Rugby à 7: "Parfois je les regarde tous et je me dis qu'ils sont tous tarés", les confidences de Parez-Edo
Comment sentez-vous votre équipe après cette première médaille de l’année avec le bronze obtenu à Vancouver?
Le résultat, troisièmes, c'est une première médaille cette année donc c'est quand même hyper positif! J’ai trouvé l'équipe vraiment en canne. On a su montrer de bonnes choses défensivement comme offensivement et ça nous laisse très optimistes pour les prochains tournois.
Qu’est-ce qui vous a manqué face aux Néo-Zélandais en demi-finale?
Je pense que c'est une question de précision offensivement comme défensivement. C’est aussi une question de solidarité en défense face à des joueurs néo-zélandais qui ont fait un gros tournoi. On a tenté d’éteindre le feu dès que possible et on l'a peut-être un peu trop laissé se répandre tout le long du match. Je pense que c’est ce qui nous empêche de passer en finale.
"Ne pas changer les choses parce que c’est Antoine Dupont"
Qu’est-ce que vous pouvez nous dire de l’arrivée d’Antoine Dupont, de son intégration sur et hors du terrain?
L'intégration d'Antoine, je le dis souvent, c'est un joueur de rugby à 15 qui intègre une équipe de France de rugby à 7. Ça, on a l'habitude. Effectivement, c'est une personnalité française aujourd’hui mais il ne déroge pas à la règle. Il a fait ses burpees (un enchaînement de pompes et de squats sautés, le bizutage pour tous les nouveaux joueurs à 7, ndlr) quand il est arrivé, s’il est en retard il a les mêmes sanctions que tout le monde.
On essaie de l'intégrer comme on a pu intégrer tous les autres joueurs pour que le groupe continue à vivre comme il vit d'habitude. Ne pas changer les choses parce que c’est Antoine Dupont - même si on est tous fiers de pouvoir jouer avec lui – c'est très important pour nous. Ça reste un joueur de rugby à XV à qui il faut donner un maximum de billes sur le rugby a 7 pour qu'il puisse s'épanouir sur le terrain.
Vous jouez au poste de demi de mêlée, l’un des postes auxquels Antoine Dupont est testé à 7, son poste à XV... les enchères vont monter jusqu’aux JO pour une place en équipe de France?
Dès qu'on parle de concurrence, forcément les enchères montent. Cela nous pousse à être meilleur chaque jour à l'entraînement et sur chaque match. Aujourd'hui, la concurrence est saine. On intègre Antoine Dupont qui a été nommé meilleur joueur du monde à plusieurs reprises. C’est forcément une concurrence qui est plus difficile que n'importe laquelle. Mais il ne faut pas perdre de vue l'objectif d’exceller, que l'équipe de France excelle pour aller au bout cet été.
Vous êtes l’un des tauliers de l’équipe de France. Vous avez connu la non-qualification aux JO de Tokyo... Aujourd’hui la France se classe parmi les meilleures nations mondiales... Avoir fait l’impasse sur Tokyo vous a boostés pour arriver très forts aux Jeux de Paris?
Cela a fait dix ans maintenant que je suis dans le groupe. Forcément, j'ai vu différentes facettes de l'équipe de France de rugby à 7. J'ai vécu l'époque de Jean-Claude Skrela (manager des Bleus du 7 de 2014 à 2016) et Frédéric Pomarel (entraîneur de 2010 à 2017) à la tête du groupe avec le capitaine Vincent Deniau et Terry Bouhraoua (meilleur marqueur de l’histoire des Bleus du 7 avec 131 essais inscrits). Terry a justement joué jusqu’aux Jeux de Tokyo. La non-qualification a été un gros tournant pour cette équipe. Il y a eu beaucoup de départs, des joueurs qui ont arrêté leur carrière, qui ont arrêté le rugby à 7 pour basculer à XV.
En parallèle, beaucoup de joueurs de rugby à XV sont venus à 7. Des joueurs qui ont apporté une certaine fougue, une énergie au sein du groupe et ça se ressent énormément sur le terrain. Ce sont des joueurs comme Théo Forner, Jefferson Lee Joseph, Aaron Grandidier, Nelson Epée, Esteban Capilla, Antoine Zeghdar, et je peux continuer comme ça longtemps. Des joueurs qui ont la dalle. Aujourd’hui, il y a une grosse majorité du groupe qui vient du rugby à XV et c’est le top pour une équipe de France de rugby à 7. Et en même temps, le rugby à 7, il faut savoir le jouer. C’est quelque chose d’assez particulier. La discipline commence à se faire sa place dans le paysage du rugby français et les jeunes joueurs s'y intéressent. Ce n’était pas forcément le cas il y a dix ans!
Question volontairement provocatrice... Est-ce que les joueurs de rugby à 7 sont des rugbymen qui n’étaient pas sélectionnés à XV?
Chacun a son discours sur le rugby à 7. Personnellement, j’ai basculé à 7 par opportunité à une époque où beaucoup de joueurs se sont blessés en équipe de France. C'était une volonté de ma part de venir à ce moment-là. J’étais au Racing 92 et j'ai cassé mon contrat de rugby à XV pour venir à 7 parce que je trouvais que je devenais un meilleur joueur en venant au rugby à 7. Je ne pense pas qu’il faille stigmatiser le rugby à 7.
Oui, certainement que des joueurs ne parviennent pas à s’imposer à XV et que le rugby à 7 leur va mieux. Mais aujourd'hui, les joueurs qui viennent du rugby à XV ne sont pas des joueurs qui ne réussissent pas à XV. Je trouve au contraire que l'ouverture d'esprit est un atout majeur au rugby à XV. Ça montre que le joueur a envie de de progresser, de vivre des moments intenses. A l’échelle d’Antoine Dupont, je trouve ça hyper courageux de se lancer un défi aussi gros en sachant qu’il a énormément de médias qui le pointent déjà du doigt parce qu’il ne dispute pas le Tournoi des VI Nations cette année. Il faut avoir du courage pour sortir de sa zone de confort et jouer au rugby à 7. Et puis un bon joueur de rugby à 7, c’est un bon joueur de rugby à XV et inversement!
Selon vous, est-ce qu’Antoine Dupont peut devenir un joueur encore plus fort grâce au rugby à 7?
Bien sûr! On le voit, il n’excelle pas dans tout ce qu’il fait à 7. C’est drôle parce qu’on le met sur un piédestal. C'est notre Antoine Dupont, il sait tout faire et il le fait à merveille! Mais il sort de sa zone de confort et en ça je le trouve très courageux. Il va se retrouver dans des situations où il va devoir être un peu plus précis que d'habitude. Mais pour l’instant sur le terrain, il nous a montré qu'il a toutes les skills pour être joueur de rugby à 7. J'espère que ça va lui apporter un maximum et que ça le rendra encore meilleur, pour lui et pour les équipes de France.
En France, on s’intéresse au rugby par le prisme du XV... Qu’est-ce qui vous plaît tant dans le rugby à 7?
C’est d'être en activité tout le temps. Il n’y jamais de temps mort. Tu es tout le temps en activité, tout le temps en train de d'observer le jeu, d'observer la défense adverse, d'observer leur attaque, d'essayer d'anticiper. Ce sont des réflexes que j'avais un peu moins quand je faisais du rugby à XV à l'aile. Forcément sur 80 minutes, tu as des temps morts! Cette activité-là me galvanise et me fait prendre mon pied sur le terrain.
"Rendez-vous en juillet 2024 pour marquer l’histoire"
Tout va tellement vite au rugby à 7 qu’il faut apprendre à ne pas céder au stress et à être résilients. C’est un terme qui est cher au sélectionneur Jérôme Daret. Comment on fait pour être résilient?
Il y a deux choses. Le stress quand ça ne va pas bien sur le terrain, c'est quelque chose que l’on travaille avec un préparateur mental. Ce sont des choses que l’on travaille aussi à l'entraînement avec différents scénarios. C’est assez facilement assimilable. La résilience vient du fait que - quand tu fais du rugby à 7 à ce niveau-là - tu ne lâches jamais le morceau. On est compétiteurs donc quand un adversaire fait le mètre de plus ou essaye de l’emporter sur une course jusqu’à l’en-but, on ne lâche pas. Ce sont de petits détails et je pense que la grosse cohésion entre nous pousse à travailler pour l'équipe. Si tu ne le fais pas, tu rends un gros coup de massue et on te le fait savoir pour que la prochaine fois, tu sois plus résilient.
Vous qui êtes là depuis longtemps, comment décririez-vous ce groupe qui prépare les Jeux olympiques de Paris?
C'est un jeune groupe qui a énormément d'énergie et des caractères totalement différents. Parfois je me pose sur une chaise, je les regarde tous et je me dis 'Mais ils sont tous tarés' (rires). Je vous jure! Je les regarde, il n’y en a pas un qui est normal en fait. Tout le monde a sa petite personnalité un peu barjot. Si tu sors l’un de ces mecs du groupe et que tu le mets en société, tu te dis 'Il y a quelque chose qui cloche chez ce mec'. Il y beaucoup de complicité parce qu’on part en tournée et en stage ensemble. On est souvent deux par chambre, on partage tous les repas, les entraînements, il n’y a jamais de temps où on est tout seul. On apprend un peu plus chaque jour sur nos coéquipiers, il y a des liens qui se créent. Et puis avec la saison qu'on a passé l'année dernière (la quatrième place mondiale), ces liens sont encore plus solides. Quand tu marches sur le World Series comme on a pu le faire l'année dernière, ça soude.
Vous avez en tête le seul titre de l’équipe de France de rugby à 7? La médaille d’or décrochée à Paris en 2005...
Le championnat a bien changé depuis. Ça s’est énormément professionnalisé. A l’époque, les joueurs à XV venaient ponctuellement jouer au rugby à 7. Mais voilà, ils ont réussi à accomplir quelque chose que l’on veut à tout prix. La médaille d’or, on la touche du doigt mais on aimerait la prendre avec les dents et réussir à nouveau à gagner un tournoi. La majorité du groupe actuel sait que c’était en 2005 et ils connaissent certains des joueurs sur le terrain à l’époque, mais le championnat a changé, est plus relevé. Mais le nouveau format du circuit mondial à 12 équipes (au lieu de 24) et une finale à Madrid (31 mai au 2 juin) est une opportunité unique de gagner le championnat. Et on n’oublie pas les belles années du rugby à 7 français. On aimerait bien faire pareil, voire plus! Rendez-vous en juillet 2024 pour marquer l’histoire.