Comment les annonceurs s’inspirent désormais des codes du football pour communiquer autour du rugby

Comment les annonceurs s’inspirent désormais des codes du football pour communiquer autour du rugby

La couleur est annoncée d’entrée: "Voici la nouvelle ère du rugby." Dans son spot publicitaire mis en ligne à quelques jours du coup d’envoi de la Coupe du monde de rugby, Adidas souhaite marquer le coup. Musique entraînante, décors urbains, mélange entre des visages du XV de France (Antoine Dupont, Cameron Woki, Damian Penaud, Charles Ollivon…) et joueurs amateurs, montage rythmé… La marque aux trois bandes met le paquet. Le tout dans un clip qui n’est pas sans rappeler ce que l’équipementier peut faire avec le football.

Rugby et culture street

"En fait, ce sont surtout les codes de ce que recherchent aujourd'hui les cibles que visent ces marques-là", précise pour RMC Sport Magali Tézenas du Montcel, directrice générale de SPORSORA, une organisation qui rassemble les acteurs de l’économie du sport. "Ça s’appelle 'New rugby', ce n’est pas neutre, appuie Jean-Philippe Danglade, enseignant chercheur spécialisé en marketing sportif et directeur du programme en management du sport à Kedge Business School. On veut élargir le public du rugby, séduire un public plus jeune. Un des reproches traditionnels est de dire que le rugby c'est l’entre-soi, une géographie du Sud-Ouest… On va contre ces clichés."

Les choix effectués en marketing ne relèvent jamais du hasard. Et ceux de la firme allemande mettent en avant une réelle envie de faire évoluer l’image du rugby. "Ce que l'on voit, ce sont des pros, des stars, des amateurs, mais aussi des joueuses. Ce qu’on veut promouvoir, c’est le sport inclusif, poursuit Jean-Philippe Danglade. C’est aussi très clair dans le spot: le rugby peut être la culture street. Ils ont notamment tourné à Saint-Denis ou à Bobigny. L’idée est celle de l'ouverture et notamment celle à la banlieue. Aller draguer des jeunes qui sont naturellement séduits par le foot, le foot de rue et tous ses dérivés".

"Dans le spot, on joue dans un stade, sur une pelouse improvisée, sur la plage, en haut d’un immeuble… La volonté est de casser l’aspect inaccessible du rugby", conclut-il.

Dépoussiérer son image

Dans le cadre de son développement et face à la concurrence du football, sport universel par excellence, l’un des enjeux qui se présentent au rugby est de dépoussiérer son image et de réussir à s’ouvrir à de nouveaux publics. La participation de l’influenceur Mohamed Henni - particulièrement apprécié d’un jeune public urbain - à une vidéo humoristique publiée sur les réseaux sociaux d’Adidas traduit la même volonté.

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Plus globalement, la stratégie d'Adidas fait écho aux ambitions de la Fédération française de rugby (FFR), qui a fait de l’inclusion un cheval de bataille. "Il y a en France 270 clubs qui agissent dans les quartiers prioritaires de la ville. Notre objectif est de monter à 400 clubs, a récemment clamé Florian Grill, président de la FFR, auprès de France Inter.

"Le rugby peut être un vrai vecteur de transformation sociétale des quartiers", a-t-il conclu.

Antoine Dupont, le game changer

Et pour conquérir un nouveau public, le rugby français peut s’appuyer sur des têtes d’affiche. Un fait plutôt nouveau qui n’a pas échappé aux annonceurs. Pour Volvic, le début de la Coupe du monde a été l’occasion de remettre au goût du jour l’une de ses publicités cultes: "C'est toujours les mêmes gestes. D'abord la jambe gauche, toujours. Chaussette, chaussure. Puis, la jambe droite. Et puis une gorgée de Volvic, toujours." 23 ans après avoir mis en image la supposée routine de Zinédine Zidane, la marque d’eau minérale a décidé de proposer une nouvelle version. Cette fois avec Antoine Dupont dans le premier rôle.

"C’est très parlant, note Magali Tézenas de Montcel à propos de l’initiative de Volvic. Pendant longtemps, les annonceurs ne pouvaient pas faire ça car il n’y avait pas l’équivalent de Zidane dans le rugby. Une publicité aussi personnalisée, qui repose sur un seul joueur, n’aurait pas été possible pour le rugby. En termes de notoriété, d’image de marque, de capital sympathie, Antoine Dupont permet de faire ça."

De son côté, Adidas a même été jusqu'à organiser une très médiatique rencontre entre les deux icônes, invitées à échanger sur l'expérience unique d'une Coupe du monde à domicile. Une interview croisée en forme d'adoubement d'une (future) légende par une autre.

"Moi, Antoine, c'est la première fois que je le vois, et je me vois un petit peu en lui", y confie ainsi Zinédine Zidane, comme un passage de relais entre foot et rugby.

Une aubaine pour les publicitaires

D’un point de vue marketing, l’émergence d’Antoine Dupont est une aubaine pour les publicitaires. Le demi de mêlée toulousain, troisième sportif préféré des Français selon un sondage Odoxa réalisé en mai dernier, juste derrière Teddy Riner et Kylian Mbappé, ouvre le champ des possibles.

"Pour attirer des cibles, les gens ont besoin de s’identifier", explique Magali Tézenas de Montcel.

"Ça crée de la personnalité et ça humanise également le sport. Avant, il n’y avait pas de joueurs qui émergeaient suffisamment", ajoute la spécialiste, qui estime que seul Sébastien Chabal en son temps - "un cas atypique" - a permis une telle stratégie.

Comme le montrent les exemples des publicités d’Adidas et de Volvic, le rugby continue donc d’opérer sa mue. La Coupe du monde, organisée sur le sol français, est à la fois un révélateur de cette évolution et une opportunité pour les annonceurs d’aller encore plus loin. "Reste désormais à savoir s’ils vont maintenir ce type de communication après la Coupe du monde, note Magali Tézenas de Montcel. Le Mondial va t-il permettre au rugby de passer ce cap, de permettre de communiquer sur Dupont même en dehors d’une Coupe du monde? Ça va être intéressant à observer."

Article original publié sur RMC Sport