Rémy Nollet, officier de gendarmerie : "J’ai croisé son regard, il venait de décéder. C'était une situation révoltante"

Officier de gendarmerie depuis maintenant 17 ans, Rémy Nollet est confronté à la mort très régulièrement. Pour Yahoo, ce père de famille, auteur de l’ouvrage "Face à la mort" (ed. Rocher) a voulu sortir du silence en témoignant, sans langue de bois, de la réalité de son métier. Un récit poignant.

Il a voulu immerger les lecteurs dans le quotidien méconnu des gendarmes et expliquer, sans tabou, ce qui se cache derrière l'uniforme. Colonel de gendarmerie depuis maintenant 17 ans, Rémy Nollet a souhaité rétablir la vérité sur la réalité de sa profession. À travers son ouvrage,intitulé "Face à la mort, le témoignage inédit d’un gendarme (ed. Rocher)", l’homme met en lumière les difficultés auxquelles lui et son équipe doivent faire face, des facettes dont très peu de personnes parlent.

"Nous devons exprimer nos émotions, il n’y a pas de honte à avoir"

Comme il l’explique, l’une des grandes difficultés de son métier est de se confronter aux proches des victimes, de leur annoncer la mort d’une personne. Dans ces cas-là, le gendarme a le devoir, face aux familles endeuillées, "d'être dans la compassion, dans l'accompagnement et donc d’absorber les émotions de toutes ces personnes", une situation qui les rend plus "vulnérables" et qui les éloigne de cette notion de "robustesse" à laquelle ils sont régulièrement associés.

"Nous, militaires, nous avons une certaine culture de la force physique, nous nous entraînons pour cela et c'est normal car nous en avons besoin. Mais plus nous cultivons cette image-là, plus nous avons du mal à faire ressortir nos émotions", a-t-il expliqué, tout en rappelant l’importance d’exprimer ses ressentis sans en avoir "honte".

"Les gendarmes pleurent parfois. Cela fait partie de notre métier"

Car les situations difficiles font partie intégrante de leur quotidien. Des drames sur lesquels ils doivent mettre des mots s’ils ne veulent pas "exploser" à force d’intérioriser. "Régulièrement, je suis venu au contact de gendarmes qui avaient vécu une situation compliquée. Vu que j’étais leur chef, il y avait une certaine distance, donc évidemment, ils ne tombaient pas dans mes bras, mais nous sommes par exemple allés boire un coup ensemble", s’est-il remémoré.

En parallèle, il a tenu à rappeler que les gendarmes étaient des êtres humains et que la faute n’était pas exclue. La remise en cause et la culpabilité ne leur sont pas étrangers. Ils ont parfois tendance à se refaire les films dans leur tête et à avoir mauvaise conscience parce qu’ils auraient voulu faire plus. "Nous sommes parfois confrontés à des situations qui nous dépassent, il faut apprendre à les accepter et ce n’est pas toujours facile", a-t-il confié.

Il s’est notamment rappelé d’un moment qui l’a particulièrement marqué, un fait-divers auquel il a consacré un chapitre entier de son ouvrage. Comme il le raconte, lui et son équipe n’ont pu sauver une personne lors d’une intervention. Pire encore, ils n’ont pu partir à sa recherche en raison d’un fort risque d’avalanche. Une décision, dure à prendre, qui leur laisse encore des stigmates. "On a retrouvé son corps au petit matin. Les équipes avaient besoin de soutien, elles étaient vraiment dépitées, abattues. Je suis donc allé débriefer cette scène et cette opération avec eux et je pense que ça leur a fait du bien".

"Il venait de décéder. J'ai croisé son regard. Et face à ce jeune homme, j'étais particulièrement ému"

Loin d’être isolée, cette situation révoltante lui a laissé un certain goût amer, tout comme le jour où il s’est retrouvé face au corps sans vie de Samuel, un jeune randonneur d’une vingtaine d’années tué d’une balle de chasse alors qu’il était parti faire une balade en montagne avec un ami. "J’étais particulièrement ému", a-t-il confié expliquant avoir fait un transfert. "Il n’avait pris aucun risque. J’aurais pu être à sa place. Je suis souvent allé faire des randonnées dans les mêmes circonstances".

Comme il le rappelle, ce type de situations font écho à leur vie personnelle et les vivre change leur façon d’appréhender le monde. Il évoque notamment le jour où il a découvert une fillette noyée dans un lac. "Lorsque j’ai eu des enfants, j’ai fait en sorte qu’ils apprennent à nager rapidement. Je suis même retourné dans ce lac avec eux", a-t-il confié avant de s’exprimer sur les risques qu’ils prennent eux-mêmes en mission.

"La confrontation à sa propre mort fait partie intégrante du statut de militaire. On sait que ça peut arriver, que l’on peut être amené à donner sa vie pour la nation", a-t-il rappelé, tout en expliquant ne pas savoir la manière dont il réagira le jour où il sera face, par exemple, à une prise d’otages, comme l’a pu l’être Arnaud Beltrame. Pour rappel, le gendarme est décédé le 24 mars 2018 des suites de ses blessures après avoir pris la place d’une otage retenue par un terroriste à Trèbes. Son sacrifice avait bouleversé la France et avait eu un retentissement international.

"Arnaud a été héroïque et en faisant ce geste, il a rendu hommage à tous les héros du quotidien dont nos brigades territoriales font partie. À sa place, je ne sais pas ce que j’aurais fait", a-t-il admis confiant avoir été ému et choqué par son décès. "La mort d’un camarade en mission est redoutée par tous. On sait que cela risque de nous arriver un jour dans notre carrière".

Aujourd’hui, au travers de son livre dont les droits d’auteur seront reversés intégralement à l'association Sébio solidarité secours en montagne, Rémy souhaite redorer le blason des gendarmes qui ont parfois mauvaise presse auprès de la population. "Certains ne sont pas ravis de nous voir arriver, surtout au bord de la route", a-t-il expliqué rappelant devoir faire face régulièrement à de la violence. "J’ai envie de dire à ces gens que lorsque les gendarmes verbalisent, ils ont souvent en tête les personnes décédées auxquelles ils ont été confrontés lors d’accidents de la route par exemple".

Retrouvez l'interview de Rémy Nollet en intégralité :