Avec son spectacle sur l’inceste, Norma veut « aller chercher la lumière même là où c’est très sombre »

Le spectacle « Norma[le] » est une invitation à rire de l’indicible, une nouvelle occasion de lever le tabou de l’inceste, encore tant passé sous silence.
Quentin Chevrier Le spectacle « Norma[le] » est une invitation à rire de l’indicible, une nouvelle occasion de lever le tabou de l’inceste, encore tant passé sous silence.

SPECTACLE - Comment créer un spectacle d’humour qui parle d’inceste ? Nous avons posé la question à Norma, qui a écrit un spectacle à partir de son histoire personnelle. Une histoire qu’elle raconte également dans le documentaire d’Emmanuelle Béart et Anastasia Mikova, « Un silence si bruyant », qui est diffusé ce dimanche 24 septembre à 23 h 10 sur M6.

Film puissant et édifiant sur l’inceste, il est construit comme un parcours initiatique par les deux réalisatrices, qui ont choisi de donner la parole à quatre victimes de violences sexuelles dans leur enfance, tout en levant le voile sur la démarche personnelle d’Emmanuelle Béart.

Parmi ces quatre personnages principaux se trouve donc la comédienne Norma. Son spectacle seule en scène, « Norma[le] », revient notamment sur l’inceste qu’elle a subi dans l’enfance. Elle joue à partir du 27 septembre, chaque mercredi du mois, au Théâtre du Marais, pour une durée de 4 mois. Nous nous sommes intéressés à son parcours créatif, qui a été une étape importante de sa reconstruction.

Le HuffPost. Comment avez-vous commencé votre travail d’écriture sur l’inceste que vous aviez subi ?

Norma. L’inceste, c’est arrivé en fin de parcours créatif. J’ai écrit un spectacle, au début, comme n’importe quel humoriste, sur mon prisme et ma façon de traverser la vie. Et il s’avère que cette façon de la traverser était bourrée d’angoisses, de tocs, de quête de perfection, tout ça. Et c’est ma metteuse en scène, qui connaissait mon histoire personnelle, qui m’a dit : « Pourquoi tu n’expliques pas la raison ? Car tu expliques toutes les causes mais à aucun moment tu n’expliques pourquoi tu en es là. »

L’inceste, mais plus lointainement le traumatisme en général, est le fil rouge du spectacle. Après il y a plein d’autres thèmes, parce que je ne suis pas que ça, parce que j’ai aussi des peurs que n’importe qui a et qui ne sont pas reliées à ça.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées à l’écriture et à la mise en scène ?

On a tout repris. On a joué le spectacle au début sous une forme très discrète, chuchotée, sur ce que j’avais vécu. Et ça a été un long travail de réussir à ne plus chuchoter. Entre la première version du spectacle et la seconde, les gens sont assez hallucinés du changement. Il a été difficile, parce que cela voulait déjà dire que moi, de façon publique, je racontais mon traumatisme.

C’est déjà tellement un saut dans le vide de le dire à ses proches, mais là j’ai dû consciemment faire le choix de le dire au « monde ». Je prenais le risque que mon secret ne le soit plus jamais, nulle part. Et en même temps, j’avais envie de désacraliser cette espèce de tabou jusqu’au bout. Comme Emmanuelle Béart a dû faire son film. Comme s’il y avait un besoin de dire à un plus grand nombre de gens, pour se dire : je ne me tairai plus jamais.

Avez-vous été accompagnée psychologiquement dans l’écriture de ce spectacle ?

Je suis accompagnée psychologiquement depuis dix ans. Bien évidemment, ce spectacle a fait partie de mon processus thérapeutique. Et bien sûr, il y a eu des tonnes et des tonnes d’étapes. Je conseille à tout le monde, quand on le peut, d’entamer une thérapie, car cela permet de découvrir ses réelles capacités. De débroussailler l’enfer et de créer un petit chemin vers un semblant de paradis, quand même.

Comment faire un spectacle humoristique sur ce genre de sujet qui ne s’y prête pas « naturellement » ?

Ça a été vraiment un travail d’orfèvre. Parce que je déteste la blague gratuite, l’humour facile. Ce spectacle a été écrit dans le but qu’il soit entendable par n’importe qui, à la fois la personne qui a fait dix ans d’analyse, mais aussi par celle qui commence juste à se demander s’il ne lui est pas arrivé quelque chose. Je voulais parler à toutes les victimes et pas à celles qui ne vont pas trop mal. J’ai pu passer six heures sur la même phrase, parce que je voulais percuter, mais avec des gants en soie. Je ne suis pas pour le fait de bousculer les gens, je n’aime pas la provocation.

Quelle phrase, par exemple, vous a donné du fil à retordre ?

À un moment, je voulais sortir de ce truc de dire qu’on a été des enfants qui ont été « caressés », « tripotés »… Je voulais dire la vérité, donc que j’avais une intrusion dans mon corps par des membres de quelqu’un qui n’est pas moi. À un moment donné, dans le spectacle, je dis que j’ai pris « deux doigts dans la chatte par mon grand-père ». Les gens peuvent se dire que je vais loin. Cette phrase a été compliquée dans ce que je raconte avant et surtout ce que je raconte juste après, qui permet de dire que ça y est, c’est posé et que ça va aller. Que c’est juste la vérité et qu’il faut l’accepter.

Il m’a fallu beaucoup de travail d’écriture pour l’amener correctement et la récupérer très vite sur scène, pour qu’elle ne choque pas au-delà du raisonnable. Et il m’a fallu moi beaucoup de force pour la dire. Maintenant, je sais qu’elle passe très bien et que les gens, ça les soulage presque d’entendre la vérité et peut-être leur vérité, qu’ils ne sont pas en capacité de dire.

Comment on fait pour attirer du public sur ce sujet ?

Ce n’est pas un sujet facile pour faire venir les gens et pour qu’ils s’autorisent à rire. On a fait un vrai travail pour expliquer au début du spectacle qu’ils peuvent rire et que ça ne fait pas d’eux des gens qui prennent le sujet à la légère. Mais oui, il y a quand même une petite difficulté à ce que les gens s’emparent de ce sujet de cette façon-là.

Mais il y a des gens qui viennent parce que c’est un sujet sociétal et que ça les intéresse, parce que juste je les fais rire sur Instagram sur le reste de ma vie, parce qu’ils me trouvent drôle quand je parle de mon chien et de ma passion pour la randonnée. Et il y a aussi des gens qui viennent parce que c’est arrivé autour d’eux et qu’ils ont besoin de comprendre.

À quelles réactions vous avez fait face au début des représentations, de la part de vos proches ou bien d’inconnus ?

C’est toujours pareil avec ce sujet : on a souvent très peur avant de parler. Mais après, quand la parole se délie, ce sont souvent des retours positifs, les gens vous renvoient souvent qu’ils en avaient besoin. À part quelques féministes un peu extrémistes qui n’étaient pas d’accord avec le fait que je me permette d’en rire, que j’ai très vite remis en place parce que pour moi, le féminisme c’est sortir de toutes les injonctions. Et je n’avais pas envie que des femmes me dictent ce que je devais faire de mon drame et comment je devais me reconstruire.

Quelle place a ce spectacle, justement, dans votre parcours de reconstruction ?

Je suis assez scindée. Je suis extrêmement timide dans la vie, je ne suis pas très sociable, je me promène souvent seule dans les bois, je suis quelqu’un d’assez solitaire. Et je crois que d’avoir choisi ce métier m’a obligée à développer une autre partie de moi, ce qui aurait été impossible autrement. Vous ne m’entendrez jamais chanter dans la rue, je ne suis pas du tout extravertie. Ma comédienne me permet d’être beaucoup plus libre dans mon corps et dans mon esprit.

Comment on fait pour écrire un autre spectacle après ce premier, sur un sujet aussi « lourd » ?

C’est ma grande question du moment ! Le second spectacle parlera de la Justice. J’ai l’impression d’avoir fait avec ce que je suis et d’avoir juste écrit un spectacle sur quelqu’un qui survit à ce qui lui est arrivé. Je suis quelqu’un qui combat et qui est complètement traversée par les injustices, par la perversion des tout-puissants. Donc je pense que toute ma vie, j’écrirai sur des sujets qui ne sont pas légers. Par contre, j’adore rendre le difficile léger. C’est vraiment une grande passion chez moi depuis toute petite d’aller chercher la lumière même là où c’est très sombre. C’est surtout notre seule porte de sortie.

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