Dans la rue, je marche les yeux baissés et la boule au ventre

Une Française sur deux dit avoir été victime de harcèlement ou d'agression
Getty Images/iStockphoto Une Française sur deux dit avoir été victime de harcèlement ou d'agression

HARCÈLEMENT - J’ai écrit ce texte sous le coup de l’émotion, après avoir été suivie dans la rue. J’avais envie de pousser un coup de gueule. Je l’ai ensuite retravaillé, approfondi, puis partagé à mon entourage. Il a résonné auprès de beaucoup de femmes. J’avais envie d’essayer de le partager à un plus grand nombre.

Très honnêtement, à part écrire, je ne sais ce que je peux faire d’autre. Il est tout juste neuf heures du matin et j’ai déjà hurlé et pleuré. C’est une histoire vieille comme le monde, que je commence petit à petit à accepter. Quand on est féministe, on a tendance à penser qu’on peut tout changer, et qu’à force de patience, de dialogue, de lutte, parfois de colère, tout changera. Tous les hommes comprendront un jour. Comment est-ce possible autrement ? Au-delà des questions de genre, de sexisme ordinaire, d’inégalité salariale, de partage des tâches, ils comprendront un jour qu’on ne suit pas une fille dans la rue, qu’on n’insiste pas quand elle ne veut pas parler, qu’on ne la touche pas, qu’on ne l’agresse pas, qu’on ne l’insulte pas. Triste liste… Pourtant si vraie. Je coche toutes les cases rien que ces trois dernières années. Et encore, jamais de coup ou de viol !

Sécurité plutôt que liberté

De temps à autre cela va mieux, surtout en hiver lorsqu’on est plus souvent chez soi, qu’on est habillée moins léger. Mais ces derniers temps j’ai commencé de nouveau à baisser les yeux quand je marche seule dans la rue. À me mettre dans ma bulle, à me rétracter pour ne former qu’une petite masse crispée, méfiante et agressive. Je l’ai fait sans réfléchir, j’ai donné carte blanche à mon inconscient - il a choisi la sécurité de ma personne plutôt que la liberté. Détourner le regard. Fixer le vide. Regarder par terre, guetter, contracter les épaules, baisser la jupe, remettre le soutif en place, mettre ses bras devant la poitrine quand ça pointe. Le cœur qui explose et les mains qui tremblent. C’est presque devenu un sport. Mal dans mon corps. Inconfortable. Traquée. Regardée.

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Il y a des semaines où cela empire, à tel point que l’on note dans son portable les fois où cela arrive : « 19 juillet : il m’a bloquée la route sur le pont pour me demander d’aller boire un verre. 20 juillet : il s’est approché de moi quand je rentrais dans ma cage d’escalier pour me faire peur. 21 juillet : il se lève de la terrasse et me suit longtemps dans la rue, je me retourne, il est juste derrière moi, il me dit des choses pas très plaisantes, j’ai peur, je craque, je hurle ». La boucle est bouclée : il est à peine neuf heures du matin, j’ai déjà hurlé et pleuré, qu’est-ce que je peux faire de plus à part écrire ?

Culpabilité

Parfois ça me fait mal quand certains hommes tombent des nues « ah ouais putain je savais pas c’est ouf » et quand certaines femmes me disent « ah ouais putain moi ça m’arrive jamais ». Je sais bien que c’est vrai, je les crois ! Mais de mon côté, je marche beaucoup en centre-ville (je ne prends pas le vélo, ni les transports car j’ai la chance de faire quasiment tout à pied) et j’aime bien porter des shorts, des robes, des minijupes et des crop tops. Peut-être que c’est la différence. Peut-être pas, je n’en sais rien. En tout cas j’en viens à me dire que je m’habille trop court, trop vulgaire. Que je suis imprudente. Que je suis trop têtue. Que c’est ma faute. Et je m’en veux de penser ça, et j’en veux aux hommes et qui font ça, et aux gens qui pensent ça, et puis à tout le monde. Sympa le mood !

Et si vous saviez comme j’aime marcher… Mais ces derniers temps, je le fais avec la boule au ventre, ou je le fais moins. Je prends le métro, le Uber, j’évite certaines rues, certains quartiers. « Ben ça t’étonne ?  », qu’on me dit. « Toutes les filles font ça, c’est normal. Et encore, t’es en France, t’as de la chance ». Du coup je me sens découragée, lessivée, haineuse, prostrée, et puis je dors, je ris, je parle, je mange, je bois, je fais des câlins à mon copain, je parle à mes copines, et ça va mieux… Jusqu’à ce que ça recommence.

Lassitude

Je crois que j’accepte (à la dure) qu’en grandissant, on ne peut pas tout changer, on ne peut pas se battre contre tout et tout le monde, on ne peut pas attendre qu’il comprenne, ou qu’elle compatisse, et on ne peut pas hurler et pleurer à neuf heures du matin en allant travailler. C’est trop fatigant…

Je ne sais pas encore quel est le juste milieu, je ne sais pas encore comment ne pas me laisser atteindre, et je ne sais pas jusqu’à quel point je suis prête à modifier mon quotidien et à restreindre ma liberté pour être plus sereine. J’ai encore du temps pour le découvrir.

Mais je compte me répéter souvent pour me donner du courage que j’ai la chance d’avoir dans mon entourage des femmes et des hommes merveilleux - même si on n’est pas toujours d’accord sur tout. Et me dire qu’au moins, à part hurler et pleurer, je peux toujours écrire ce tout petit texte qui ne changera sûrement pas la face du monde, mais qui a le mérite d’exister.

À ceux qui ne sont pas malveillants ou en fracture, qui veulent vraiment rencontrer des filles, draguer innocemment dans la rue, cela ne doit pas toujours être facile à comprendre, mais il faut simplement se mettre dans notre peau, et ne pas mal le prendre si l’on est renfermée, si on vous envoie bouler.

Au contraire : nous osons enfin le faire, nous osons enfin crier, riposter, nous rebeller, alors soyez compréhensif - peut-être fiers - mais pas vexés. Et si vous voyez un tant soit peu qu’on est mal à l’aise… N’insistez pas, et passez votre chemin !

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