Football amateur: "Arrêtez de mettre la pression à votre fils!", le cri d'alarme d'une agente contre certains parents

Football amateur: "Arrêtez de mettre la pression à votre fils!", le cri d'alarme d'une agente contre certains parents

Jennifer Mendelewitsch, on voit de plus en plus d’actes violence de parents contre des éducateurs. Etes-vous, vous aussi, confrontée à ce phénomène ?

Malheureusement oui. On reçoit énormément de messages et mails, voire de vidéos d’enfants qui sont de plus en plus jeunes. Les parents nous sollicitent pour qu’on aille voir leurs enfants jouer. C’est un phénomène qui grandi. On a toujours eu des parents qui poussaient pour que leurs enfants réussissent dans le foot mais depuis 2-3 ans, on se rend compte qu’ils sont de plus en plus nombreux. Et les enfants de plus en plus jeunes.

Quel âge ces enfants ont-ils ?

J’ai eu le cas d’un papa qui m’a envoyé un message pour son fils de cinq ans. Il m’a dit en plus qu’il était déscolarisé, qu’il suivait des entraînements spécifiques en plus de ceux de son club. C’était un joueur à surveiller. Pour moi, un enfant de cinq ans n’est pas un joueur à surveiller. Et surtout pas pour un agent.

Comment expliquez-vous ces attitudes ?

Il y a deux raisons. Il y a le cas typique des parents qui vivent leur rêve ou la carrière qu’ils auraient aimé avoir à travers leur fils. Derrière, il y a tout ce qu’on entend sur le football et les revenus que ça peut générer, ça crée des fantasmes. Il se disent « pourquoi pas moi ? » Il y aussi le fait que les joueurs pros jouent en équipe première de plus en plus tôt. On voit des joueurs jouer en L1 ou L2 à 16-17ans. Donc finalement ça ne les choque pas forcément de commencer à démarcher des professionnels de plus en plus jeunes. Il se disent : "On va mettre toutes les chances de notre côté. Et notre enfant aura plus de chances de signer professionnel."

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Quel est votre réponse en tant qu’agent ?

Je ne réponds pas à certains. Si c’est insistant et que la personne ne se rend pas compte de ce qu’elle fait, j’essay e de lui expliquer. La formation française aujourd’hui est peut-être la meilleure du monde. Le maillage de recrutement est bien fait. Un enfant, peu importe son âge, s’il a des qualités au-dessus de la moyenne, il sera repéré au moment opportun par des clubs, par des recruteurs. Donc ça ne sert à rien de vouloir pousser ou forcer. Si un enfant doit réussir il réussira.

C’est une dérive du football moderne ?

C'est particulièrement malsain. Un enfant de cinq ans qui s’inscrit au foot, ça doit être un loisir. Il ne doit pas avoir de pression, il n’est pas en âge de ce qu'il veut faire de son avenir. On n’a pas à décider pour son fils ou pour sa fille. Un enfant qui joue le week-end, ça doit être un amusement et pas une future carrière.

On devrait rappeler ces règles de base aussi aux parents ?

Je trouve ça triste si on doit éduquer les parents. C’est eux qui éduquent. Il faut que les gens redescendent. Leur rappeler qu’en football il y a beaucoup d'appelés et peu d'élus. Même les jeunes qui ont la chance d’entrer dans les centres de formation, peu signeront pro. Et dans ceux qui signeront pros, peu feront une carrière exceptionnelle. Arrêtons de mettre la pression aux gamins. Ceux qui doivent réussir, réussiront. Le rôle des parents est d’accompagner leur enfant dans son épanouissement. Si, à 10 ou 11 ans, il ne veut pas être footballeur comment cela va-t-il être perçu dans la famille. Il y a cette pression qui est intégrée et c’est extrêmement malsain.

Certains parents deviennent complètement fous sur le bord des terrains…

Oui ils sont fous. Ils sont en concurrence avec les autres parents. Il faut ce qu’on entend lors des matchs de jeunes… Tout le monde veut savoir ce que l’autre va faire. Cela met en difficulté les éducateurs, les coachs. Les parents doivent comprendre que les éducateurs savent ce qu’ils font. On n’est pas dans la performance mais dans un processus de formation. Il faut arrêter d'être dans défi permanent, de remettre en question des compositions d’équipes… Arrêtez de mettre la pression à votre fils ! Car à un moment cela va se retourner contre vous. On va créer des enfants qui seront mal dans leur peau, qui auront des déceptions, qui penseront qu’ils ont déçu leur famille… ça peut être compliqué.

"Ça devient compliqué, malsain, glauque"

Est-ce inquiétant pour l’avenir ?

Je le pense. Il faut une prise de conscience mais on ne tend pas vers ça. Chaque année, on a l’impression que c'est pire. Chaque année on voit des parents qui font des extras à l’entraînement, qui, comme les professionnels, s'entourent d'ostéo. J’espère qu’ils vont se rendre compte que c’est contre-productif. Je l’espère. Mais j’ai très peu d’espoir sur le fait que cela s’auto-régule. Et qu’il y ait une prise de conscience sur le fait que c’est très malsain.

A dix ans, certains enfants sont presque déjà entourés par une structure professionnelle ?

Exactement. C’est pour ça qu'ils veulent agent, un ostéo, ils veulent un tas de services mais ce n’est pas le moment. C’est contre-productif car il y aura une surcharge. Ce sont des gamins qui sont en pleine croissance. Ils ne peuvent pas accepter un volume de travail important. Au niveau psychologique, il faut leur laisser du temps de repos, de loisir. Si le foot devient travail à 5-6 ans, on peut les dégoûter de ce sport. Ça devient compliqué, malsain, glauque. Il faut que les gens comprennent que plus ils vont en faire pour leurs enfants, moins ils réussiront.

Certains agents s’engouffrent-ils dans ce système ?

C’est possible. Les vrais agents, les pros qui travaillent avec joueurs pros et qui ont une vraie structure, une vraie conscience, je pense qu'ils ne répondent pas. J’ose espérer qu’ils ont la même réponse que moi. Il y a une réalité totalement financière. Quand on travaille avec jeune joueur on ne gagne pas d'argent. Si on commence à travailler avec des jeunes de six ans, on ne gagnera rien avant ses 18 ans. Peu d’agents vont investir sur du si long terme.

Article original publié sur RMC Sport