"La Fièvre" sur Canal+ : le racisme anti-blanc est-il un mythe ou une réalité ? Ce que disent les spécialistes

Le concept de racisme anti-blanc, qui revient fréquemment dans la bouche de l'extrême droite et de la droite, est au coeur de la série "La fièvre", diffusée sur Canal+.

"La Fièvre", série événement qui démarre ce 18 mars sur Canal +, aborde l'épineux sujet du "racisme anti-blanc". (Capture d'écran Canal +)
"La Fièvre", série événement qui démarre ce 18 mars sur Canal +, aborde l'épineux sujet du "racisme anti-blanc". (Capture d'écran Canal +)

Après le monde politique, le racisme anti-blanc au coeur d'une série télévisée. Dans la série "La Fièvre", diffusée à partir du 18 mars sur Canal+, ce concept cher à l'extrême droite puis à la droite depuis quelques mois, est l'élément déclencheur d'une polémique qui divise la France.

Lors d'une cérémonie diffusée à la télévision, un footballeur star colle un coup de tête à son entraineur, devant caméras et journalistes, le traitant de sale "toubab", signifiant "blanc" en wolof. Un coup de sang qui vire au sujet de société, la France se déchirant autour d'un prétendu racisme anti-blanc (voir la bande annonce ci-dessous).

Dans le réel, le concept était au coeur des débats fin 2023, Édouard Philippe jugeant "bien possible qu'il y ait une forme nouvelle de racisme anti-blanc" en France, pendant que Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur, affirmait qu'il y a "du racisme contre les Blancs, bien sûr. Il faut être aveugle de ne pas le voir".

C'est quoi le "racisme anti-blanc" ?

L'existence même d'un "racisme anti-blanc" fait débat d'un point de vue sociologique, tout dépend de la définition que l'on donne au racisme.

"Le terme de 'racisme anti-blanc' est discutable à deux égards. Tout d'abord, si on a la peau blanche, on n'est pas confronté à la discrimination, au contraire. Autre élément, il est très minoritaire, même si l'on manque d'enquête exhaustive pour le quantifier. Ce sont les deux éléments qui le différencient du racisme à l'égard des minorités. Le terme 'racisme anti-blanc' n'est donc pas le meilleur pour désigner le phénomène qui est une réalité qu'il ne faut pas nier", nous explique l'historienne Carole Reynaud-Paligot, spécialiste de l'histoire des intellectuels et de l'histoire des processus de racialisation.

Si l'on manque effectivement d'études ou de données exhaustives, les chiffres du Service central du renseignement territorial (SCRT), institution placée sous l'égide du ministère de l'Intérieur, donnent une idée de l'ampleur du phénomène. En 2021, le SCRT recense 53 faits liés à ce que certains pourraient appeler "racisme anti-blanc", un chiffre sept fois inférieur à celui des personnes agressées parce que la couleur de leur peau est noire. Il y en a eu 56 en 2022. Alors qu'en 2021, le SCRT relève 381 faits d'agression contre des personnes de couleur, contre 216 en 2022.

La définition que l'on attribue au racisme est au coeur de la réponse à l'existence ou non d'un "racisme anti-blanc", selon Vincent Aubert, maître de conférence en philosophie à l'université catholique de Lille. "Suivant la définition que l'on retient, on ne répond pas à la même question. Si l'on retient certaines définitions du racisme, la question devient celle de l'existence de croyances dans l’infériorité des 'blancs' ou bien celle de l'existence d'attitudes allant de l'indifférence à la haine à l'égard des 'blancs'". Dans ce cas, on peut considérer certains actes comme du 'racisme anti-blanc'", nous explique Vincent Aubert.

"Par contre, si on retient d'autres définitions du racisme, la question devient celle de l'existence d'un système social aboutissant à ce que les 'blancs' soient 'dominés', dans le sens de moins bien lotis, en moyenne, que les autres selon certains indicateurs ; et il devient difficile d'affirmer qu'il y a du 'racisme anti-blanc'", poursuit l'auteur de "Dis, c'est quoi le racisme ?", aux éditions Renaissance du livre.

Ça vient d'où ?

Longtemps dans la bouche de l'extrême droite, le "racisme anti-blanc" a été conceptualisé en 1978 par François Duprat, alors l'un des responsables du Front national, rappelle Sylvain Crépon*, sociologue spécialiste de l'extrême droite, dans une interview au JDD.

Puis le terme sort du langage de l'extrême droite en 2005, avec la publication d'un appel dénonçant des "ratonnades anti-blanc" lors de manifestations lycéennes, signé notamment par Bernard Kouchner, et dont certains membres reprenant le terme de "racisme anti-Blanc".

Le terme est repris à plusieurs reprises par Marine Le Pen, en mai 2012, elle lance à propos de Christiane Taubira, ministre de la Justice : "Elle est totalement incapable de lutter contre le racisme anti-blanc. Le PS est incapable de lutter contre le racisme anti-blanc (...) De la même manière, je ne crois pas que l'UMP était capable de lutter contre l'explosion du racisme anti-français et du racisme anti-blanc qui fait des ravages dans les banlieues", affirmait la présidente du FN.

Puis le terme entre dans la bouche des responsables de l'UMP par l'intermédiaire de Jean-François Copé en 2012, lorsqu'il dénonce l'existence d'un "racisme anti-blanc" dans son livre intitulé "manifeste pour une droite décomplexée", écrit celui qui est alors secrétaire général de l'UMP, et candidat à la présidence du parti.

Un emploi du terme qui a été salué par le président du "bloc identitaire", Fabrice Robert, qui estime que "la stratégie d'influence des identitaires porte ses fruits".

"Il y a de plus en plus de théories de l'extrême droite qui sont reprises par les politiques de droite et du centre comme la théorie du grand remplacement, et maintenant celle de racisme anti-blanc", relève l'historienne Carole Reynaud-Paligot, spécialiste de l'histoire des intellectuels et de l'histoire des processus de racialisation.

À LIRE AUSSI >> Pourquoi le "grand remplacement" est une théorie totalement bancale

Ce que disent les études et les faits

En 2016, l'INED (Institut national d'études démographiques) publie une très vaste étude sur le racisme, et s'intéresse notamment au racisme anti-blanc, auprès de 21 000 personnes vivant en France, âgées de 18 à 50 ans.

Les personnes interrogées ont ensuite été classées en différentes catégories. La catégorie de la population "majoritaire non paupérisé" sont les moins concernés par l'expérience du racisme : "Seulement 15% des personnes de cette population déclarent en avoir été la cible au cours de leur existence, contre par exemple 60% des descendants d'immigrés d'Afrique subsaharienne". Pour l'Ined, ce phénomène n'a donc "pas le caractère d'une expérience de masse", écrivent les auteurs de l'étude.

Ils concluent leurs travaux en indiquant que : "le racisme des minoritaires à l'encontre des majoritaires peut blesser verbalement, voire être agressif physiquement, mais il ne fait pas système et ne produit pas d'inégalités sociales […]. Il s'agit d'un racisme de réaction face à des personnes qui, par leurs origines, leur apparence, leur couleur (réelles ou imaginaires) leur position sociale ou leurs comportements, peuvent incarner la classe ou la "race" des dominants et des racistes […]".

"Il ne faut pas oublier que les personnes accusées de racisme anti-blanc sont des personnes qui sont victimes de racisme et qui retournent le stigmate parce qu'on les a stigmatisées, elles en viennent à rejeter les autres catégories. C'est un élément qui est occulté dans le débat public", souligne l'historienne Carole Reynaud-Paligot, spécialiste de l'histoire des intellectuels et de l'histoire des processus de racialisation.

Dans les faits, il existe de rares cas où la justice condamne des individus pour des faits présentés par certains comme du racisme anti-blanc, note Libération. En 2010, un jeune homme d’une vingtaine d’années est agressé dans une station de RER à Paris et blessé par un homme, blanc, armé d’un tesson de bouteille. Le caractère raciste de l’agression avait été retenu comme une circonstance aggravante, plusieurs témoins ayant entendu des insultes "sale blanc" et "sale Français".

Si le tribunal correctionnel rejette dans un premier temps la circonstance aggravante de racisme, la cour d'appel la retient finalement, l'auteur est condamné à quatre ans d'emprisonnement, dont trois fermes. Autre cas, en avril 2016, la cour d'appel de Lyon avait condamné à trois mois de prison ferme un jeune de 22 ans qui avait insulté le passager d'un train, le traitant de "sale blanc, sale Français".

VIDÉO - La Face Katché - Marie-José Pérec : "Quand je suis arrivée ici, je me suis rendu compte que j’étais noire. Certains m’ont dit : "Sale Noire, rentre chez toi !""