On a regardé le film « Anti-squat » avec un expert de la Fondation Abbé Pierre
CINEMA - La « protection par l’occupation », c’est le crédo de l’entreprise où travaille Inès, dans le film « Anti-squat », du réalisateur Nicolas Silhol, qui sort au cinéma ce mercredi 6 septembre. Dans cette histoire, le personnage de Louise Bourgoin, elle-même menacée de se faire expulser de chez elle avec son fils de 14 ans, est prise à l’essai chez Anti-Squat, une société qui loge des personnes dans des bureaux inoccupés pour les protéger contre les squatteurs.
Son rôle : recruter les résidents et faire respecter un règlement très strict. Inès est prête à tout pour se faire embaucher et s’en sortir avec Adam. Prête à tout, vraiment ? Le HuffPost a pu voir le film en avant-première et en discuter avec Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre.
Le HuffPost. Vous avez pu voir le film « Anti-Squat » en avant-première, qu’en avez-vous pensé ?
Manuel Domergue. C’est un beau film sur le mal-logement. Ça montre les conséquences de la pénurie de logement et les catégories de population qui sont affectées : les travailleurs précaires, les mères célibataires, les personnes en situation irrégulière... Et comment, dans cette pénurie, il y a cette espèce de vraie-fausse solution, qui consiste à gardienner des bâtiments vides temporairement, avec des habitants/gardiens.
Dans le film, on voit que même si ce n’est pas une vraie solution de logement et que c’est précaire et inconfortable, il y a énormément de candidats parce que ça reflète la tension qu’il y a sur le marché du logement pour les ménages en difficulté.
Dans le film, cette entreprise un peu sans scrupule utilise cette tension et cette opportunité qui a été créée par la loi pour maltraiter des gens.
[NDLR : l’article 29 de la loi ELAN (2018) a instauré une expérimentation, « un dispositif visant à assurer la protection et la préservation de locaux vacants par l’occupation de résidents temporaires, notamment à des fins de logement, d’hébergement, d’insertion et d’accompagnement social ».]
Réquisitionner des bureaux pour loger temporairement des personnes en situation de précarité, est-ce que c’est une situation courante en France ?
M.D. Ce n’est pas une réalité massive. À ma connaissance, il n’y a pas de chiffres. On parle d’une niche assez rare sur le marché du logement, qui doit concerner quelques centaines ou milliers d’habitants en France.
Ce qui est plus développé, c’est l’utilisation intercalaire de logements ou bâtiments qui sont vides temporairement et qui souvent sont utilisés par des associations. Parfois, des choses plus informelles se font. Quand un bâtiment est squatté, il peut y avoir une tolérance de la présence des squatteurs jusqu’au démarrage des travaux, par exemple. Et puis il y a ces solutions avec des entreprises, comme la société Camelot, qui vient des Pays-Bas [NDLR : qui permet à des particuliers de se loger temporairement pour une somme modique].
Cet article de loi 29, qui permettait cette expérimentation, a depuis été pérennisé cette année dans la loi Kasbarian, dite « anti-squat ». Nous avions écrit un playdoyer avec d’autres associations il y a quelques mois, où l’on regrettait que cette disposition législative expérimentale n’ait pas été évaluée. On a des retours de terrain inégaux, mais aucun bilan chiffré.
Le personnage d’Inès, dans le film, est à la fois est victime et partie prenante du système.
M.D. Le film montre bien la précarité qui ammène les individus pris dans ces contraintes, parfois, à faire des choix qui sont contraires à leurs principes moraux, parfois à leurs corps défendant, parce qu’il faut bien sauver sa peau, loger son enfant en l’ocurrence. Les personnes prises dedans font ce qu’elles peuvent.
Dans le monde de l’immobilier, on voit souvent des employés en bas de l’échelle qui sont eux-même pris dans des difficultés à se loger, comme cela peut être pour le cas pour des policiers qui doivent expulser des gens, par exemple. C’est un peu le serpent qui se mord la queue. On voit bien que la crise du logement n’épargne pas grand-monde.
On voit d’ailleurs que dans le film, les profils des résidents sont assez variés.
M.D. Ce sont les couches basses du salariat, de la société en générale, qui sont aux avant-postes de la crise du logement. On n’est pas sur la figure un peu typique du SDF très désocialisé. Ça touche plus largement tous ceux qui font partie des classes populaires, qui occupent des emplois précaires. La précarité de l’emploi ou administrative, quand on attend des papiers par exemple, est souvent doublée d’une précarité dans le logement.
Dans le film, il y a aussi un prof, une intermittente du spectacle... Dans l’enseignement, on a l’image du fonctionnaire avec une sécurité de l’emploi. Mais il y a toute une frange de profs mal-payés, de contractuels et de vacataires, qui ont du mal à se loger également.
Pour vous, est-ce important que ce film sorte maintenant, avec ce titre « Anti-squat », qui est le même que celui donné à la dernière loi votée sur le logement ?
M.D. Oui, car ça montre une autre facette des gens en galère de logement, qui cherchent des solutions, parfois bricolées, parfois pas tout à fait dans la norme ou dans la loi, sans être forcément des voyous qui viennent profiter du système.
Le discours de cette loi « anti-squat », c’est vraiment l’idée qu’il y a des gens qui sont des parasites du système et qui viennent vous squatter sans scrupule etc. Le film montre que ces personnes sont prêtes à tout plutôt que de dormir à la rue, et prêts à tout ça veut aussi accepter ce type de solution ou aller squatter des bâtiments. Mais il faut resituer ces comportements dans une crise du logement où chacun doit se débrouiller et fait ce qu’il peut. Avoir une vision uniquement répressive de ces solutions est une image assez fausse et extérieure à la vie des gens.
À chaque fois que l’on voit dans les médias des cas de squat, on ne se met jamais à la place des squatteurs mais toujours à la place de la victime supposée du squat. Sauf que la réalité est différente dans une très grande majorité des cas.
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