Comme pour la série Dahmer sur Netflix, pourquoi le mal nous fascine autant

La nouvelle série de Ryan Murphy sur Jeffrey Dahmer ne plaît pas à ces proches de victimes
IMdb La nouvelle série de Ryan Murphy sur Jeffrey Dahmer ne plaît pas à ces proches de victimes

PSYCHOLOGIE - Le triomphe sur Netflix, de la série de Ryan Murphy, Dahmer, en dit long sur la fascination persistante qu’exercent les tueurs en série sur le grand public.

Le terme « fascination » en psychopathologie ne renvoie en aucun cas à une idéalisation, à une valorisation. On est fascinés comme un lapin pris dans les phares, car l’événement auquel nous assistons (parfois à notre insu) crée en nous une véritable captation inconsciente, souvent en lien avec des traumatismes antérieurs.

Fascination n’est pas idéalisation

Par exemple, nous nous baladons dans la rue, il fait beau, et nous assistons, complètement par hasard, à une agression très violente. Beaucoup de personnes qui ont vécu cet événement l’attestent : il est difficile de détourner le regard. Plutôt que d’intervenir ou d’appeler les secours, les premières secondes, voire les premières minutes sont « sidérantes », dans le vrai sens du terme. Le spectateur de l’agression ne peut faire quoique ce soit, souffrant parfois même d’un gel des capacités cognitives et affectives, dans une identification à la victime et une peur panique de dire quoique ce soit de ce qui se passe pourtant sous ses yeux, à quelques mètres seulement.

La scène peut directement venir faire écho à une expérience précédemment vécue dans laquelle le spectateur s’est senti directement visé par cette violence. La réminiscence peut alors lui être proprement insupportable, au point que certains d’entre nous préféreront quitter le lieu de l’agression comme s’ils n’avaient rien vu, rien entendu. Leur résonance traumatique sera perçue comme de la lâcheté ordinaire.

Or, il faut faire quelque chose de notre fascination, ne pas la laisser en jachère. C’est le but de tout travail thérapeutique. Les personnes traumatisées le disent mieux que les autres : elles veulent dépasser leur traumatisme pour sortir du choc, de l’addiction à l’image, d’une sorte de souffrance masochiste à revivre en permanence les traces du trauma initial, sans pouvoir s’en dépêtrer.

Une série comme Dahmer convoque ces aspects de la psyché humaine. Par écran interposé, certes. Mais les recherches neuroscientifiques nous ont montré à quel point les neurones miroirs sont capables d’être mobilisés de la même manière en tant que victime qu’en tant que simple spectateur.

Ainsi, quand on regarde une scène de viol ou de meurtre à la télévision, le cerveau a la possibilité de s’identifier complètement à ce qui est en jeu, en sachant bien sûr que la scène ne se produit pas réellement et qu’il peut s’en défaire à tout moment en changeant de chaîne.

Dans le cas de Dahmer, le parti pris du scénariste est de dresser un portrait du tueur en série homosexuel et cannibale, qui a tué des personnes gays et racisées dans un quartier de New York durant douze ans, sans être arrêté par les forces de police. Ryan Murphy a choisi de consacrer de nombreuses scènes de la série à la description macabre, organique, chirurgicale des scènes de crime. « Je veux manger ton cœur » dit à un moment donné Dahmer à sa prochaine victime, enfermée chez lui et complètement consciente, ayant refusé de boire le verre offert par le tueur, dans lequel se trouvait de la drogue. Nous assistons alors aux respirations saccadées, à l’accélération du cœur, à la crise de panique attaque du pauvre homme pris au piège. Tout au long des épisodes, les odeurs de cadavres dans l’appartement de l’assassin fonctionnent comme une sorte de fil rouge. En effet, malgré les appels désespérés de la voisine à la police, ces odeurs pestilentielles ne suffiront pas à attirer l’attention des autorités.

« Où est le tact ? »

Sur le plan psychologique, une telle immersion « dans la tête d’un tueur en série » est à tout à fait inédite. Le spectateur s’engouffre dans son univers visuel, olfactif, dans ce que Dahmer a certainement perçu de ses victimes avant de les mettre à mort. C’est ce qui « fascine » tant et crée un tel engouement de la série. De ma place de psychanalyste, je trouve scandaleux que des Dahmer shows soient proposés sur TikTok, avec des personnes déguisées parodiant les scènes de crime, que les lunettes du tueur (mort en 1994) aient été mises aux enchères. C’est une sorte de complaisance dans cette fascination dont je parlais tout à l’heure et de laquelle nous devons sortir pour aller bien. « Où est le tact ?  » demandait Romy Schneider aux journalistes qui n’hésitèrent pas à photographier son enfant David à la morgue, alors qu’il venait de mourir d’un accident dans la maison de ses grands-parents.

Nous pouvons tous nous demander, quarante ans après, où est le tact, où est le respect envers les familles de victimes, nombreuses à avoir exprimé leur écœurement. La fascination est faite pour être dépassée, élaborée. Or, nous vivons dans une société de l’image plutôt que de l’intelligence. Nous préférons rester les yeux rivés sur des photos d’autopsie plutôt que de réfléchir à la question du mal et de la prédation. Derrière la mise en scène narcissique de nous-mêmes, se cache aussi et surtout beaucoup, beaucoup de paresse intellectuelle.

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