Tennis: la Fédération française en eaux troubles

Tennis: la Fédération française en eaux troubles

Depuis la publication de l’enquête RMC Sport en début d’année, le climat social au sein de la Fédération française de tennis ne semble pas s’être amélioré avec plus de 140 départs et trois dossiers déposés au Conseil des Prud’hommes par d’anciens salariés. L’actualité récente et l’audition du président Gilles Moretton et de la directrice générale Caroline Flaissier ont mis en lumière des zones d’ombre notamment sur le contrôle d’honorabilité au sein de la FFT, la situation du directeur technique national Nicolas Escudé, ou encore des agissements de dirigeants proches de Moretton signalés au comité d’éthique.

>>> l'enquête RMC Sport sur le climat au sein de la FFT est à lire ici

Conflit avec la Direction technique nationale

Ces derniers mois, les réunions du conseil des présidents de Ligue régionales ont parfois été houleuses. A tel point qu’il a été demandé aux présidents un engagement de confidentialité dans l’objectif d’éviter les fuites dans la presse. Dans le secteur sportif, les relations se sont distendues entre Gilles Moretton et le directeur technique national. D’après nos informations, au cœur de l’été le dialogue aurait même été coupé entre Gilles Moretton et le directeur technique national, le second confiant en privé "regretter son choix". Nicolas Escudé, en arrêt maladie pendant plusieurs semaines, n’a donc pas pu faire sa proposition pour le nouveau capitaine de l’équipe de France Coupe Davis comme les textes le prévoient.

C’est peut-être anecdotique finalement au regard du poste qui a attiré récemment l’attention lors de l’audition de Fabienne Bourdais par la commission parlementaire sur les dysfonctionnements des fédérations sportives. La directrice des Sports du ministère des Sports y a révélé que son contrat était hors cadre: "Il (le DTN Nicolas Escudé, ndlr) fait partie des deux DTN qui ne sont pas des fonctionnaires de ce Ministère, qui sont des cadres de droit privé. Non ce n’est pas conforme aux textes. J’ai eu un échange avec le président de la Fédération de tennis, nous avons abordé ce sujet puisque l’on est en effet dans un cadre qui n’est pas un cadre légal. Nous sommes d’ailleurs convenus de voir ensemble comment post 2024 car c’est compliqué de remettre en question d’ici les Jeux le dispositif". Pourtant sur ses réseaux sociaux, le 31 août 2021 la FFT avait annoncé sa titularisation par le ministère. Sollicité la Fédération indique que "Nicolas Escudé est en effet employé par la FFT et a une lettre de mission du ministère, comme ses deux prédécesseurs. Cette dérogation n’est pas propre au tenni et elle est parfaitement acceptée des autorités de tutelle".

Actuellement, c’est au sens large que les relations entre la direction de la fédération et la DTN sont plus que fraîches. En effet, depuis plusieurs mois, la direction générale tenterait de réduire la masse salariale de la DTN. L’arrivée d’Ivan Ljubicic dans le giron fédéral a également bousculé les lignes. Un cadre fédéral nous confie n’avoir "aucun doute sur ses compétences et son expertise mais on a désormais l’impression qu’il n’y a que lui qui détient la vérité".

L’audition devant la commission parlementaire et le flou du contrôle d’honorabilité

Lors de leur audition devant la commission d’enquête parlementaire relative à l’identification des défaillances de fonctionnement dans les fédérations sportives, Gilles Moretton, président de la FFT, et Caroline Flaissier, directrice générale, ont été interrogés sur le contrôle d’honorabilité et la carte professionnelle des éducateurs. Sans réussir à donner des éléments précis sur le sujet, voire erronés par moment. Ce contrôle concerne les milliers de professeurs possédant le diplôme d’Etat mais aussi les cadres d’Etat de la Fédération. A la FFT, 41 postes sur 44 sont actuellement pourvus d’après nos informations. 96% d’entre eux ont une carte professionnelle enregistrée sur le site ministériel (EAPS) de déclaration des éducateurs sportifs et sont bien soumis au contrôle d’honorabilité. En revanche, ces renseignements n’apparaissent pas forcément sur les bases de données fédérales (ndlr: où 61% de ces cadres apparaissent comme n'ayant pas de carte professionnelle d’après les documents que nous avons pu consulter) ce qui pose un problème de suivi au sein de la FFT. C’est surtout contraire au contrat de délégation ministérielle dont le titre IV Article 1-2 impose à la fédération le contrôle et la surveillance des dispositifs de lutte contre les violences.

D’après nos informations, ni Nicolas Escudé (désormais dévolu au "Parcours Haut niveau" et en charge du Pôle France de Poitiers), ni Paul-Henri Mathieu (nouveau capitaine de l’équipe de France de Coupe Davis après avoir été responsable du haut niveau) tous deux nommés sous l’ère Moretton, ne disposent du diplôme d’Etat, ou en tout cas ils ne l’ont pas enregistré dans la base de données fédérale à laquelle nous avons eu accès. S’il n’y a aucune obligation statutaire ni prérequis, et que rien ne remplace le vécu au très haut niveau dans la transmission aux joueurs, le principe reste gênant. A titre de comparaison, cette situation est impossible pour le sélectionneur de l’équipe de France de football. "Les deux personnes que vous citez ont les compétences et l’expérience requises pour exercer les missions qui leur sont confiées. Le diplôme n’est pas un prérequis pour les fonctions qu’ils exercent", explique la Fédération à RMC Sport.

Cette audition devant les députés a d’ailleurs fait réagir le comité d’éthique de la Fédération. Par la voie d’un communiqué que nous nous sommes procurés l’organe semble vouloir calmer le jeu voire même défendre le président Moretton: "le Comité relève que le fait de tenir des propos mensongers devant une commission d’enquête parlementaire constituerait, au-delà du délit pénal, un manquement éthique sérieux. Il relève cependant que des propos approximatifs, ambigus voire erronés ne sont pas nécessairement mensongers. Il revient à la Commission d’enquête parlementaire de déterminer, au vu des éléments dont elle dispose, si les propos tenus appellent un signalement au Parquet et, le cas échéant, à ce dernier d’ouvrir une enquête et d’engager des poursuites si les faits le justifient".

Une membre du COMEX épinglée au Comité d’éthique et 4500€ pour deux dirigeants bénévoles

Les tourments concernent également l’entourage de Gilles Moretton à la Fédération. La saisine date de la semaine dernière. La présidente de la Ligue Centre-Val-de-Loire, Sabrina Léger, membre du comité exécutif et vice-présidente référente pour les enseignants et la formation, l’innovation et le patrimoine, vient d’être signalée au comité d’éthique de la fédération. La raison? Faire passer en force des décisions adoptées frauduleusement suite à des pressions exercées sur des dirigeants en vue d’établir "un faux procès-verbal" notamment quant à leur présence sur la feuille d’émargement. Manœuvres qui concernent selon le recours également Céline Héberlé, présidente du comité du Loiret et membre du Conseil supérieur du tennis (le conseil de surveillance de la Fédération). La Ligue de Sabrina Léger vit en outre une période délicate avec un trésorier mis à l’écart des décisions dont le comité direction veut obtenir l’éviction ce qui est contraire aux statuts de la Ligue, et un déficit de 110.000 euros pour la deuxième année consécutive. Une anomalie financière au sein d’une Fédération en très bonne santé.

Enfin il y a cette décision, passée quelque peu inaperçue, mais qui a eu le don de surprendre à la Fédération. D’après nos informations, Pierre Doumayrou, secrétaire général de la FFT, et Jean-Luc Barrière, trésorier général, tous deux bénévoles historiques dans le tennis français, respectivement âgés de 73 ans et 72 ans, perçoivent désormais chacun un salaire d’environ 4.500 euros brut. Une grande première pour les numéro 2 et numéro 3 de la fédération votée par le Conseil supérieur du tennis. Sollicitée sur ce point, la FFT n’a pas fait de commentaires.

Article original publié sur RMC Sport