Roald Dahl : doit-on réécrire les livres jugés "offensants" ?

L'acteur espagnol Edu Soto dans le rôle de Willy Wonka pose lors d'une représentation de
L'acteur espagnol Edu Soto dans le rôle de Willy Wonka pose lors d'une représentation de "Charlie et la chocolaterie" (Photo by Borja B. Hojas/Redferns).

Certains mots vont disparaître des rééditions des œuvres de Roald Dahl, et notamment du livre "Charlie et la chocolaterie".

Les références au poids, à la santé mentale, à la violence ou au genre ont-elles leur place dans les livres pour enfants ? L’éditeur anglais de Roald Dahl, Puffin, a décidé, en accord avec la Roald Dahl Story Company, société qui détient les droits de l’auteur, que non. Ainsi, dans les rééditions de Charlie et la chocolaterie, Augustis Gloop ne sera plus décrit comme "énormément gros" mais comme "énorme". Il n’y aura plus non plus de personnages minuscules mais "petits". Les "hommes-nuages" de James et la Pêche géante vont quant à eux laisser place au "peuple nuage". La raison invoquée ? "Nous voulons nous assurer que les histoires fantastiques de Roald Dahl restent appréciées aujourd'hui par tous les enfants", expliquent les ayants droit.

Le caractère offensant d’un mot évolue avec son époque. Ce qui était banal auparavant peut être jugé grossophobe, sexiste ou raciste maintenant. Les propos pouvant être considérés comme "offensants" ont-ils encore leurs places dans les romans d’aujourd’hui, et notamment dans ceux destinés à être lus par des enfants ? Doivent-il être réécrits ?

"Si c’est dans un cadre d’apprentissage, pourquoi pas"

"Si c’est dans un cadre d’apprentissage, pour apprendre à lire à des très jeunes, pourquoi ne pas réécrire le texte ?", répond Auphélie Ferreira, docteure en Sciences du langage et chargée de cours en linguistique française à l’Université Sorbonne Nouvelle. On l’a déjà fait pour rendre accessible Le comte de Monte Cristo" à un niveau collège/lycée par exemple. Et d’ajouter : "Ce qui peut être intéressant est de commencer au CP avec la version réécrite par exemple et de travailler plus tard sur la version originale pour comparer et former l’esprit critique." Un parent qui a aimé ce texte et veut le faire lire à son enfant dans une version plus inclusive pourrait aussi y trouver son compte.

Véronique Perry, linguiste féministe et angliciste à l’Université de Toulouse 3, interroge : "Quand un dominant (homme blanc, ndlr) crée son monde, avec ses caricatures, ses stigmates et ses boucs émissaires, doit-on reproduire et traduire son texte avec les schémas sexistes, grossophobes et homophobes qu’il contient ?". Et de pousser la réflexion : "Pourquoi a-t-on besoin de se moquer d’un bouc émissaire qui varie en fonction des cultures et du moment ?"

Autant de questions qu’ont dû se poser les ayant droits de Roald Dahl avant de statuer et d'opter pour la prudence. Dans un souci de ne pas offenser, les maisons d’édition font d’ailleurs de plus en plus appel à des sensitivity reader, des relecteurs chargés de détecter les éléments qui véhiculent des stéréotypes. "La conscience des stigmates est beaucoup plus forte dans les pays anglophones", souligne encore Véronique Perry.

“Une forme de consumérisme angélique pour plaire”

Le problème est que les textes de Roald Dahl sont teintés d’ironie et de métaphores. "L'auteur se moque à partir de stigmates classiques. Transformer son discours, c’est donc quelque part trahir son histoire, poursuit la linguiste. C’est une forme de 'consumérisme angélique pour plaire', une stratégie de séduction où les enfants doivent se reconnaître dans leurs livres."

"Les réécritures qui ne sont pas réalisées par l’auteur lui-même posent problème, ajoute Auphélie Ferreira. Qui s'en charge et les termes choisis sont-ils vraiment moins connotés ?". "Au lieu de ne pas respecter le texte de l’auteur, pourquoi ne pas en faire un outil éducatif, avec des notes en bas de page pour expliquer le contexte dans lequel ils ont été écrits ?", suggère encore Véronique Perry. Contextualiser plutôt que réécrire donc.

La romancière française Anne Goscinny, fille de René Goscinny, auteur d’Astérix et du Petit Nicolas entre autres, estime pour sa part que "les textes sont les reflets d’une époque et d’une réalité". "Vous imaginez si on enlève le mot 'gros' dans 'Astérix' ? Si Obélix est gros, ce n’est pas pour blesser mais pour faire rire…", explique-t-elle au Parisien. Et de préciser : "Si vous avez un personnage qui est gros et que vous enlevez le mot, c’est finalement plus stigmatisant puisque vous n’osez même plus l’écrire…". L’éditeur français de Roald Dahl, Gallimard, semble partager le point de vue de l’écrivaine. Aucune réécriture des textes des livres jeunesse de l'auteur britannique n’est à l’ordre du jour. Pour l’instant.

VIDÉO - Contrairement au Royaume-Uni, Gallimard Jeunesse affirme qu'il n'y aura pas de réécriture des livres de Roald Dahl en France