Après, il faut rester les pieds sur terre, il faut que je sois performant en club, que j’arrive à aider le mieux possible l’équipe. Il y a plusieurs matchs de Top 14 et de Champions Cup avant, pourquoi pas, je l’espère, de bonnes nouvelles. Après, s’il y a de bonnes opportunités qui se présentent, j’essaierai de les saisir. Ce serait mentir de dire que je n’y pense pas (à entrer dans ce vestiaire, N.D.L.R).

Fabien Galthié vous les a-t-il formulés en privé, ces mots-là ?

Non. Je l’ai vu plusieurs fois, sur des stages. On n’en a jamais parlé. Si je veux, qu’un jour, il me dise ces mots-là, il faudra être performant sur le terrain.

Vous l’êtes depuis vos débuts en pro, non ?

Tout se passe bien, oui. Même si le bilan depuis le début de saison avec La Rochelle est plus mitigé. Que ce soit mes performances ou les performances collectives. Il faut se regarder dans le miroir, tout n’est pas parfait. Il faut mieux mettre notre jeu en place. Que j’aide mieux l’équipe dans les moments faibles. Que l’équipe puisse s’appuyer sur moi quand elle est en difficulté.

Sur quels points précis estimez-vous devoir progresser, en priorité ?

Défensivement et surtout sur la gestion du jeu, la gestion tactique dans les moments faibles quand l’équipe n’avance pas. C’est facile pour un n°10 de jouer avec une équipe qui avance. Lorsque l’équipe recule, je dois trouver les solutions pour la faire réavancer ou la faire souffler. C’est ça l’axe majeur de progression dans un futur proche.

Votre réussite presque déconcertante face aux perches (94% de moyenne sur l’ensemble de ses matchs à La Rochelle) force le respect. Même en coin, vous enquillez les pénalités sans trembler…

Je l’explique par l’encadrement, notamment. Depuis que je suis arrivé ici, on m’a fait passer un cap énorme sur les tirs au but. Sébastien Boboul a joué un rôle très important. Ronan O’Gara, aussi. Cette régularité, je la dois à mon entraînement et aux conseils qu’ils m’ont donnés. Le travail paye, je suis vraiment très content. Il faut continuer parce qu’une carrière de buteur est faite de très hauts comme de très bas.

Vous n’aviez pas le même 'rendement' avant votre arrivée à La Rochelle ?

Il était bien inférieur ! Je butais tout le temps mais il y avait pas mal de jours sans. L’un de mes entraîneurs à Bordeaux, Julien Antonin, doit maintenant se dire que j’aurai pu les mettre avant (sourire). Mais bon… Le tir au but, c’est savoir répéter un geste minutieusement plusieurs fois d’affilée. L’encadrement rochelais m’aide énormément. Avec des conseils qui font que, même quand on ne fait pas le geste parfait, ça reste entre les poteaux.

"La pression, je ne la subis plus, je l’apprécie. A ce niveau, c’est devenu un privilège. Depuis un match contre l’Italie au Six Nations, je joue pour m’amuser."

Au soir de votre première titularisation avec La Rochelle, la saison dernière, vous expliquiez avoir été particulièrement envahi par le stress, plus jeune. On a du mal à le croire, au regard du cran que vous dégagez à seulement 19 ans…

Je me mettais énormément de pression. Je suis quelqu’un d’assez perfectionniste. J’ai eu la chance, on va dire, de me prendre énormément la tête quand j’étais jeune. Maintenant, j’ai compris qu’un match ne pouvait être parfait de bout en bout. Que, des erreurs, j’allais en faire, que je devais en faire et que ça ne devait pas être un frein. Maintenant, je joue vraiment pour me faire plaisir, je prends plaisir à taper dans le ballon, à ressentir cette pression dans le tir au but… Ce changement d’état d’esprit m’a vraiment aidé à gérer la pression. Je ne la subis plus, je l’apprécie. Avoir la pression, à ce niveau, c’est devenu un privilège.

Quel a été le déclic ?

Après le match contre l’Italie avec les U20 au dernier Tournoi des Six Nations. J’étais sur une phase descendante depuis le Festival des Six Nations avec les moins de 18 ans. Beaucoup, beaucoup de désillusions… Ma mise hors groupe lors du match contre l'Italie a entraîné une grosse remise en question.

En quoi ?

Je me suis dit : 'ça suffit de te prendre la tête. Si tu continues comme ça, jusqu’où vas-tu descendre ?' Depuis ce match-là, je joue pour m’amuser. Je me concentre sur le fait de ne pas sortir frustré d’un match.

Votre maturité au poste apparaît comme éblouissante, à votre âge…

Mon préparateur mental Christian Ramos a joué un rôle très important. Ma famille aussi. Mon père, ma mère. Je leur dois beaucoup. Disons que j’ai eu la chance que ce déclic arrive assez tôt. Il y a malheureusement énormément de joueurs pour qui le déclic arrive vers 28, 29, 30 ans et c’est un peu trop tard. Maintenant je sais que même si j’ai des mauvaises phases - et j’en aurai -, je saurai comment rebondir.

Revenons à votre premier match professionnel. Une entrée en jeu très remarquée devant 42 000 personnes, au Matmut Atlantique de Bordeaux, avec notamment ce franchissement à l’origine de l’essai du bonus offensif face à Bordeaux-Bègles…

C’est une date que j’avais cochée sur le calendrier parce que j’ai grandi à Bordeaux. J’allais voir les matchs à Chaban ou au Matmut quand j’étais jeune. Dès l’intersaison, je croisais les doigts pour jouer ce match. Mais plus les matchs passaient, plus je me disais que ça allait être compliqué. Une blessure au poignet m’avait empêchée de faire la préparation estivale avec les pros. Finalement, je suis sur la feuille ! Un rêve de gosse de pouvoir jouer dans ce stade. C’est un peu chez moi, à Bordeaux. Jouer chez moi pour ma première en Top 14, c’était incroyable.

Pensiez-vous, en rejoignant le CABBG (Club Athlétique Bordeaux Bègles Gironde) en 2018, que votre avenir allait s’inscrire à l’UBB ?

Je ne me projetais pas trop. Pourquoi pas. Oui et non. Dès la deuxième année Crabos, j’ai eu la chance d’avoir quelques propositions de club. La Rochelle est venue avec un bagage très important : double projet (sportif et scolaire) plus un staff très étoffé. Rester à Bordeaux aurait été un plaisir mais il faut d’abord penser à l’avenir et je pense avoir fait le meilleur choix possible en venant à La Rochelle pour progresser le plus possible.

"J’ai commencé le rugby à 4 ans. J’avais deux arbres qui me servaient de poteaux et je tapais dans mon jardin, tout seul. C’était là où je sentais le mieux !"

Vous parliez plus haut de la Champions Cup. Une compétition que vous devriez réellement découvrir cette saison, après avoir figuré sur le banc la saison dernière en 1/8e de finale mais sans entrer en jeu. Un bon test pour savoir où vous en êtes ?

C’est la découverte du niveau international, même si ce n’est pas avec l’équipe de France. C’est un jeu différent, une compétition différente donc c’est super enrichissant de la découvrir. Une troisième étoile, ça fait rêver. Très peu de clubs en ont trois. Ce serait bien d’ajouter le Stade Rochelais à ce petit club de clubs (sourire). La parade sur le Vieux port avec la coupe, au printemps dernier, devant des milliers de personnes, et les jours qui ont suivi étaient inoubliables.

D’ailleurs, vous nous aviez appris au lendemain des quatre jours de festivités, que vous aviez "bu de l’alcool pour la première fois de (votre) vie"

Depuis un moment, j’étais un peu le seul à ne pas toucher à l’alcool. J’avais dit que je boirai ma première bière lorsqu’on gagnerait un titre. J’ai fêté avec les autres, ça facilite les liens. Beaucoup le disent et j’ai appris que c’était vrai : le groupe se resserre dans ces moments-là, dans les soirées. Ce sont des moments où l’on se rapproche, où l’on se dit les choses. J’ai l’impression d’être là depuis 4, 5 ans. Ça me donne énormément de confiance et de bonheur d’être ici, entourés de mecs incroyables. De par leur gentillesse et les conseils qu’ils me donnent. Je les remercie encore aujourd’hui.

Une seule bière, du coup ?

(Rires) C’est allé un peu plus loin parce que les anciens ne nous lâchent pas. Ça s’est super bien passé. Supers souvenirs !

Plus sérieusement, cela dénote-t-il une hygiène de vie irréprochable au quotidien ?

Un sportif de haut niveau est obligé d’avoir une hygiène de vie soit assez stricte. Après, chacun le vit comme il veut. J’essaie d’être le plus irréprochable possible.

D’où vient le virus du ballon ovale, chez vous ?

De mon père. Je ne marchais pas encore qu’il me faisait faire des passes ou taper dans le ballon ! Il vient de lui, c’est sûr.

Et votre première licence, alors ?

J’ai commencé à 4 ans. J’ai tout de suite accroché et je n’ai plus jamais lâché. Dès la fin des entraînements, en descendant dans la voiture, j’allais taper dans mon jardin. J’avais deux arbres qui me servaient de poteaux et je tapais dans mon jardin, tout seul (sourire). Par pur plaisir. C’était là où je sentais le mieux !

"Mon idole ? Johnny Wilkinson ! Je l’admirais. Je le regardais beaucoup, j’avais quelques posters à la maison […] C’était un acharné de travail, ça m’a servi d’exemple. C’est mon fil rouge."

On suppose que votre père jouait au rugby ?

Il a joué toute sa vie, dont quelques matchs avec Périgueux quand Périgueux était en première division.

Son incroyable et contagieuse émotion captée par les caméras de Canal+, au soir de votre première titularisation réussie contre Bayonne, avait marqué les esprits en avril dernier…

Quel moment ! Il était beaucoup plus stressé que moi avant le match. Quand il a vu que ça s’était bien passé, le stress est descendu. Il me l’a dit après coup, il ne se doutait pas qu’on pouvait nous filmer à ce moment-là. Il a réagi comme il a réagi. C'est ce qui a fait que les images étaient si sincères.

Avez-vous grandi avec une idole ?

Johnny Wilkinson ! Je l’admirais. Je le regardais beaucoup, j’avais quelques posters à la maison. Pourquoi ? Son aisance pied droit-pied gauche, sa qualité de jeu au pied, sa qualité de stratège et son travail. C’était un acharné de travail, ça m’a servi d’exemple. C’est mon fil rouge.

Etes-vous ambidextre, vous aussi ? On vous voit utiliser vos deux pieds, pour aller chercher les pénaltouches.

Non. Dans le sens où ce n’est pas naturel, pas inné. Moi, j’ai travaillé énormément depuis tout petit pour avoir cette aisance des deux pieds. C’est une arme très importante. En fonction de l’endroit du terrain, c’est plus facile de taper du droit ou du gauche. Je ne me demande même plus de quel pied je dois taper, ça vient naturellement.

Quelle place occupe le rugby dans votre vie ?

Le rugby, c’est toute ma vie. C’est même difficile pour moi de décrocher. J’y pense très souvent, voire tout le temps. C’est ce que j’aime le plus. Je regarde tous les matchs que je peux. Maintenant, avec ma copine, il faut savoir faire la part des choses sinon elle râle un peu (sourire). Avant, avec mon père, tous les samedis, on regardait tous les matchs, de 12h30 à 21h. C’est là où mon père a joué un rôle.

Comment ça ?

Au début, je les regardais comme spectateur. Il m’a dit : 'Sers-t’en, ne les regarde pas en tant que spectateur bête et méchant, essaie d’analyser, regarde ce qu’ils font de bien et pas bien…'.

Vous avez certainement suivi la Coupe du monde 2023 avec ce même regard particulier ?

Déjà en tant supporter de l’équipe de France qui aurait pu aller au bout. Mais, oui, j’essayais d’analyser, d’apprendre des plus grands. On a tous été très déçus lors de l’élimination en quart de finale. C’est là que l’on voit encore davantage que les détails sont primordiaux. J’ai appris énormément de ce mondial.

A quoi ressemble votre vie en dehors du rugby ?

En ce moment, avec les études (école de commerce) et le rugby, c’est une vie bien remplie (sourire). L’école permet de m’aérer la tête. Ma copine aussi, on habite ensemble depuis cette année. Elle m’aide énormément quand ça ne va pas avec le rugby. Il y a toute ma famille, mes amis ici et ceux à Bordeaux. Je me suis mis au golf, il y a peu.

"Le prochain 6 Nations ? Ce serait la concrétisation du travail effectué […] Ça reste un objectif d’y être, dans cette liste, mais ça ne doit pas me prendre la tête et me brider"

Vous étiez récemment sur la scène de l’Olympia pour remettre un prix décerné lors de la Nuit du Rugby. Comment vivez-vous cette notoriété naissante ?

C’est pour l’instant toujours bienveillant. Je ne suis pas encore confronté à des personnes là dans le but de me nuire. Quand ça arrivera, parce que je pense que ça arrivera, il faudra voir comment je le gère. Mais ça ne m’effraie pas, je suis bien entouré et c’est partie prenante de la vie d’un rugbyman. On parle beaucoup en ce moment du harcèlement sur les réseaux sociaux. Des petites critiques et des choses blessantes peuvent arriver vite. C’est plus facile de dire les choses derrière son écran. Tout se dit haut et fort sans assumer derrière… Il faut réussir à faire abstraction de ça, apprendre à composer avec.

Vous fêterez votre 20e anniversaire le 21 février 2024, en plein Tournoi des 6 Nations. Le plus beau des cadeaux ne serait-il pas d’y être ? Ou du moins, d’avoir reçu d’ici là votre première convocation à Marcoussis pour intégrer la liste élargie du XV de France…

Ce serait un beau cadeau, bien sûr ! Ce serait la concrétisation du travail effectué. Après, comme je l’ai dit, il reste encore énormément de matchs et de performances à faire. Il y a des mecs à mon poste bien plus proches et plus légitimes que moi pour prétendre à ces convocations. Il y a des mecs talentueux et bien installés. Donc on verra. Ça reste un objectif d’y être, dans cette liste, mais ça ne doit pas me prendre la tête et me brider.

Il vous reste potentiellement une année avec les Bleuets. Et la perspective, aussi, de décrocher un second titre mondial…

Si j’ai la chance de jouer en Top 14 durant la période du Tournoi, le Top 14 primera sur le 6 Nations U20. La Coupe du monde ? J’aurais le champ libre si j’ai la chance d’y être. Il y a des gens de mon âge qui sont très performants, il faudra faire ses preuves pour espérer y être de nouveau.

Article original publié sur RMC Sport