Procès de l'incendie de la rue Erlanger: pour ses voisins, Essia B. "savait ce qu'elle faisait"

Essia B. "savait très bien qui j’étais, ce qu’elle faisait et où elle allait". Quentin L. occupait l'appartement contigu à celui de cette femme de 44 ans jugée depuis lundi pour l'incendie mortel du 17 bis rue Erlanger dans le XVIe arrondissement de Paris dans lequel 10 personnes sont mortes. C'est après un différend que cette femme, chez qui des troubles psychiatriques ont été constatés par les experts, était passée à l'acte.

"Je ne savais pas quelle était comme ça Mme B. Si je savais que ça allait déboucher sur un drame comme ça, jamais je ne serais allé taper à sa porte", rregrette Quentin L.

Pour évoquer ce passage à l'acte, la "querelle de voisinage" a souvent été évoquée. Pour Quentin L., qui se définit comme "bienveillant", il s'agissait d'une "simple demande". Ce soir du 4 février 2019, le jeune homme, pompier de métier et alors âgé de 22 ans, prépare un examen important pour sa carrière qu'il doit passer le lendemain. Depuis 17 heures, sa voisine écoute de la musique et chante. "Je ne sais pas ce qu’elle faisait d’autre mais elle était bruyante", résume l'homme devenu depuis policier.

Plus tard dans la soirée, sa compagne de l'époque, Charlotte B., âgée de 19 ans, le rejoint dans ce petit studio qu'il occupe depuis un peu plus de trois mois.

"Je sens une odeur de cannabis, de plus en plus forte quand j’approche de l’appartement de Quentin et fatalement de l’appartement de Mme B.", témoigne Charlotte B.

A son arrivée, son compagnon est visiblement "irrité" par ces nuisances. Vers 23 heures, c'est elle qui se rend à l'appartement d'Essia B., un studio loué par sa mère, pour lui "demander" de baisser la musique. "Elle s’est mise directement à l’insulter", détaille Quentin L., cheveux ras, pull, caban noir et jean gris, dans un récit prononcé d'un ton quasi militaire.

Elle tapait "de manière hystérique"

"Là on plongeait dans une autre dynamique, ça devenait personnel", se souvient la jeune femme. Lui-aussi se rend à la porte de sa voisine, tambourine, sans effet. Les insultes - "sale pute", "pompiers de merde" -, les menaces - "je vais te crever" - fusent au 2e étage du 17 bis de la rue Erlanger.

Il ya aussi une "provocation" lorsque Essia B. pose son enceinte sur son rebord de fenêtre dirigée vers l'appartement de son voisin en augmentant encore le niveau sonore, ou lorsqu'elle jette de la vaisselle sur ses volets. Loin de se calmer, la quadragénaire vient à la porte de son voisin et "sonne de manière continue".

"C'était aucunement égal avec la force que j’ai eu, affirme Quentin L.. Elle tapait de manière hystérique. On entendait un bruit de bois sur ma porte."

Essia B. le menace d'alerter la hiérarchie du jeune homme en appelant le 18. "J'ai compris qu’on avait quelqu'un qui avait une réaction disproportionnée par rapport à ce qu’il s’était passé", estime-t-il. Lui appelle la police.

Quentin L. et Charlotte B. disent avoir eu "peur" à ce moment-là. "J’étais dans un 14m², avec une fragilité de porte notable, poursuit l'ancien pompier. J'avais l'impression d’être dans une cage." Le couple n'ose pas sortir, craignant de tomber nez à nez avec la voisine.

Après deux tentatives, un équipage de la Bac finit par venir. "Elle a changé de visage, elle était toute mielleuse avec eux. Elle s’est mise à les charmer pour que ça soit moi le méchant. Ce n'était pas la pauvre petite femme malade, qui ne sait pas ce qu’elle fait, qui ne sait pas qu’elle met le feu".

Le couple profite de l'intervention de la police pour quitter son appartement. Quentin et Charlotte reviendront quelques minutes plus tard, pensant qu'elle avait été "pris en charge" par les policiers, et croiseront Essia B. dans les escaliers. "Devant moi, j'ai vu un voile de fumée un peu épais. Elle disait qu'elle allait mettre le feu et elle l’a fait."

"Elle savait très bien qu’elle mettait le feu, martèle-t-il. Elle savait très bien ce qu’elle faisait, elle savait très bien que j’allais périr."

"Une simple demande"

Pour le couple, il ne fait aucun doute qu'après le passage de la police qui a ramené Essia B. à son appartement, cette dernière, qu'ils qualifient de "cohérente" et "manipulatrice", a volontairement mis le feu "avec la conscience" qu'ils étaient encore à l'intérieur de l'appartement, avec la volonté de s'en prendre à un pompier. Le jeune homme estime qu'il représentait pour l'accusée "l'autorité", elle qui est déjà connu pour avoir allumé des incendies.

"Elle était dans un désir de se venger, est-ce que la vengeance ça ne serait pas de se faire justice soit même?, questionne Charlotte B.. Après réflexion, je peux attribuer son comportement au fait qu’elle avait Quentin dans le viseur, peut-être parce qu’on a été acteur et qu’on lui a signifié qu’elle faisait trop de bruit."

"Même quand on est un peu énervée, ce n’est pas normal de mettre le feu à la porte de son voisin quand il vous demande de baisser le son", poursuit la jeune femme aujourd'hui infirmière militaire.

Les voisins assurent qu'ils n'avaient pas remarqué qu'Essia B. pouvait avoir un comportement "bizarre", "anormal". La veille de ce jour où elle a allumé un feu devant la porte de son voisin, n'était-elle pas venue frapper pour les informer qu'un homme était entré chez elle et que s'il lui arrivait quelque chose ils seraient témoins?, questionnent les avocats de la défense. Quelques heures plus tard, Quentin L. n'a-t-il pas retrouvé sa voisine "lambda", dit-il, allongée dans le couloir de l'immeuble, grattant à la porte à la recherche d'oiseaux sauvages?

"Pour moi, son comportement était plus lié à sa toxicomanie. Le soir de l'incendie, elle était dans une logique provocatrice, cela s’apparentait au fait qu’elle avait pris des stupéfiants et de l’alcool."

Dans le box, l'accusée, cheveux ramassés en chignon, écoute. Elle a parfois bien du mal à garder les yeux ouverts. Essia B. encourt la réclusion criminelle à perpétuité. Si une alteration du discernement est retenue, la peine maximale pourrait être de 30 ans de réclusion.

Article original publié sur BFMTV.com