Droits TV de la Ligue 1: les coulisses du retrait de Canal+ de l'appel d'offres et de la lettre envoyée à la LFP

Droits TV de la Ligue 1: les coulisses du retrait de Canal+ de l'appel d'offres et de la lettre envoyée à la LFP

C’est une missive qui a secoué le petit monde des médias et des droits sportifs ce lundi matin. Sur deux pages d’un courrier envoyé par mail et en recommandé, Maxime Saada, président du directoire de Canal+, s’adresse à Vincent Labrune, le président de la LFP, et lui explique pourquoi il décide de ne pas participer à l’appel d’offres des droits TV de la Ligue 1 dont les résultats sont attendus le 17 octobre.

Après avoir rappelé à quel point Canal aime le football et encore plus le football français, Saada évoque les sujets qui fâchent au sein de la chaîne cryptée. Il rappelle notamment l’épisode de 2021, toujours pas digéré par Canal, quand Amazon récupère, à la suite de la défaillance de Médiapro, 80% des matchs de L1 pour un montant (250 millions d’euros) inférieur à ce que paie Canal+ pour seulement 20% (332 millions d’euros). Cette "aberration mathématique" n’est toujours digérée.

Saada poursuit en disant qu’il était prêt, sur le principe, à étudier la possibilité de participer à ce nouvel appel d’offres. Le nombre limité de lots (seulement 2), la découpe des matchs, semblaient pouvoir convenir. Mais plusieurs éléments ont agacé Canal+ et l’ont finalement poussé à faire l’impasse.

Lorsque Canal+ et DAZN se rapprochent durant l’été 2023, la LFP se méfie et ne voit pas cela d’un bon œil car le fait que deux prétendants s’associent nuirait à la concurrence à l’approche de l’appel d’offres. Au moment du deal avec DAZN, Canal demande à la Ligue une autorisation de sous-licence. Ce qu’elle refuse afin de faire respecter les contrats. Agacée, Canal décide de contourner cette contrainte en créant une chaîne numérique (OTT), Canal+ Ligue 1, que DAZN pourra intégrer à sa plateforme.

Autre point qui a provoqué l’énervement de la chaîne cryptée: la sortie de Vincent Labrune dans les colonnes de L’Equipe le 6 juin dernier, où il évoque l’absence de Canal+ au futur appel d’offres "sans même nous avoir consultés", précise Saada dans son courrier. Le dévoilement de l’appel d’offres le mardi 12 septembre a aussi fortement crispé les dirigeants de la chaîne cryptée et surtout le prix attendu rendu public des différents lots. "En découvrant le montant du lot 1 (530 millions d’euros), ils sont tombés de leur chaise", confie une source proche de Canal. Ces chiffres publiés de façon transparente pour la première fois sont pourtant pleinement assumés par la LFP, qui espère tirer le meilleur de son produit en affichant son ambition.

Pas de panique à la Ligue

Ce courrier n'a pas surpris les dirigeants de la LFP, vu le positionnement de la chaîne cryptée depuis de long mois. Mardi 19 septembre, le tribunal judiciaire donnait encore une fois raison à la LFP dans son conflit face à Canal+/BeIn Sports quant à l’exploitation du lot 3 actuel des droits TV. Cette 15e défaite judiciaire sur 15 procédures a contrarié la direction de Canal même si elle s’y attendait. Et cela a été un petit élément supplémentaire qui a nourri la volonté de ne pas participer à cet appel d’offres.

"Les conditions ne sont pas réunies aujourd’hui pour que le groupe Canal dépose une offre les 16 et 17 octobre", conclut Saada dans son courrier. Le boss de Canal est persuadé que la LFP a un accord secret avec Amazon, actuel détenteur de 80% des droits via sa plateforme Prime Vidéo, ce que la Ligue dément formellement.

De son côté, la LFP a d'abord dit "se refuser à tout commentaire pendant la procédure d’appel d’offres". Avant de réagir avec un communiqué offensif ce lundi en fin de journée. "La LFP regrette la décision exprimée par le Groupe Canal+ qu’elle n’a évidemment jamais souhaitée, écrit l'instance. (...) Les affirmations ou insinuations contenues dans ce courrier sont au demeurant d'une particulière gravité." Et d'ajouter: "La LFP regrette enfin le procédé consistant à divulguer publiquement les termes de ce courrier, afin de porter atteinte au processus de commercialisation ainsi qu'aux intérêts de la LFP et des clubs qui la composent."

En interne à la Ligue, on ne veut toutefois pas paniquer. "On sait où on veut aller, souffle-t-on. On veut un partenaire pour faire progresser le foot français et pas le tirer vers le bas comme semble vouloir le faire Canal+."

Bolloré: "La ligue de rugby, c’est tout ce que j’aime. La ligue de foot, c’est tout ce que je déteste."

Car avec ce positionnement, Canal+ envoie en effet un message aux concurrents pour les inciter à ne pas se positionner à ces prix-là sur cet appel d’offres et donc à les faire baisser. En rendant public son courrier, Maxime Saada souhaite aussi préparer ses abonnés à l’idée qu’il pourrait ne plus y avoir de foot français dans quelques mois sur ses chaînes. Cette correspondance nourrit en tous cas le ressentiment de Canal+ envers les dirigeants du foot français. "Force est de constater que nos relations avec la LFP se sont fortement dégradées au fil des années", reconnaît d’ailleurs Saada dans sa lettre à Labrune. Selon nos informations, lors d’une récente réunion avec des membres du directoire, Vincent Bolloré - actionnaire majoritaire de Vivendi, propriétaire du groupe Canal - aurait déclaré: "La ligue de rugby, c’est tout ce que j’aime. La ligue de foot, c’est tout ce que je déteste."

L’entourage de Vincent Bolloré se dit d’ailleurs "tout à fait en ligne avec le courrier de Maxime". Mais malgré cette aversion, il n’est pas encore acquis que Canal ne diffusera pas de Ligue 1 lors du cycle 2024-2029. Le partenariat avec DAZN peut permettre à Canal+ de proposer du foot français si la plateforme britannique remportait un lot. Même s’ils ne souhaitent pas commenter le courrier de Maxime Saada, les dirigeants de DAZN comptent bien se positionner sur les deux lots de la Ligue 1.

Des discussions de gré à gré encore possible

Et si jamais l’appel d’offres était infructueux, une séquence de négociation de gré à gré s’ouvrirait alors. Pour Maxime Saada, c’est même l’objectif de la LFP. "(…) En visant l’échec (de cet appel d’offre, ndlr) et ainsi vous libérer de la contrainte juridique d’un appel à candidatures, (vous allez) pouvoir négocier une nouvelle fois directement et dans des conditions parfaitement opaques l’attribution des droits", écrit-il dans son courrier.

Malgré la relation très tendue entre les deux parties, il est vraisemblable d’imaginer Canal+ participer à des discussions de gré à gré même sans s’être manifesté lors de l’appel d’offres. "Et puis restons prudents, ne soyons pas surpris si au dernier moment, Canal venait quand même déposer un dossier", prévient un habitué des appels d’offres impatient d’être au lundi 16 octobre, date du dépôt des offres qualitatives par les acteurs intéressés par les droits du foot français.

Article original publié sur RMC Sport