Résistant, poète et rescapé du génocide arménien... Qui est Missak Manouchian, qui entre au Panthéon
Ses traits ont marqué une affiche plus connue que son nom: "l'affiche rouge" qui inspira un poème à Louis Aragon, mis en musique par Léo Ferré, et plusieurs films. Ce poster de propagande nazie antisémite et xénophobe rendait responsable les Juifs d'une série d'attentats contre l'occupant.
Au milieu des dix visages, celui du résistant Missak Manouchian, présenté comme "chef de bande". Ce mercredi 21 février, accompagné de son épouse Mélinée Assadourian, également résistante, il entre au Panthéon lors d'un hommage solennel à la Nation. Et avec lui, les noms de ses 23 compagnons d'armes.
Le "procès Manouchian"
Le 15 février 1944 à l'hôtel Continental de Paris, se déroule le procès fantoche du "groupe Manouchian", du nom d'un homme arménien, poète et écrivain, immigré en France et entré dans la Résistance. Quelques jours plus tard, le verdict tombe: la mort pour tous. Les 22 membres sont fusillés dans la clairière de la forteresse du Mont-Valérien, à Suresnes (Hauts-de-Seine).
Missak Manouchian, adhérant au parti communiste depuis 1934, a d'abord dirigé les résistants arméniens de la Main-d’œuvre immigrée (MOI) avant d'être intégré aux Francs-tireurs et partisans qui devient le FTP-MOI parisiens. Rapidement, il en prend la tête et devient leur commissaire militaire.
Avec son commando, il réalise une trentaine d'opérations dans Paris, du mois d’août à la mi-novembre 1943. Avant d'être arrêté par une brigade des Renseignements généraux français. Le chef de région des FTP, Joseph Epstein, avec qui il a rendez-vous (et dont le nom sera inscrit au Panthéon mercredi et les descendants présents à la cérémonie), tombe avec lui, raconte le Musée de la Résistance.
Mélinée, son épouse d'une trentaine d'années à l'époque, passée elle aussi à la résistance armée après avoir été dans le repérage, y réchappe. Cachée chez ses amis résistants, les Aznavourian, parents du célèbre chanteur Charles Aznavour.
Cette dernière, décédée en 1989, mais immortalisée par des archives de l'INA, décrit son mari comme un "homme très calme qui parlait très peu et n'était pas brutal, même en donnant des ordres".
Rescapé du génocide arménien
Né le 1er septembre 1906 au sein d'une famille paysanne arménienne dans le village turc d'Adyaman, Missak Manouchian a vécu son enfance dans le souvenir du massacre de 200.000 Arméniens entre 1894 et 1896. En 1915, l'horreur reprend. Ses parents font partie du million et demi d'Arméniens qui disparaissent dans le génocide commis par l'Empire ottoman. Son père est assassiné et sa mère meurt lors d'une famine.
Le jeune orphelin est d'abord hébergé par une famille kurde avant d'être élevé avec son frère dans un orphelinat chrétien de Syrie. Puis, il rejoint Marseille en 1924. Il y apprend la menuiserie et fréquente les universités ouvrières fondées par la CGT. Embauché comme ouvrier tourneur aux usines Citroën du quai de Javel à Paris, il fonde avec des amis deux revues littéraires, Tchank ("L'Effort") et Machagouyt ("Culture").
Militant et écrivain communiste
Adhérent au Parti communiste français à partir de 1934, membre du groupe arménien, il devient rédacteur en chef du journal Zangou, qui tire son nom d'un fleuve de la région d'Erevan. Il est aussi membre de l'Association des écrivains communistes. Également secrétaire de l'Union populaire arménienne, il tente de rassembler les ressortissants proches des idées du Front populaire et fait le tour des diasporas de France.
À la déclaration de guerre en 1939, Missak Manouchian est d'abord interné comme communiste étranger dans un camp, puis incorporé. De retour à Paris, il est arrêté en juin 1941 lors d'une grande rafle préventive ordonnée par les Allemands à la veille de l'invasion allemande de l'URSS. Après quelques semaines au camp de Royallieu près de Compiègne, il est libéré, faute de charges suffisantes.
Deux ans, plus tard il est arrêté le 16 novembre 1943 et exécuté trois mois plus tard. Sa dépouille repose au cimetière parisien d'Ivry-sur-Seine, avant de rejoindre le tombeau des Grands Hommes. À titre posthume, il reçoit la médaille de la Résistance en 1947. Et la mention "Mort pour la France" lui est attribué en 1971. Mélinée Manouchian a, elle, été nommée chevalier de la Légion d’honneur en 1986, trois ans avant de mourir.
"Aujourd'hui il y a du soleil"
Juste avant de rejoindre le peloton d'exécution, Missak écrit une dernière lettre à son épouse. "Bonheur! à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la Liberté et de la Paix de demain", jette-t-il sur le papier. Ce mercredi 21 février, il s'unira dans la mort avec elle au Panthéon.
Fusillé sans bandeau, le résistant décrit cette exécution "comme un accident dans ma vie". "Aujourd’hui, il y a du soleil. C’est en regardant le soleil et la belle nature que j’ai tant aimée que je dirai adieu à la vie et à vous tous, ma bien chère femme et mes bien chers amis", rédige-t-il.
La France était selon Missak Manouchian la "Terre de la Révolution et de la Liberté". L'homme laisse derrière lui une œuvre riche de poèmes, d'écrits, de pensées et d'articles. Le poète, l'écrivain et le militant se sont toujours fondus. Sa poésie "de combat, primitive", comme la décrit le site anthologique de l'association culturelle Esprits nomades a par la suite été publiée par son épouse. Un dernier ouvrage Manouchian: témoignage suivi de poèmes, lettres et documents inédits, a été publié en novembre 2023, par les éditions Parenthèses.
80 ans après, enfin réhabilité
Les amis et descendants des 23 fusillés aux côtés de Manouchian ce 21 février 1944 ont dû attendre 80 ans jour pour jour pour que la France, qui les avait bannis de sa mémoire officielle, leur rende hommage.
"Aujourd'hui", c'est la "mémoire scientifique" qui permet de "mettre sur le devant de la scène" ceux qui étaient "un peu oubliés": "les étrangers, les communistes et les juifs", précise à l'AFP Jean-Baptiste Romain, responsable des hauts lieux de la mémoire nationale en Île-de-France.
Pour symboliser leur retour, le président français Emmanuel Macron a choisi la figure du plus célèbre, l'Arménien Missak Manouchian, mais le choix d'une seule tête a suscité la publication dans Le Monde d'une tribune signée par de nombreux descendants. Ils réclamaient son entrée au Panthéon "avec tous ses camarades", par souci de justice et d'équité. L'inscription de leurs 22 noms équivaut à leur panthéonisation, s'est défendu l'Élysée.
La panthéonisation de Missak et Mélinée Manouchian "démontre qu'être Français, c'est avant tout une affaire de volonté et de cœur et que cela apporte beaucoup au pays. Cela ne tient pas à l'origine, à la religion, au prénom", explique le Palais.
L'orphelin arménien n'a en effet jamais obtenu la nationalité française qu'il avait demandée à deux reprises. Sa veuve a, elle, été naturalisée en 1946 pour ses faits d'armes.