TOUT COMPRENDRE - Pourquoi gagner une descente ferait entrer Alexis Pinturault au panthéon du ski alpin

TOUT COMPRENDRE - Pourquoi gagner une descente ferait entrer Alexis Pinturault au panthéon du ski alpin

Alors que la saison masculine de ski alpin peine à décoller et empile les annulations, en raison de conditions météorologiques compliquées, les spécialistes des épreuves de vitesse devraient entrer en action ce vendredi avec la descente de Beaver Creek sur la mythique piste Birds of Prey. La première étape de la reconversion du géantiste Alexis Pinturault, qui n'a plus qu'une idée en tête: réussir à triompher en descente avant la fin de sa carrière. RMC Sport décrypte son défi en quatre questions.

· Pourquoi l’envie d’un tel défi?

Si la notion de polyvalence en ski alpin avait sa figure de proue, elle serait certainement sculptée avec les traits montagnards d’Alexis Pinturault. En ce sens, l’hiver 2020-2021 aura été particulier pour le skieur de Courchevel. Premier vainqueur français du classement général de la Coupe du monde de ski alpin depuis Luc Alphand en 1997, "Pintu" était également devenu le premier athlète de l’histoire à s’imposer dans six disciplines différentes de ce sport, remportant le 27 novembre 2020 le géant parallèle de Zürs, dans le Tyrol.

Plutôt passée inaperçue à l’époque en France, la performance était si majuscule à l’échelle du grand cirque blanc qu’elle avait fait les gros titres de la presse en Autriche, pays où le ski alpin est roi. Et à peine la course gagnée, masque (anti-Covid) sur le nez, Alexis Pinturault apercevait déjà au très loin l’immense défi qui se dresserait plus tard devant lui: remporter une descente et devenir ainsi le premier skieur à gagner dans toutes les disciplines du ski alpin.

"Pas une obsession"

Un gros globe de cristal, un échec dans les grandes largeurs aux JO de Pékin et un titre de champion du monde de combiné plus tard, voilà Pinturault au pied de la montagne. Ce week-end, il prendra à Beaver Creek le départ de sa onzième descente en Coupe du Monde. Avec pour seule référence une seizième place obtenue à Schladming en 2012.

"Mais ça n’est pas du tout une obsession", confie Pinturault.

"Je ne veux pas spécialement marquer l’histoire, c’est juste un nouveau défi, un nouveau challenge qui me plaît. J’ai coché pas mal de cases, je veux me confronter à quelque chose de différent. Je veux hausser mon niveau dans cette discipline et être performant."

· Pourquoi le défi est-il si ardu à relever?

Pour être en mesure de relever ce défi, le polyvalent Alexis Pinturault a dû renoncer au slalom, la discipline la plus technique du ski alpin. L’une des raisons majeures au-delà d’un calendrier qui serait alors beaucoup trop chargé, c’est la question de la préparation physique.

Car contrairement aux disciplines techniques (slalom, slalom géant, slalom parallèle, géant parallèle, voire Super-G) où les skieurs créent en permanence de la vitesse grâce à de l’énergie restituée par le matériel au contact ski-neige, la descente est plutôt une affaire d’accumulation de vitesse et donc indirectement de kilos. En résumé, plus une masse est lourde, plus elle va emmener de vitesse avec elle et donc avoir de l’inertie, notamment sur les parties les plus plates.

4 kilos gagnés difficilement

C’est pour cela que, là où les techniciens pèsent en général autour des 78 à 83 kilos, les descendeurs sont plutôt connus pour leurs poids proches du quintal, 95 kilos en moyenne pour ce qui est du gratin mondial. A la sortie de l’hiver dernier, Alexis Pinturault en était à 84 kilos. A force d’intenses séances de musculation avec de la charge, le voici désormais aux alentours des 88 kilos. 4 unités très difficilement gagnées en masse musculaire durant l’été qui doivent améliorer son inertie en descente.

Autre intérêt à être plus massif pour aborder les descentes: mieux absorber les impacts et être plus protégé en cas de chute, fréquentes et souvent impressionnantes en descente.

"Plus lourd, il absorbera mieux les impacts si jamais il tombe", explique l’un de ses entraîneurs Maxime Tissot.

"A l’instar des rugbymen super balèzes qui se protègent aussi avec leur carrure, c’est une sorte de carapace pour les skieurs. Une personne bien renforcée musculairement sera donc mieux protégée", détaille le technicien. Mais Alexis Pinturault ne désire pas gagner beaucoup plus. "Je suis vraiment entre les deux mondes sourit le champion français. Cela étant, l’objectif ça n’est pas de devenir trop lourd, au risque de perdre en technicité. Or, je veux vraiment garder le slalom géant comme discipline extrêmement forte, et pour cela je dois garder de l’explosivité et ne pas non plus devenir trop lourd."

· Combien de temps pour espérer être performant?

Alexis Pinturault le sait: il va lui falloir être patient. "L’objectif pour moi c’est de gagner une descente d’ici à la fin de ma carrière. Mais si je suis réaliste, transparent et honnête, ce sera compliqué dès cet hiver".

"J’espère pourvoir me battre un jour avec les meilleurs, mais ce sera plutôt à partir de l’année prochaine ou dans deux ans", avance-t-il, lucide.

Tout immense champion qu’il est, Alexis Pinturault en a bien conscience: nul ne devient spécialiste des épreuves de vitesse en claquant du doigt. Et c’est un fait reconnu, les descendeurs mettent souvent bien des années avant de devenir ultra performants, même si des Ovnis comme Marco Odermatt, véritable virtuose du ski alpin, parviennent parfois à rapidement briller dans la reine des disciplines.

Avant cela, plusieurs défis se dressent dans le défi. Le premier a été pour "Pintu" d’adapter sa technique à la spécificité des épreuves de descente, en travaillant notamment sur l’aérodynamique, bien plus prégnante en vitesse que dans les épreuves techniques, ainsi que sur les trajectoires à haute vitesse.

"A l’entraînement, le but a été de vraiment automatiser tout ça, pour quel ça devienne un réflexe en course. Que je fasse tout bien sans même y penser", explique l'intéressé.Adrien Théaux "pense qu’il va gagner son défi"

Le deuxième défi dans le défi est d’ordre matériel. Et à la temporalité insoluble. Trouver les meilleurs skis possibles, les roder, polir leur semelle pour qu’ils soient les plus efficaces possibles sur la neige. "Il est connu qu’une paire plus vieille et qui a un certain nombre d'années derrière elle est plus performante, explique Alexis Pinturault. Alors que moi j’ai une panoplie de skis assez nouvelle. Est-ce qu’ils seront déjà très rapides dès la première saison? Je l'espère, mais c'est possible qu’on ait un petit cran de retard sur le début."

Dernier défi dans le défi, la connaissance des pistes de descente de Coupe du monde. Avec seulement 10 départs en descente dans sa carrière, dont seulement 5 sur des pistes qui seront au programme cet hiver (Beaver Creek, Chamonix, Kitzbuhël, Lake Louise et Kvitjfell) Alexis Pinturault n’a qu'une science très parcellaire des tracés de descentes au plus haut niveau. Or cette science, sans être obligatoire, se révèle très précieuse pour l’immense majorité des skieurs.

"Il va falloir être patient", confirme Maxime Tissot l’entraîneur adjoint de Pinturault.

"Il va falloir apprendre à connaître ces pistes petit à petit. Mais sur des pistes comme celles de Beaver Creek ou de Bormio, où il y a de la pente et où c’est très technique, il va pouvoir s’exprimer et peut être rentrer dans le Top 20 dès cette année." Mais Pinturault a tout pour y arriver à écouter le doyen du ski mondial aux trois victoires en Coupe du monde, Adrien Théaux.

"C’est un skieur exceptionnel, et je pense qu’il va gagner son défi. Il n’est pas trop gourmand, il sait qu’il faut acquérir un certain bagage. Sa démarche est chouette, dans la bonne logique du ski", juge le Français.

· La peur peut-elle paralyser Alexis Pinturault?

La question du défi mental en descente est omniprésente. Discipline la plus dangereuse du ski alpin, elle cause régulièrement des accidents plus ou moins graves. En 2017, elle avait même coûté la vie au vétéran français David Poisson victime d’un accident lors d’un camp d’entraînement à Nakiska, au Canada. En 2001 déjà, Régine Cavagnoud avait elle aussi perdu la vie après un accident lors d’un entraînement sur les pentes autrichiennes du glacier du Pitztal.

Tomba avait trop peur

Pas de quoi pour autant effrayer Alexis Pinturault, bien au contraire. « J’aime les sensations que me procure la descente, cette vitesse, cette adrénaline, les sauts, confirme le skieur de Courchevel. Cette discipline ne m’a jamais suffisamment intimidé pour ne pas vouloir m’y risquer." Pas besoin de préparateur mental donc pour le Français pour accepter de se lancer à corps perdu dans les pentes et d’atteindre des vitesses parfois largement supérieures aux 100 km/h.

Tous les grands champions n’ont pas toujours été aussi hardis. Ainsi l’Italien Alberto Tomba, dit "La Bomba", monstre du slalom et du slalom géant dans les années 1990 avait-il toujours refusé de se lancer dans les épreuves de vitesse, et en particulier la descente. Sans doute un peu effrayé par un tel défi, il s’était réfugié derrière les jupons de sa mère Maria Grazzia, arguant que celle-ci serait terrifiée derrière sa télé si elle le voyait s’élancer dans la discipline. "Mais je ne suis pas sûr que ce soit vraiment elle qui ait décidé de son calendrier à l’époque", s’amuse Alexis Pinturault.

Article original publié sur RMC Sport