Coupe du monde féminine: comment l'Angleterre est devenue le modèle à suivre pour triompher

Coupe du monde féminine: comment l'Angleterre est devenue le modèle à suivre pour triompher

Tout se passe comme prévu. L'Angleterre est en finale de Coupe du monde, un an seulement après avoir remporté son Euro à domicile. Malgré les nombreuses cadres absentes pour blessure, les tensions d'avant-compétition vis-à-vis des primes et un début de tournoi pas forcément convaincant. Une énième concrétisation d'un projet au long terme, qui apparaît aujourd'hui comme un modèle pour les autres nations cherchant à développer leur football féminin local.

La bascule dès 2010

Le lancement de ce "rouleau-compresseur anglais", qui rêve de remporter sa première Coupe du monde ce dimanche après avoir gagné son premier Euro à domicile l'été dernier, remonte à 2010. A l'époque, l'Angleterre échoue en finale du championnat d'Europe 2009 contre l'Allemagne (défaite 2-6) et rentre de Finlande avec beaucoup de regrets. Les joueuses, qui doivent alterner entre petits boulots et matchs le week-end, viennent sans le savoir de faire basculer l'avenir du foot féminin anglais.

La fédération anglaise décide de capitaliser sur cette belle performance pour restructurer tout son championnat local, à l'heure où les meilleures joueuses anglaises traversent toutes l'Atlantique pour évoluer aux Etats-Unis. Fini la Women's Premier League National Division et bienvenue à la Women's Super League, qui pose les rudiments d'une future professionnalisation complète de la première division du football féminin anglais.

Une ligue 100% professionnelle depuis 2018

La FA y met les moyens et son chef, Ian Watmore, déclare même qu'il s'agit de la "plus grande priorité" de l'institution anglaise. La première saison se lance en 2011, avec huit clubs choisis par la fédération, triant entre seize dossiers pour préférer les projets les plus viables au long terme. Six ans plus tard, la WSL impose à ses clubs la professionnalisation et demande à chacun de re-candidater pour conserver sa licence, avec l'obligation de proposer à ses joueuses un contrat de travail d'au moins 16 heures par semaine et de mettre en place une académie féminine.

Démarre donc en 2018-2019 la première saison comme ligue 100% professionnelle (la D1 française ne l'étant pas), avec l'ambition de passer de 8 à 14 clubs et la création d'une seconde division semi-professionnelle de 12 clubs. Peu à peu les clubs exclusivement féminins laissent leurs places à des noms plus connus, avec des bases de supporters plus solides et des infrastructures déjà professionnelles, Brighton, West Ham United, Manchester United et Tottenham prenant leurs places dans une ligue qui dès la saison 2019-2020 passe à douze équipes.

Des sponsors et un plan clair pour le développement

Les dirigeants du football anglais vont même plus loin et créent dès 2017 toute une cellule spécialisée dans le développement de la discipline au féminin, avec quatre postes importants: un responsable des performances féminines, un responsable du développement des entraîneurs féminins, un responsable de l'arbitrage féminin et un responsable du marketing et du commerce pour le football féminin. Dès 2021, la FA passe un accord avec la banque Barclays pour un contrat de sponsoring de 30 millions de livres pour les trois prochaines années et gratte 8 autres millions par saison en s'entendant avec la BBC et Sky pour la diffusion.

En parallèle, la FA lance en 2017 le Gameplan for Growth, un grand plan de trois ans dont le but était notamment de doubler le nombre de clubs féminins et doubler le nombre de supporters prenant part aux rencontres des Lionesses et des clubs de Women Super League à l’horizon 2020. Trois ans plus tard, la fédération recense plus de 12.640 clubs féminins, les matchs de la sélection attirent en moyenne 24.105 spectateurs et les matchs de WSL, 3072.

Des jeunes formées pour réussir

Un plan aussi beaucoup axé sur la jeunesse, avec la création de plus de 1600 "Wildcats Centres" qui ont pour but de faire découvrir le football aux jeunes filles âgées entre 5 et 11 ans. De nombreux partenariats entre la ligue et des écoles à travers le pays ont également été passés. L'objectif de la fédération est clair: "Créer un système de haute performance durable et performant afin de garantir que les équipes d'Angleterre rivalisent avec distinction sur la scène mondiale dans toutes les catégories d'âge."

Des résultats payants. Cinq des Lionesses évoluant dans ce Mondial, Alessia Russo, Georgia Stanway, Ella Toone, Ellie Roebuck et Lotte Wubben-Moy, jouent ensemble depuis longtemps et ont atteint les quarts de finale de la Coupe du monde des moins de 17 ans 2016 en Jordanie, avant que trois d'entre elles ne remportent une médaille de bronze lors de l'édition 2018 des moins de 20 ans, rejointes par Chloe Kelly et Lauren Hemp. La dernière génération U17 s'est elle hissée jusqu'en demies de l'Euro 2023.

Un championnat sain et une sélectionneuse gagnante

Tous ces facteurs conjugués à une victoire à domicile, dans un Euro qui n'a jamais connu autant de supporters présents en tribunes, avec une moyenne de 18.554 spectateurs par match dont une finale Allemagne-Angleterre devant 87.192 personnes, permettent aujourd'hui aux Lionesses de vivre une nouvelle finale, cette fois-ci en Coupe du monde. Parmi les 23 joueuses anglaises qui composent le groupe de Sarina Wiegman, 21 évoluent dans le championnat local, Lucy Bronze et Keira Walsh l'ayant quitté l'été dernier pour rallier le FC Barcelone.

La sélectionneuse anglaise a d'ailleurs poursuivi ce processus de professionnalisation au sein de la sélection, élevant toujours plus haut les standards, qu'il s'agisse des infrastructures, de l'exigence sportive et insufflant ce "winning-spirit" qui manquait. Arrivée à Londres en 2021 après avoir remporté l'Euro 2017 avec les Pays-Bas avant d'échouer en finale de la Coupe du monde 2019 contre les Etats-Unis, Sarina Wiegman signe un bilan très positif d'une seule défaite en 39 matchs à la tête des Lionesses (pour 33 victoires et 5 nuls).

L'effort des joueuses pour construire un héritage

Les joueuses, elles, profitent de ce professionnalisme grandissant, améliorant l'aspect tactique ou physique, rendant le football féminin local de plus en plus attractif. La saison passée, l'affluence en Women Super League a bondi de +173%, grâce notamment à de nombreux matchs joués dans les grands stades, ceux où jouent les hommes en temps normal mais dont les femmes sont souvent exclues. Les Lionesses ont aussi utilisé leur statut de championnes d'Europe en titre pour continuer de faire progresser la discipline, obtenant notamment du gouvernement anglais qu'il réforme son éducation sportive, obligeant chaque école à s’acquitter de deux heures de sport hebdomadaires, en promettant un accès égal à l'enseignement du football entre élèves des deux sexes.

"Nombreux sont ceux qui pensent que nos objectifs ont été atteints, mais il ne s’agit que d’un début, avaient écrit les 23 joueuses dans une lettre ouverte publiée après leur sacre. Nous nous tournons vers l’avenir. Nous voulons créer un véritable changement dans ce pays et nous vous demandons de nous aider à réaliser ce changement." Avec plus de 3,4 millions de licenciées recensées en 2021 (contre 220.000 en France), l'Angleterre devrait avoir des ressources pour continuer à briller lors de chaque compétition internationale.

Article original publié sur RMC Sport