Réforme des retraites : cynisme ou embourbement, à quoi joue le gouvernement ?

Elisabeth Borne, Stanislas Guerini et Olivier Dussopt, après la réunion sur la réforme des retraites avec l’intersyndicale, le 5 avril 2023. (Photo by Bertrand GUAY / AFP)
Elisabeth Borne, Stanislas Guerini et Olivier Dussopt, après la réunion sur la réforme des retraites avec l’intersyndicale, le 5 avril 2023. (Photo by Bertrand GUAY / AFP)

POLITIQUE - Une réunion pour rien ? Ou pour jouer la montre ? Ce mercredi 5 avril, la Première ministre Élisabeth Borne a reçu l’intersyndicale à Matignon afin de montrer qu’elle est à leur « écoute ». Mais au bout d’une heure sur les trois prévues, les huit organisations syndicales, plus unies que jamais, ont quitté les lieux pour constater publiquement « un échec » et continuer de demander « le retrait » de la réforme, sans quoi ils refusent de poursuivre le dialogue avec le gouvernement.

« C’est une drôle d’image… Penser qu’on va tourner la page comme ça n’existe pas », se lamente une conseillère de l’exécutif, presque sans mot après la sortie des syndicats de la rue de Varenne. Quelques jours plus tôt, l’un de ses collègues espérait pourtant « une surprise », de la part d’Élisabeth Borne et même « une descente avec Laurent Berger du perron de Matignon ». Vœu pieux. C’est tout l’inverse qui s’est produit et les conseils des plus expérimentés de la majorité, comme l’ex-socialiste maire de Dijon, François Rebsamen, « de renouer le dialogue avec Berger », comme il le détaillait dans Le Figaro ce 5 avril sont restés lettre morte.

Malgré quelques échanges en « off » entre certains conseillers de Matignon et des organisations syndicales selon nos informations, aucune réunion préparatoire n’a eu lieu. « Il n’y a pas d’ordre jour », prévenait même l’entourage de la Première ministre la veille de la rencontre. Pas d’ordre du jour, ni de « surprise » sociale ou de coup politique pour tenter de récupérer un peu de l’opinion publique, d’isoler ou de diviser les centrales. Rien. « Ce qui est sûr, c’est qu’on a perdu en expertise sociale », admet un conseiller gouvernemental qui se souvient des grandes heures de Raymond Soubie, le conseiller social très visible de Nicolas Sarkozy à l’Élysée (2007-2010), interlocuteur privilégié des centrales et qui a été l’un des artisans du recul de l’âge légal de 60 à 62 ans en 2010. Aujourd’hui, personne ne connaît les noms des conseillères sociales de l’Élysée et de Matignon, Annelore Coury et Marianne Kermoal-Berthome. « Ils sont mauvais, mauvais… », se lamente un poids lourd de LR qui a bien connu la période Soubie et qui regrette le manque de dialogue et de contact trois mois durant, y compris en sous-main. « Il faut toujours parler, les recevoir, les traiter… », conseillait-il, à distance, la semaine dernière.

« Le juge de paix, c’est demain, 11e journée de mobilisation »

Alors, pour quoi faire une réunion si rien n’était dans la besace de Borne ? « Le juge de paix c’est demain, ils jouent le pourrissement en attendant », constate un conseiller ministériel, les yeux rivés d’avance sur la onzième journée de mobilisation prévue jeudi 6 avril. Le « pourrissement » qui consisterait à laisser le mouvement s’éteindre de lui-même ou se corser par une poignée de derniers mohicans, comme en rêve beaucoup au sein de la Macronie, mais qui ne semble pas ressembler à une perspective de court terme. « S’il y a des blocages, l’opinion, pourrait peut-être se retourner », espérerait presque en ce sens un conseiller de l’exécutif, sans que cette option ne soit franchement sur la table syndicale non plus.

Parlons plutôt d’embourbement. Car à l’issue de cette réunion, personne n’est plus avancé, ni d’un côté, ni de l’autre : « Le totem, c’est l’âge de départ, on ne bougera pas là-dessus », avance une habituée du pouvoir, à l’unisson de ses collègues. Totem qui est le même du côté des syndicats et de la CDFT qui dès la dernière réforme des retraites sous Édouard Philippe, avait fait de l’âge pivot « une ligne rouge » et qui n’en démord pas depuis la rentrée de septembre et les trois mois de négociations qui n’ont pas abouti, avant la présentation du texte le 10 janvier.

Que reste-t-il comme option dans un moment qui peine à déboucher sur une issue ? Les deux camps, après s’être regardés en chiens de faïence tournent désormais leurs regards dans la même direction… celle de la rue de Montpensier. Les neuf sages du Conseil constitutionnel, présidés par l’ancien Premier ministre Laurent Fabius doivent rendre leur copie sur la constitutionnalité totale, partielle ou nulle de la réforme le 14 avril, dans l’après-midi.

« On ne peut pas faire de pause quand on a un projet de loi qui a été voté, qui est en cours d’examen devant le Conseil constitutionnel » a mis en garde, en ce sens, Élisabeth Borne, dans les colonnes du Journal de Centre le 31 mars, lors d’un déplacement dans la Nièvre. Réponse à distance et cinq jours plus tard de l’intersyndicale, par communiqué, à la sortie de Matignon ce mercredi : « Nous en appelons à la sagesse du conseil constitutionnel qui doit entendre la juste colère des travailleurs et travailleuses ». Un sacré poids pour les Sages qui doivent « observer le calme des vieilles troupes », conseille un constitutionnaliste qui parle d’un « sommet de pression » qui s’exerce sur eux.

Politiquement, l’épisode n’est pas à mettre au crédit d’Élisabeth Borne dont le sort est plus que jamais en suspend. Les Français ne s’y trompent pas. Dans un sondage YouGov à paraître demain 6 avril, en exclusivité pour Le HuffPost, ils sont 67 % à souhaiter « un nouveau gouvernement » et 64 % à vouloir voir partir Élisabeth Borne.

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