Rugby à 7: les Bleus à l’épreuve de l’océan pour mieux gérer leurs émotions

Rugby à 7: les Bleus à l’épreuve de l’océan pour mieux gérer leurs émotions

Ils mouillent le maillot... mais pas sur les terrains de rugby, cette fois. En plein océan! En stage olympique à Capbreton, les septistes tricolores ont eu droit à un drôle d’entraînement ce mercredi matin. Ils ont dû se mettre à l'eau, à un peu plus d’un kilomètre de la côte landaise, pour rentrer à la nage.

Réunis au port à 8h30, les joueurs ne savent alors pas ce qui les attend. "Je m'attends à souffrir", prévoit dans un sourire Thibaud Mazzoleni. "Je m'attends à un petit dépôt au large pour un retour à la nage. On va dire que la nage n'est pas ma qualité première mais je me débrouille dans l'eau. J'ai passé quelques vacances ici quand j'étais petit." Le septiste français se souvient d'ailleurs de l'arrivée de Stéphanie Barneix à Capbreton, lorsqu'elle avait traversé l'Atlantique Nord à la force des bras sur un paddle board avec ses coéquipières Flora Manciet et Alexandra Lux.

Requins, eaux profondes, yeux bandés... tout pour destabiliser les joueurs

C'est la sauveteuse nautique et aventurière qui encadre la séance. Elle fait le point avec les joueurs avant d'embarquer et les prévient de la possible présence de méduses ou de requins au large. Andy Timo est pris d'un fou rire nerveux avec Varian Pasquet, la tête entre les mains. Croiser des requins, c'est très peu probable mais c'est possible, nous confie la sauveteuse après l'entraînement. "On a essayé de les déstabiliser".

Après les préconisations, les Bleus montent à bord des bateaux: direction le Gouf de Capbreton, un grand canyon sous-marin. Tout ça les yeux bandés! C'est dans cette zone unique, au-dessus de l'une des fosses les plus profondes de l'Atlantique, que les rugbymen doivent sauter à l'eau. Divisés en quatre équipes avec une seule planche de secours par groupe, les hommes de Jérôme Daret entament leur périple suivis de près par les quatorze sauveteurs professionnels venus de toutes les Landes pour l'occasion.

Une heure d'épreuve dans les vagues

Deux groupes font la course en tête: celui de Théo Forner, William Irahuga, Antoine Zeghdar et Paul Leraître, au coude-à-coude avec Rayan Rebbadj, Jonathan Laugel, Aaron Grandidier et Nelson Epée. Arrivés sur le rivage au bout d'un peu plus d'une demi-heure, ils grimpent jusqu'au drapeau rouge hissé en haut de la dune de Capbreton. Mais ils ne sont pas au bout de leur peine. Jérôme Daret, le préparateur physique Julien Robineau et Stéphanie Barneix ont décidé de les renvoyer à l'eau, face aux vagues, pour prolonger l'épreuve.

Etonnement et coup de gueule pour certains, patience et concentration pour d'autres... Tous reviennent sur la plage au bout d'une heure d'effort et bouclent la séance par une course jusqu'au poste de secours. Certains joueurs souffrent de crampes, mais ils arrivent avec le sourire.

"Il peut y avoir des situations similaires au rugby. Des décisions de l'arbitre vécues comme injustes." Stéphanie Barneix

"C’était incroyable!" en rit le capitaine Paulin Riva. "Très très dur mais une belle expérience. On a dû se serrer les coudes. La côte ne s’approchait pas rapidement mais le but c’était de bien se coordonner pour essayer d’avancer sans trop réfléchir. Il y avait peut-être de petites différences de niveaux mais les garçons n’ont pas lâché. Ça c’était top. Il y a des garçons qui prennent le lead chacun leur tour dans le groupe et ça motive tout le monde."

S'adapter face à l'imprévisible, en mer comme sur un terrain

Le plus dur pour les joueurs, selon Stéphanie Barneix, aura été de se remettre à l'eau alors qu'ils pensaient avoir terminé leur course. "Il y en a qui ont tout de suite accepté", raconte la sauveteuse. "D'autres ont râlé. Mais ils sont tous repartis. Il peut y avoir des situations similaires pendant un match de rugby. Des décisions de l'arbitre vécues comme injustes ou comme une surprise. Il faut arriver à gérer ses émotions pour qu'elles ne viennent pas polluer la performance."

Un sang-froid dont la sauveteuse a besoin au quotidien: "Notre métier est un métier très imprévisible. On peut avoir une belle plage, tout va bien, il fait beau et tout d'un coup une personne fait un arrêt cardio-respiratoire. Là, il faut switcher. C'est ça que l'on voulait partager. A tout moment il peut y avoir des cartons, des blessés, des matchs décalés... On ne sait pas tout ce qui peut arriver mais il faut toujours être prêts."

La "résilience": notion-clé du projet tricolore

Jérôme Daret sent qu'il a touché du doigt ce qu'il visait: "C'était une séquence axée sur la gestion des émotions. L'objectif est d'être en capacité de gérer ce qui est imprévisible. Quand on va se jeter dans l'océan, il faut être capable de s'entraider, de collaborer mais surtout de gérer ses émotions. Parce que si on panique, si on manque de sérénité on peut vite se retrouver en difficulté."

Cet entraînement est le fruit d'un long travail qui trouve sans doute sa source au stade Louis-II de Monaco en juin 2021. Les Bleus avaient vu leur rêve de disputer les Jeux de Tokyo s'envoler après leur défaite contre l'Irlande, en finale du tournoi de qualification olympique. Une blessure qui a poussé Jérôme Daret et son équipe à lancer un nouveau projet, plus fort, en vue de Paris 2024. Avec un maître-mot: "la résilience".

Les Bleus plus solides que jamais

Une résilience que le sélectionneur et les joueurs sont d'abord allés chercher sur le terrain. En trois ans, les Français sont passés de la septième place mondiale (2021-22) au titre de champions du monde, début juin à Madrid. S'il a pu compter sur la coopération des clubs de Top 14 pour mettre à disposition plus de joueurs en vue des Jeux (comme un certain Antoine Dupont), Jérôme Daret est aussi aller puiser son inspiration loin du rugby.

Pour préparer mentalement son équipe, il a fait appel à Stéphanie Barneix qui a animé six séances sur le thème "La puissance de l'océan". Depuis septembre 2023, la Landaise fait découvrir aux Bleus l'immensité de l'océan, ses imprévus et ses dangers. L'objectif était de leur apprendre à réagir et à s'adapter dans un contexte changeant et parfois hostile. "Stéphanie est un peu pour nous l'archétype de la résilience", explique Jérôme Daret. "C'est un personnage incroyable qui a résisté à des tempêtes sévères. Je ne vais pas entrer dans le détail mais le message était assez puissant."

"Il faut que l'on se mette en danger." Jérôme Daret

L'aventurière poursuit: "J'ai fait des traversées, j'ai été touchée quatre fois par le cancer. Ce que je voulais leur transmettre, c'est qu'il faut retirer une force d'épreuves comme celle d'aujourd'hui. Il ne faut pas qu'ils les subissent, il faut qu'ils aillent les chercher. Des joueurs m'ont dit: 'Jamais je n'aurais cru être capable de faire ça'. Et ça c'est énorme. Ils ont des ressources insoupçonnées et il faut qu'ils les mobilisent pendant les Jeux."

Peyo Lizarazu, le frère de Bixente, présent avec les Bleus

Ce mercredi, le coach tricolore avait aussi fait appel à un autre sportif de l'extrême pour observer ses joueurs. Peyo Lizarazu, champion du monde de surf, l'un des précurseurs européens du surf de grosses vagues, et... frère de Bixente. Il donne lui aussi ses impressions aux joueurs après leur sortie en haute mer. "Aujourd'hui, ce que j'ai aimé en vous voyant, c'est de voir certains au port qui avaient l'air inquiets et puis certains qui ont pris les choses en main. Bravo."

Après trois ans de travail sous la houlette de Jérôme Daret et au bout d'une saison 2023-24 historique (avec deux médailles d'or dont celle du sacre mondial à Madrid), les Bleus rêvent désormais d’atteindre leur objectif suprême: l’or olympique. "On est devenus des 'rookies favoris'. Aujourd'hui on est capables de gagner. On découvre tout et il faut que l'on se mette un peu en danger, que l'on sorte de notre zone de confort et c'est ce que l'on est en train de faire. On ne dort pas, on avance!" Le sélectionneur est déjà sûr d'une chose: avec ou sans le titre, ils n'auront aucun regret.

Article original publié sur RMC Sport