Belgique 2018 comme France 2023? Des Belges nous expliquent comment se remettre du "seum" de l'élimination

Belgique 2018 comme France 2023? Des Belges nous expliquent comment se remettre du "seum" de l'élimination

Ils le savent depuis dix jours maintenant: le XV de France ne sera pas champion du monde pour la première fois de son histoire, samedi. Mais la pilule ne passe toujours pas chez de nombreux supporters français après la cruelle élimination des Bleus - favoris de leur Coupe du monde de rugby à domicile - face à l’Afrique du Sud (28-29) le 15 octobre dernier. Cela se ressent par le sentiment d’injustice exprimé abondamment sur les réseaux sociaux contre, entre autres, l’arbitrage de Ben O’Keeffe, le niveau de l’Afrique du Sud en demi-finale ou World Rugby.

"Menace identitaire"

Et l’affiche de la finale entre la Nouvelle-Zélande et les Springboks samedi au Stade de France (21h) ne manquera pas de réactiver un mélange de rejet et de regrets éternels, comme l'explique pour RMC Sport Iouri Bernache-Assollant, maître de conférences en psychologie sociale au département Sciences et techniques des activités physiques et sportives (Staps) de l’université de Limoges.

"On est dans ce phénomène identitaire", avance le spécialiste.

"Quand on n’est pas simple spectateur mais qu’on bascule dans une forme plus 'extrême' de supportérisme, il y a des mécanismes d’identification à l’équipe qui se mettent en place", reprend Iouri Bernache-Assollant. "C’est ce qu’on appelle l’identité sociale, on se construit une part de notre identité à travers cette relation à l’équipe. Quand on est face à une équipe qui a perdu, on se retrouve dans une situation de menace identitaire. Il y a une forme de réalité (sur les erreurs d’arbitrage, NDLR) mais on bascule dans l’aspect de biais associés aux supporters à partir du moment où de manière systématique on va pointer cet élément pour justifier la défaite sans aucune remise en cause."

Après avoir copieusement moqué la Belgique et le "seum" de Thibaut Courtois après le succès de l’équipe de France en demi-finale de la Coupe du monde de football en 2018 (1-0), les Français retrouvent ce goût amer, déjà expérimenté à l’Euro de foot 2021, mais surtout lors de la défaite en finale du dernier Mondial de foot face à l’Argentine.

Et tous ne vivent pas bien de se voir moqués en retour, à l’instar de l’astronaute français Thomas Pesquet, grand fan de rugby très remonté contre Ben O’Keeffe et… un utilisateur belge s’amusant de cette amertume. "Je peux comprendre le lien qu’on fait entre les deux mais ce sont deux contextes différents dans le sens où vous étiez favoris à domicile alors qu’en 2018, on était attendu en 'one shot'", situe Alexandre Braeckman, journaliste sportif pour RTL.be, qui avait pris part (cordialement) à l’échange avec Thomas Pesquet sur X (anciennement Twitter).

"On a un peu l’image qu’à chaque fois que vous perdez, vous faites une pétition pour la rejouer", ajoute le journaliste belge. "Ce sont des vannes gentilles même si on sait dans le fond que c’est normal d’avoir un peu la haine après une défaite."

Les Français ne sont-ils que des mauvais perdants comme les autres? "C’est plutôt un mécanisme universel", convient Iouri Bernache-Assollant. "C’est la façon avec laquelle l’être humain a tendance à fonctionner quand il est dans un système de catégorisation sociale. En sport, il y a mon groupe d’appartenance, mon équipe, ce qu’on appelle l’endogroupe en opposition avec ce qu’on appelle des exogroupes, les groupes adverses avec qui je suis en compétition. Depuis une cinquantaine d’années, il y a beaucoup de travaux en psychologie qui démontrent que ce sont des mécanismes très robustes. Une des façons de valoriser son groupe, c’est de dévaloriser l’autre."

"Je n’ai pas de données qui attesteraient que le supporter français est plus franchouillard"

"Les Français ont-ils tendance à accentuer ce type de mécanisme? Difficile de répondre à cette question. Si je me positionne en tant que scientifique, je n’ai pas de données qui attesteraient que le supporter français a tendance à être plus franchouillard, plus dans la défense de la nation que d’autres."

Sacha Tavolieri, journaliste belge et intervenant sur RMC, a réagi à un appel à témoins publié sur nos réseaux sociaux qui a provoqué de nombreuses réactions agacées sur le sujet. "Le problème de fond que le Belge reproche au Français, c’est de dire: ‘regardez, vous êtes tellement sûrs de vous que quand ça vous tombe dessus, vous êtes choqués alors que ça pouvait arriver", explique-t-il. C’est une espèce d’exaspération sur le fait que les Français sont fatigants à rabâcher les choses".

"C’est un peu ‘ils vont nous lâcher la grappe et arrêter de dire à tout le monde à quel point ils sont plus forts’", traduit-il.

Alors, comment se remettre d’une telle claque? Pour Alexandre Braeckman, la Belgique a vite tourné la page du revers contre la France en 2018. "Belgique-France 2018 n’est pas le plus gros traumatisme. Il y en a deux autres qui passent avant: la défaite 3-2 contre la France en Ligue des nations (en demi-finale 2021, après avoir mené 2-0) mais le pire, c’est la défaite en 2016 (en quart de l’Euro) contre le pays de Galles. C’est le raté ultime de cette génération. En 2018, on n’est pas focus sur la défaite contre la France, mais sur le fait qu’on a terminé 3e et l’ambiance sur la Grand-Place pour la fête avec les joueurs."

Les clés pour digérer: le temps et de nouvelles échéances sportives

Le temps fait souvent son œuvre pour digérer la déception, sans qu’elle ne s’estompe totalement. "La plupart sont passés totalement à autre chose mais sur le moment, c’est très violent", témoigne Sacha Taviolieri. "Il y a quand même un courant qui va exprimer une espèce d’antipathie pour la France. Il y a ce truc qui reste en travers de la gorge. Il y aura toujours cette petite amertume vis-à-vis des Français."

"Aujourd’hui, on est parti sur une autre énergie et on l’a accepté comme un ex accepterait que son amoureuse ait refait sa vie", ajoute-t-il.

Pour le supporteur français, tourner la page passera par la projection sur de nouveaux événements. "Le temps permet d’atténuer un peu ces éléments qui sont souvent, d’un point de vue émotionnel, très importants", explique Iouri Bernache-Assollant. "Quand on mesure des émotions chez les supporters après des défaites ou des victoires, on observe des scores très élevés. Les défaites sont vécues comme des défaites personnelles, des données démontrent ce phénomène au niveau cardiaque ou hormonal. C’est assez bluffant. C’est un peu un élément traumatique, on a un pic au moment où ça se passe, puis on arrive petit à petit à retomber sur nos pieds."

"Une fois que la Coupe du monde sera passée, deux choses peuvent améliorer la situation du supporter traumatisé: il va pouvoir déplacer sa passion sportive sur d’autres équipes nationales, comme le foot pour 'renourrir' son identité sociale ou en rugby le tournoi des VI Nations pour gommer cet échec de la Coupe du monde."

"En tant qu’être humain, on switche d’identité en identité en fonction des contextes, des circonstances", conclut-il. Celle de supporter du XV de France est encore très prégnante, dix jours encore après l’échec.

Article original publié sur RMC Sport