« Quand tu seras grand », une tranche de vie en Ehpad auprès de ces « grands oubliés »

CINÉMA - « Dénoncer la violence institutionnelle tout en s’attachant à la bienveillance des êtres humains ». Cinq ans après le drame intime Les Chatouilles, Andréa Bescond et Éric Métayer croquent un « moment de vie » dans un Ehpad où le quotidien des résidents est perturbé lorsque les enfants de l’école d’à côté débarquent pour squatter leur cantine. Au cinéma depuis ce mercredi 26 avril, Quand tu seras grand est un film doux, tendre mais qui n’omet pas pour autant de raconter l’épuisement des soignants et l’isolement des aînés.

Le point de départ de ce film, c’est d’abord une histoire personnelle des réalisateurs qui, après le placement d’un proche en Ehpad, voient « l’énergie positive incroyable » créée par leurs enfants chez les personnes âgées lorsqu’ils viennent en visite. « Et aussi le contexte évidemment social autour du personnel soignant qui nous a toujours interpellés, avant, pendant ou après la crise sanitaire », précise Andréa Bescond au HuffPost.

« S’attacher à la bienveillance des êtres humains »

Loin d’un « reportage à la Depardon » ou d’un « témoignage à charge » dixit Éric Métayer, les cinéastes avaient avant tout l’envie d’un « film choral » pour dresser « une image de ce que peut être l’Ehpad aujourd’hui », avec ses joies et ses difficultés. On y croise Aïssa Maiga en Atsem reponsable d’une ribambelle d’enfants plus ou moins turbulents; Vincent Macaigne, Marie Gillain ou Carole Franck en aide soignants physiquement et moralement harassés ; des résidents attachants comme le couple de forains Gigi et Yvon, et d’autres plus agités. Et aussi des dizaines de figurants de 70 à 90 ans, pour la plupart pensionnaires d’Ehpad proches du lieu de tournage.

Entre des scènes difficiles - comme celle où l’une des résidentes dit avoir été griffée et malmenée par une soignante à bout et que le personnage de Vincent Macaigne en vient à avoir des doutes sur sa collègue - le film laisse aussi la place aux rires, à la musique, à la poésie et même à la danse, la marque de fabrique du duo de cinéaste. « Le but était de dénoncer une violence institutionnelle, un manquement de moyens mais de s’attacher à la bienveillance des êtres humains », poursuit Andréa Bescond.

Ces rencontres entre enfants et vieux, « deux générations oubliées » pour les réalisateurs, existent déjà dans certaines maisons de retraite. Les « ateliers intergénérationnels » d’un Ehpad d’Issy-les-Moulineaux avaient été filmés par les caméras du documentaire Une vie d’écart de Canal+ en 2020. Et à Barlin, dans le Pas-de-Calais, l’école maternelle s’est délocalisée dans l’Ehpad de la commune depuis la rentrée de janvier 2023.

« À chaque fois, c’est quand même une énergie qui découle d’un collectif, ou d’une personnalité », évoque la réalisatrice, aussi autrice du roman Une simple histoire de famille, « c’est toujours un être humain qui se motive pour engendrer un contexte meilleur. Quand on attendrait que ce soit l’État qui prenne cela en main ».

« Si les conditions de vie en Ehpad ne changent pas, ça va être une catastrophe »

La réforme des retraites, promulguée après un passage en force du gouvernement au 49-3, n’a fait que raviver la question de la pénibilité et de l’usure professionnelle. Alors que la France compte aujourd’hui 1,5 million de personnes dépendantes, combien seront-elles dans un futur proche ? « On ignore, on invisibilise la vulnérabilité, et pour autant on crée un système de travail qui est ultra-usant et qui va faire que les personnes, lorsqu’elles vont entamer l’âge de retraite, vont être déjà tellement fatiguées qu’en effet, les Ehpad ne vont faire que se remplir », réagit Andréa Bescond. « Mais si on ne change pas les conditions de vie, ça va être une catastrophe. »

Et pour le personnel soignant, le recul de deux ans de l’âge légal de départ à la retraite n’est pas sans conséquence. Alors que l’entrée en Ehpad est possible à partir de 60 ans, des responsables syndicaux de la CGT et FO alertaient (avant la promulgation) que « si l’âge de départ à la retraite passe vraiment à 64 ans, cela voudra dire que les soignants seront plus âgés que leurs patients ».

Éric Métayer se souvient justement avoir eu cette conversation avec une aide-soignante consultée pour le film. « Elle nous disait : je n’ai pas envie de me retrouver à pousser le fauteuil de quelqu’un qui est pratiquement plus jeune que moi ! Je ne tiendrai pas le coup, me demander d’aller jusqu’à 62 ou 63 ans je ne pourrai pas. »

« On voulait aussi profiter de ce film pour mettre en valeur le travail et l’implication des aides-soignants », conclut le réalisateur. « On les a applaudis pendant la crise sanitaire et malheureusement on a l’impression qu’aujourd’hui tout le monde s’en fout ».

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