Rébellion de Wagner: interrogations autour de possibles soutiens au sein du commandement russe

Rébellion de Wagner: interrogations autour de possibles soutiens au sein du commandement russe

Moscou barricadée, des véhicules du groupe paramilitaire Wagner continuent de rouler vers la capitale et ont pris la ville stratégique de Rostov. Plusieurs spécialistes estiment qu’Evguéni Prigojine pourrait rencontrer un soutien bienvenu dans sa rébellion contre l’état-major: celui de personnalités russes haut placées dans l’armée et les services de renseignement.

Des "relais" au sein de l’armée ?

"La colonne continue à avancer, donc on peut s’interroger sur les relais dont disposerait Prigojine", indique David Rigoulet-Roze, enseignant-chercheur à l’Institut français d’analyse stratégique (IRIS) sur nos antennes.

D'après, lui, "il n’a pas monté cette opération du jour au lendemain, elle a vraisemblablement été pensée en amont."

Le chercheur explique que Poutine avait recruté Mikhaïl Mizintsev, un ancien général, vice-ministre de la Défense, limogé en avril 2023 par Vladimir Poutine pour ses échecs logistiques. Il est aujourd’hui le commandant-adjoint de la milice, preuve d’"une porosité avec certains cadres de l’armée".

Mécontentement de l'armée

"Certains chefs militaires sont mécontents de la façon dont se sont menées les opérations, ainsi que les soldats eux-mêmes, qui doivent payer leur paquetage eux-mêmes, dont les corps ne sont pas rapatriés", note Nicolas Tenzer, enseignant à Science Po, analyste des questions internationales et de sécurité et qui gère un blog sur l’actualité russe, interrogé sur Franceinfo.

Fatigués par 16 mois de guerre et des pertes conséquentes, des soldats russes mobilisés ont déjà plusieurs fois exprimé leur mécontentement vis-à-vis de leur formation, leur équipement ou du conflit.

Les services de renseignement militaires britanniques eux-mêmes indiquaient dans une note samedi matin que certaines troupes russes "vont probablement rester passives, acquiesçant à Wagner", et que durant les prochaines heures "la loyauté des forces de sécurité russes, et en particulier de la Garde nationale russe, sera déterminante pour l’issue de la crise".

Effet d’aubaine

Le chercheur David Rigoulet-Roze estime de son côté que Poutine a pu s’attirer les intimités de "personnalités qu’il a pu humilier par le passé", mais également qu’"un certain nombre de gens peuvent se dire qu’il n’est peut-être plus la personne idoine pour structurer un pouvoir à Moscou".

Certains cadres en place pourraient voir dans cette mutinerie un "effet d’aubaine", va jusqu’à affirmer sur BFMTV Jean-François Colosimo, historien spécialiste du monde de l’orthodoxie.

"Ce n’est pas une affaire entre Poutine et Prigojine, ce n’est pas lui qui est important: c’est le troisième homme qui est aux manettes ou profitera de l’opération", assure l'historien.

Pour lui, le clan de Poutine s’est disloqué sous l’effet de la guerre, et comportait déjà des opposants à la guerre, "à qui Poutine est en train de donner raison", et d’autres "pensent à l’après-guerre" et ne croient plus dans le président russe.

Il en relève deux potentiels, Sergueï Narychkine, le chef du service des renseignements extérieurs (SVR) depuis 2016, "héritier de la grande aristocratie russe du XIXe siècle, dont le père a été recruté très violemment par le NKVD et qui a été ridiculisé par Poutine", ami du ministre de la défense Sergueï Choïgou ; et Nikolaï Patrouchev, conseiller à la sécurité nationale qui opère dans l’ombre, "le véritable compagnon de route de Poutine".

"Aujourd’hui, l’ensemble des élites du pouvoir, des gouverneurs de région, des parlementaires, sont en train de s’aligner derrière Poutine, qui parle de Prigojine comme d’un traître", tempère néanmoins le général Olivier Kempf, consultant Défense pour BFMTV.

A ce stade, la question du soutien de la population russe à cette opération reste elle-aussi en suspens. Certains opposants politiques russes souhaitent également voir progresser cette opposition armée.

C'est le cas de Mikhail Khodorkovski, fervent opposant au régime, qui a passé dix ans emprisonné en Russie avant d’être gracié en 2013. "Aussi étrange que cela puisse sembler, je pense que les Russes opposés à la guerre devraient soutenir Prigojine en ce moment", a-t-il déclaré samedi sur Twitter.

Article original publié sur BFMTV.com