Soutien-gorge au travail : avec la rentrée, fini le « no bra » ?

En juillet 2020, 18% des jeunes femmes de moins de 25 ans disent ne porter jamais ou presque jamais de soutien-gorge. Elles n’étaient que 4% à l’affirmer avant le confinement.
Metaphortography via Getty Images En juillet 2020, 18% des jeunes femmes de moins de 25 ans disent ne porter jamais ou presque jamais de soutien-gorge. Elles n’étaient que 4% à l’affirmer avant le confinement.

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En juillet 2020, 18% des jeunes femmes de moins de 25 ans disent ne porter jamais ou presque jamais de soutien-gorge. Elles n’étaient que 4% à l’affirmer avant le confinement.

CORPS - Pendant le premier confinement, en mars 2020, Juliette a arrêté de porter un soutien-gorge du jour au lendemain. « J’étais tout le temps chez moi, je bronzais toute nue à ma fenêtre, explique l’architecte de 34 ans. Quand je devais m’habiller pour sortir, je n’en mettais plus. C’était plus agréable.  » À cette période, elle fait du sport et maigrit. Ses seins sont par conséquent encore moins volumineux, ce qui vient renforcer le sentiment qu’elle n’a aucun « besoin de maintien ».

Pourtant, elle portait un soutien-gorge depuis l’adolescence. « Plus jeune, j’adorais en porter, se souvient-elle. J’en achetais beaucoup, des soutiens-gorge avec baleines, rembourrage, coques… Dans les années 90, c’était la mode et j’avais des petits seins.  » Petit à petit, elle évolue vers de la lingerie sans armatures, très fine, souvent en triangle. « C’était de moins en moins soutenant, donc c’était presque comme si je ne portais rien, raconte-t-elle. Mais je continuais parce que je trouvais ça joli. »

Les Françaises, championnes du « no bra » en Europe ?

Son expérience n’est pas un cas isolé. C’est ce que révèle une enquête Ifop pour XloveCam sur « le rapport à l’hygiène des européen(ne)s après la crise du Covid ». Les Françaises seraient 6 % à ne jamais porter de soutien-gorge, alors que la moyenne des pays voisins est de 4 %. Et les 18-24 ans sont les plus audacieuses : 13 % d’entre elles ont adopté le « no bra », contre 1 % en Allemagne et au Royaume-Uni ou 2 % en Espagne.

Ce phénomène, hérité des confinements durant la pandémie de Covid-19, a été partiellement préservé après le retour à la « normale ». On note qu’en avril 2020, lors du premier confinement, la proportion de Françaises ne portant pas de soutien-gorge avait bondi de 3 à 8 %, pour redescendre ensuite à 6 %. Chez les 18-24, la courbe est la même, mais plus accentuée : 4 % en période préconfinement, 20 % pendant et 13 % une fois l’épidémie estompée.

Étude Ifop pour XloveCam
Étude Ifop pour XloveCam Étude Ifop pour XloveCam

Étude Ifop pour XloveCam

Étude Ifop pour XloveCam

La crise a donc permis à des milliers de femmes de tomber le soutien-gorge et à certaines de ne pas y revenir, soit par militantisme, soit par acceptation de leur corps ou tout simplement par confort. Mais en cette rentrée « normale » post-Covid, à savoir sans restrictions sanitaires, le soutien-gorge va-t-il se réinstaller dans les habitudes ?

Faire fi des diktats esthétiques

Si des études sur les bienfaits du soutien-gorge viennent remettre en cause l’idée qu’il aiderait à maintenir le sein haut et rond, le sujet est ailleurs. De nombreuses femmes tentent tout simplement de faire fi des diktats esthétiques.

« Ma mère m’a toujours dit que sans soutien-gorge, la silhouette d’une femme était moins jolie, moins féminine, raconte Aude, employée de bureau de 46 ans et mère de deux enfants. Mais au final, est-ce que ce n’est pas plutôt le regard que porte la société sur le corps des femmes qu’il faudrait changer ? »

Elle aussi à commencer à ne plus en porter pendant le confinement. Mais si les modes et les critères esthétiques changent en fonction des époques, la peur d’avoir les seins tombants, en « gants de toilette », est tenace. « Ça a été un réel effort pour moi au début de sortir sans soutien-gorge, raconte Aude, qui fait du 95E. J’ai allaité et je n’ai pas des petits seins : il a fallu non seulement que je fasse abstraction du regard des autres mais aussi que j’apprenne à aimer mon image sans. »

Dans les champs du body positivisme et du féminisme, les seins ont en effet longtemps été un angle mort. Or, pour Camille Froidevaux-Metterie, autrice de Seins : en quête d’une libération (Anamosa, 2020), ils « condensent à eux seuls toutes les caractéristiques féminines qui ont justifié et perpétué la domination masculine. »

« Ils sont le symbole par excellence de la maternité (seins-nourriciers), le signe privilégié de la féminité (seins-étendards) et l’antichambre de la sexualité (seins-préliminaires), écrit-elle. Une triade qui synthétise l’injonction millénaire adressée aux femmes : devenir et demeurer des corps sexuels et maternels à disposition. »

Le « no bra », pas professionnel ?

À la sortie du confinement, Juliette, 34 ans, est toujours « no bra ». Lorsqu'elle retourne au travail, elle a un moment d’hésitation au moment où elle enfile un débardeur blanc sans soutien-gorge, qu’elle balaye rapidement. « Je n’ai pas recommencé à en mettre, mais il y a des tenues que je porte avec des soutifs, au travail, reconnaît-elle. Quand c’est trop transparent ou avec un vêtement très décolleté, pour ne pas que si je me penche, on voie carrément mes seins. »

Architecte, elle dirige des chantiers face à des promoteurs majoritairement masculins. « Pour certains rendez-vous ou réunions professionnels à l’extérieur, seule face à des hommes, je remets un soutien-gorge », reconnaît-elle. Moins par pudeur que pour apparaître comme « sérieuse ». « Dans ma tête, il y a quand même l’idée que ce n’est pas très professionnel de montrer ses seins, enfin ses tétons », estime-t-elle.

Elle aimerait parfois tout simplement « ne pas avoir de seins », symboles encombrants qu’elle aimerait pouvoir mettre en sourdine. « C’est un peu un paradoxe : j’aimerais qu’ils ne soient pas regardés ou appréhendés comme quelque chose de sexuel dans l’espace public, estime Juliette. Mais d’un autre côté, dans l’intimité, je ne veux pas qu’ils perdent leur dimension sensuelle et sexuelle.  »

Qu’est-ce qu’une tenue « appropriée » ?

Au travail, rien n’interdit a priori le « no bra » : tout dépend du droit du travail et de l’entreprise. Selon Caroline André-Hesse, interrogée par RTL, le fait de ne pas porter de soutien-gorge pourrait être interdit dans une seule hypothèse, « si le non-port du soutien-gorge est de nature à mettre en danger la santé ou la sécurité de la personne ». Des situations en pratique très rares.

Selon l’avocate, la seule chose qui puisse justifie que l’entreprise considère que cela est « inapproprié » et « s’il y a des plaintes répétées de la clientèle ». Et cela doit être prouvé et étayé par des preuves. Tout dépend du milieu dans lequel on évolue et surtout du chemin parcouru dans sa tête et dans son corps.

De son côté, Aude (46 ans) n’a jamais réussi à franchir le cap du « no bra » au bureau. « Au travail, le regard des autres est beaucoup plus dur, note-t-elle. Le fait de côtoyer des hommes et des femmes que l’on ne connaît pas ou peu peut raviver certaines insécurités que l’on a par rapport à son corps. Et même si l’on aimerait s’en ficher, en pratique c’est difficile. »

La crainte d’une agression sexuelle

Quel que soit le milieu professionnel, étude de l’Ifop datant de juillet 2020 mettait en exergue que se libérer du soutien-gorge était freiné par « la crainte d’être l’objet d’agression physique ou sexuelle », selon 57 % des jeunes femmes.

« Une fois, lors d’un after work, un employé d’un autre service est venu me draguer. Je l’ai rembarré gentiment, mais il a insisté, est revenu à la charge plusieurs fois, témoigne Tiffany, 35 ans, employée dans une agence d’événementiel, auprès de Terrafemina. Ce jour-là, je ne portais pas de soutien-gorge et il fixait ma poitrine ».

Depuis, dès qu’elle sait qu’elle va « potentiellement le croiser », elle s’oblige de nouveau à porter un soutien-gorge. Une contrainte qui l’attriste particulièrement, mais c’est tout ce qu’elle a trouvé « pour éviter d’être harcelée ». Pour Juliette, 34 ans, ce problème n’est pas lié au port d’un soutien-gorge ou non.

« Oui, ne pas avoir de soutif laisse voir la forme des seins et les tétons peut-être davantage, estime-t-elle. Mais une femme avec un push-up, par exemple, c’est dans mon esprit plus voyant que de ne pas avoir de soutif. Peu importe ce que l’on porte, ce n’est pas cela qui fera qu’on ne sera pas harcelées. » Au travail ou ailleurs.

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