L'édito de la revue de l'After: L’impossible retraite de Jean-Michel Aulas

Pas facile de se faufiler jusqu’à la grille. Au milieu des cartables flambant neufs, hier matin, il fallait avoir le cœur bien accroché pour ne pas vaciller. Il y avait ceux qui avaient tout prévu et venaient en convoi jusqu’à la porte, ceux qui tentaient un contournement par l’est ou ceux qui, les yeux rouges, retardaient l’instant fatidique.

Le plus difficile, le jour de la rentrée, ce n’est pas la nouvelle classe, les nouveaux copains, la nouvelle année qui commence. Non, le plus dur c’est de faire un pas en retrait, "allez bonne rentrée, ma chérie" et de lui lâcher la main. Cet instant est un vertige. On aime jamais autant les siens que lorsqu’il faut les laisser grandir loin de nos bras. On se résout tant bien que mal à mettre de la terre entre eux et nous. Telle est cette sorte d’amour étrange qui consiste à préparer toute sa vie son propre abandon. Le bisou du portail c’est l’aventure qui (re)commence.

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Dimanche, la veille, on était prêt à grandir d’un coup. Il ne manquait plus qu’une ramette de papier A4 et les stylos à bille (6 bleus, 3 rouges, 3 verts, pas de stylos 4 couleurs). Le cartable déjà posé dans le couloir, les vêtements neufs (en promo) étaient prêts pour demain. Ce n’était pas notre première rentrée. Depuis le temps.

Mais, quand même, il restait un petit morceau d’inquiétude tout au fond de l’optimisme. Comment sera l’instit? Est-ce que sa copine M. sera enfin dans sa classe? C’est quel jour la réunion parents-profs? 24h avant la rentrée tout allait bien. Sauf qu’on ne parlait pas trop de la rentrée. Non, s’il vous plaît. On verra bien demain. Ne laissons rien paraître. On va lui sourire. Elle sera contente de rentrer. Tenez, pour se changer les idées, on n’a qu’à regarder Téléfoot. Erreur fatale.

Dr Frankenstein

Dans une pièce blanche, sans meuble et devant un cadre le représentant en majesté aux côtés du défunt Gérard Houllier, Jean-Michel Aulas ressemblait à l’un de ces pensionnaires de maison de repos bien décidés à ne pas lâcher leurs meubles si facilement. Naufragés de l’époque, accrochés à leur télé et à leur téléphone, ils attendent qu’on leur rende visite de temps en temps. Ils sont même prêts à vous signer un chèque "pour les frais" si vous venez partager le poulet trop cuit du réfectoire dimanche prochain. Mains croisées, visage marqué, barbe de 3 jours, l’ancien patron lyonnais est venu réclamer ses millions.

Et la vérité, au fond, c’est qu’il fait peine. En conflit avec son successeur, JMA saute la ligne rouge et, pour exister encore un peu, met de l'huile sur le feu lyonnais au matin d’un match décisif contre le PSG.

"Si on me demande d’intervenir, je le ferai. Si on me dit qu’il ne faut plus intervenir et d’être (sic) dans une chambre de bonne, je le ferai mais avec une plaie béante", explique-t-il.

Une vie passée à les élever et puis tout à coup, ils vous foutent dehors comme des malpropres. C’est un peu rude quand même. "Tu nous appelles, si tu as un problème hein": JMA rejoue la comédie de l’émancipation trente six ans après avoir (presque) donné vie à un club anonyme. L’OL doit tout à celui qui lui a appris à marcher. Mais l’ingratitude de la créature à l’égard de son créateur est un problème biblique.

Et Aulas créa l'OL

Car, question profonde, comment peut-on aimer ceux qui ne veulent plus de vous ? Il y a longtemps que Jean-Michel Aulas ne s’est plus approché d’une grille de rentrée scolaire. C’est dommage. Il y aurait expérimenté ce qu’en grec on appelle agapè, l’amour désintéressé. Ce n’est ni l’amour passion (eros), ni l’amour d’amitié (philia), c’est un amour qui se donne quand on se retire. Et c’est vrai, c’est terrible, pour que l’enfant grandisse, il faut que les parents s’amenuisent. Petit à petit, bien sûr, comme les marées dans le Sud-Ouest. Mais c’est la loi de la vie. Le créateur doit laisser du vide derrière lui pour que le monde puisse enfin apparaître et lui échapper.

Le philosophe Charles Pépin évoque l’image tendre des parents qui, l’heure venue, montent dans la chambre de leurs enfants mais qui, émus de les voir jouer si calmement et si profondément, finissent par battre en retraite et leur accorder un quart d’heure de plus sans eux. Se retirer alors qu’on aurait pu intervenir. S’abstenir alors qu’on a l’expérience des mêmes erreurs. Se taire quand on mourrait d’envie de recommander. Offrir à ses successeurs la liberté de se tromper à leur tour. Donner en se retirant. Agapè ressemble à une déroute, c’est vrai. Mais c’est tout le contraire. Agapè c’est l’amour authentique. Tel est le sens (et la douleur) de l’impossible retraite de Jean-Michel Aulas.

Article original publié sur RMC Sport