Présidentielle 2022 : pourquoi le "grand remplacement" est une théorie totalement bancale

Valérie Pécresse en meeting le 13 février 2022 (Photo Alain JOCARD / AFP)

Ce concept aux relents complotistes, théorisé par l'écrivain d'extrême droite Renaud Camus, est repris par Eric Zemmour, le Rassemblement national et désormais Valérie Pécresse.

"Nous sommes à la croisée des chemins", mais il n’y a "pas de fatalité, ni au grand remplacement, ni au grand déclassement". Avec ces mots, prononcés ce dimanche en meeting au Zénith de Paris, Valérie Pécresse a choqué en reprenant à son compte le terme de "grand remplacement", jusqu'à présent réservé à l'extrême droite.

Deux visions du "grand remplacement"

Derrière le terme de "grand remplacement" se cache l'écrivain français Renaud Camus, qui le popularise dès 2010, avant qu'il ne soit repris et médiatisé notamment par Éric Zemmour. Sous la plume de l'écrivain d'extrême droite, le "grand remplacement" désigne un complot orchestré par une élite mondialisée contre les Français et les Européens blancs, visant à les remplacer "en une ou deux générations" par des non-Européens d'Afrique subsaharienne et du Maghreb, dont la majorité sont musulmans. Objectif selon lui, construire un homme nouveau "débarrassé de toute spécificité nationale, ethnique et culturelle", et donc "échangeable" et "délocalisable" à merci pour les besoins de l'économie mondialisée.

D'autres voient dans la théorie du "grand remplacement" un "constat" : "en raison d’une immigration 'massive' et d’une fécondité plus forte, les populations d’origine extra-européennes seraient en passe de surpasser numériquement les populations "d’origine" (c’est-à-dire caucasiennes) en Europe et, du même coup, d’imposer leur culture et leur religion au continent", synthétisait Le Monde dans un article en 2019.

Une expression médiatisée par Eric Zemmour

La théorie du "grand remplacement" émerge dans la sphère politique depuis plusieurs années, via l'extrême droite en France. En 2014, Jean-Marie Le Pen affirme lors d'un meeting que "la France et l'Europe" subissent '"une invasion migratoire" qui "risque de produire un véritable remplacement des populations" françaises par des extra-européens en "grande partie" musulmans, se ralliant ainsi à la théorie du grand remplacement.

Depuis, la terme "grand remplacement" s'est largement répandu au sein de l'extrême droite française, repris par l'actuel président du RN Jordan Bardella, ou encore le chroniqueur puis candidat Eric Zemmour.

Les chiffres contredisent le "grand remplacement"

Pourtant, dans les faits, cette théorie du "grand remplacement" est totalement bancale. "Le solde migratoire, c'est-à-dire la différence entre les entrées et les sorties du pays, est d'environ 100 000 habitants en plus par an en France, toutes origines confondues. Ce qui veut dire que pour remplacer une population d'environ 70 millions d'habitants, il faudrait 700 ans, alors que la théorie du grand remplacement estime que c'est l'affaire d'une ou deux générations, soit 25 à 50 ans", décrypte le chercheur François Gemenne, spécialiste des migrations.

En 2018, selon l'Insee, le nombre d’immigrés en France s’établissait à 6,5 millions de personnes soit à peine 10 % de la population française. Parmi eux, seule une petite moitié (46,1 %, dont 29,3 % venus du Maghreb) était d’origine africaine en 2018, soit 3 millions de personnes, contre 33,5 % venus d’Europe, 14,5 % d’Asie et 6 % d’Amérique et d’Océanie. Le constat "grand remplacement" est donc totalement faux dans les chiffres.

"La population française a toujours changé"

L'autre volet de cette théorie du "grand remplacement" la discrédite un peu plus : l'idée que le remplacement de la population, française et européenne soit "organisé par des élites mondialisées" comme l'affirme Renaud Camus. "La population française a toujours changé, depuis des siècles, au contact d'autres populations, et cela vaut pour toute l'Europe. C'est ce que certains appellent métissage, d'autres créolisation. Mais ce n'est pas un 'grand remplacement', organisé par des élites", explique François Gemenne. Une rhétorique complotiste qui discrédite un peu plus ceux qui reprennent cette expression à leur compte.

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"Dans l'Histoire, ces 'grands remplacements' ont eu lieu, c'est le cas des Indiens d'Amérique et des Aborigènes en Australie, qui ont été remplacés suite à la décision de gouvernants d'envoyer massivement des colons venus d'Europe, au point que leur population est devenue minoritaire" poursuit le spécialiste des migrations.

Une théorie qui infuse dans le débat public

En quelques années, le "grand remplacement" est passé d'une théorie complotiste à un thème de campagne, s'invitant dans les débats entre candidats à la présidentielle et dans les esprits des Français. Selon une enquête Challenges-Harris Interactive, plus de 6 Français sur 10 estiment que ce phénomène va se produire, dont plus d’un quart estimant que ce phénomène va certainement se produire.

"C'est une victoire culturelle de l'extrême droite d'avoir popularisé l'expression de grand remplacement dans la bouche de ceux qui veulent parler d'immigration incontrôlée. Mais je doute que ceux qui valident l'existence de cette théorie aient conscience de son degré complotiste", conclut François Gemmene. Selon France Info, plusieurs cadres LR ont appelé Valérie Pécresse à renier cette expression attribuée à l'extrême droite.

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