"Une responsabilité sans équivoque": un juge accuse Bolsonaro un an après les émeutes au Brésil

Le 8 janvier 2023, des milliers de sympathisants de Jair Bolsonaro attaquaient les lieux de pouvoir à Brasilia. Un an après, le juge de la Cour suprême brésilienne Gilmar Mendes pointe un doigt accusateur vers l'ex-président d'extrême droite.

Sa "responsabilité politique est sans équivoque", déclare le juge à l'AFP, au cours d'un entretien dans son bureau du Tribunal suprême fédéral (STF).

Une semaine après l'investiture du président de gauche Luiz Inacio Lula da Silva, revenu au pouvoir après avoir battu d'une courte tête leur champion, ces manifestants avaient envahi la place des Trois pouvoirs, centre névralgique de la capitale où se côtoient l'exécutif, le législatif et le judiciaire. Ils avaient attaqué et saccagé les bâtiments de la présidence, du Congrès et de la Cour suprême, réclamant une intervention militaire.

Une "faille dans l'évaluation" des risques

Des scènes saisissantes qui avaient rappelé l'assaut du Capitole à Washington par des partisans de Donald Trump le 6 janvier 2021. S'il pointe le rôle "politique" de l'ancien président brésilien, Gilmar Mendes, doyen de la Cour suprême âgé de 67 ans, se garde bien de se prononcer sur sa "responsabilité juridique", une question cruciale "en cours d'examen".

Jair Bolsonaro, déclaré inéligible pour huit ans en juin dernier, fait l'objet d'une enquête du STF comme possible instigateur et auteur intellectuel des attaques du 8 janvier. Il se trouvait alors aux États-Unis et a toujours nié toute responsabilité.

Mais, pour le juge Mendes, son gouvernement (2019-2022) "encourageait un certain type d'anarchie, notamment parmi les forces policières".

"Je crois même que les militaires n'ont pas évacué les envahisseurs" le 8 janvier "car il existait une certaine forme d'incitation de la part de la présidence de la République elle-même", affirme le magistrat, qui occupe l'un des onze sièges de la haute juridiction depuis 2002.

Gilmar Mendes déjeunait à Lisbonne avec son ami Nuno Piçarra, un juge du Tribunal de justice de l'Union européenne, quand lui est parvenue la nouvelle des débordements en cours à Brasilia.

Aussitôt, il quitte son rendez-vous et contacte trois personnes: Alexandre de Moraes et Rosa Weber, deux de ses collègues de la Cour, et le tout nouveau ministre de la Sécurité, Flavio Dino.

"Personne ne savait vraiment la dimension de ce qui était en train de se passer", se souvient le juge, qui décide de rentrer au Brésil.

"Les services de renseignements étaient encore aux mains de personnes qui venaient du gouvernement antérieur", raconte-t-il, estimant que certaines "informations" ne sont pas parvenues aux nouvelles autorités. Selon lui, "il y a certainement eu une sorte de faille dans l'évaluation" des risques.

La "propagande" Bolsonaro

Les attaques ont été l'aboutissement de l'opération d'"intimidation" subie par la justice lors de la présidentielle, analyse le doyen. Jair Bolsonaro n'a cessé de critiquer, sans preuves, un présumé manque de transparence du système de vote électronique durant la campagne - un discours qui lui a valu en juin son inéligibilité.

Le gouvernement "savait" pourtant que "le système était immunisé contre la fraude", dit le juge, parvenu à maintenir le dialogue avec Jair Bolsonaro sous son mandat.

Le camp Bolsonaro "cherchait un prétexte" pour annuler les élections "en cas de résultat défavorable", assure-t-il.

La Cour suprême a été l'une des principales cibles du président d'alors, furieux des investigations menées contre lui.

L'image négative de la haute cour auprès des sympathisants bolsonaristes perdure d'ailleurs: la réprobation atteint 65%, selon l'institut de sondages Datafolha. Le 8 janvier, le siège de la Cour est celui qui a subi le plus de dégâts.

"Il y a eu beaucoup plus de rage et de haine contre la Cour suprême. Cela montre que la propagande a porté ses fruits", relève Gilmar Mendes.

Aujourd'hui, c'est le STF qui juge les responsables de cette journée historique.Parmi les 2.170 personnes arrêtées, 30 ont déjà été condamnées pour divers crimes, dont tentative de coup d'État, à des peines allant jusqu'à 17 ans de prison. Au total, 66 personnes restent en prison.

Le magistrat assure que désormais "le système politique est davantage en alerte" pour parer aux menaces. Toutefois, "il est certain que nous devons faire des réformes sur le rôle des forces armées et la politisation qui est survenue". Sous l'ère Bolsonaro, de nombreux militaires occupaient des postes civils.

Article original publié sur BFMTV.com