Procès de l’attentat de Nice : pourquoi la tenue à Paris inquiète

À partir de ce lundi 5 septembre, le procès de l’attentat du 14 juillet 2016 à Nice se tient devant la Cour d’assises spéciale de Paris. Une organisation loin des Alpes-Maritimes qui constitue un véritable enjeu (photo d’archive prise le 29 juin durant le procès du 13-Novembre).

Alors que le procès débute ce lundi 5 septembre, des avocats s’activent depuis des mois pour mobiliser les parties civiles, les victimes et leur famille.

JUSTICE - « Le fait que cela se déroule à Paris, on en souffre tous les jours. » Six ans après le drame, le procès de l’attentat de Nice débute ce lundi 5 septembre avec pour objectif de revenir sur la traversée meurtrière de la Promenade des Anglais, le 14 juillet 2016, du camion conduit par Mohamed Lahouaiej-Bouhlel. Un événement judiciaire qui fait suite à un autre procès géant, celui des attentats du 13 novembre 2015, et qui se déroule au même endroit : sur l’île de la Cité, au cœur de la capitale, comme vous pouvez le voir sur la vidéo ci-dessous.

Sauf que cette délocalisation implique des difficultés pour les participants. L’avocate Olivia Chalus-Pénochet, à l’initiative d’un groupe d’avocats baptisé « 14-07 » qui mutualise les moyens de sa corporation pour représenter au mieux les victimes, explique : « C’est un effort immense que l’on est obligé de faire, et c’est uniquement grâce au fait de s’être groupés que l’on va pouvoir accompagner nos clients jusqu’au bout. »

L’avocate spécialisée dans le droit des victimes de dommages corporels a en effet incité les robes noires des barreaux de Nice et Grasse à s’organiser pour porter la voix des parties civiles. En commençant par aider les concernés à témoigner malgré la distance. Car avec 86 victimes, plus de 400 blessés et 30 000 personnes présentes sur la Promenade des Anglais le jour du drame, nombreux sont ceux qui peuvent contribuer au processus judiciaire et à faire de procès un moment marquant.

Blessures psychologiques et contraintes logistiques

« Pour les victimes, c’est toujours difficile d’assister à ce genre de procès et là ça rajoute beaucoup de contraintes. Il y a une charge émotionnelle terrible… », reprend Olivia Chalus-Pénochet. Tiraillées par des sentiments « de honte et de culpabilité », accablées par la « blessure psychologique » de s’entendre dire depuis six ans que l’on « n’est pas légitime » ou « qu’il faudrait tourner la page », l’avocate décrit ainsi des victimes encore éreintées, traumatisées par le 14-Juillet, et qui craignent d’être replongées dans ce récit. « On fait face à des gens renfermés, à des couples qui explosent, à des amis qui ne se parlent plus… »

Et de donner l’exemple d’une de ses clientes, une dame âgée qui n’était jamais allée à Paris de sa vie. « Elle a beaucoup hésité à se rendre au procès. Il a fallu la convaincre et elle va devoir se faire accompagner sur place. »

Comme pour cette dame, le déroulé d’un procès qui doit durer pendant deux mois et demi à 1000 kms de Nice représente ainsi une difficulté considérable pour les victimes. « Ce sont des familles d’un milieu très populaire qui ont été frappées par cet attentat, rappelle l’avocate. Et il y a des bourses pour lesquelles ce n’est pas possible de faire l’avance des frais. En plus, on n’a toujours pas le planning définitif. Alors beaucoup ont renoncé… »

Car s’il est prévu que les victimes désireuses de témoigner soient défrayées pour se rendre à Paris, que ce soit pour les transports, l’hébergement ou la restauration, toutes ne sont pas à même d’avancer ces sommes. Et la compensation relative de la perte de salaire également mise en place ne suffit souvent pas. Surtout, précise Olivia Chalus-Pénochet, même pour ceux qui se déplaceront, ce ne sera que temporaire. « La plupart ne seront là que le jour de leur déposition. Et si quelques rares personnes viendront plusieurs jours, pour des questions de moyens, de garde d’enfants, de travail, elles ne pourront pas rester longtemps. »

Une organisation exceptionnelle pour suivre le procès à distance

Pour pallier cette difficulté logistique, plusieurs aménagements ont donc été décidés, grâce notamment à l’implication et au « très fort appui » du bâtonnier de Nice. Pour commencer, la mairie a mis à disposition du ministère de la Justice « l’espace Méditerranée - Acropolis », un palais des Congrès, afin qu’une retransmission puisse avoir lieu sur place pour les parties civiles.

Là, « la mairie a accepté d’engager deux élèves avocats en PPI (Projet Pédagogique Individuel, soit un stage long qui ne s’effectue pas en cabinet, ndlr) qui assureront l’accompagnement des victimes au côté des associations », précise Olivia Chalus-Pénochet. Des jeunes « formés », qui seront « présents du matin au soir et à disposition des parties civiles pour répondre à leurs questions, que ce soit d’un point de vue pratique, sur le remboursement des frais ou l’endroit où obtenir un badge, comme pour des questions de fond sur le déroulement du procès ».

Face à un attentat qui a fait des victimes de 19 nationalités, du fait de la présence massive de touristes sur la « Prom’ » pour le feu d’artifice du 14-Juillet, une webradio va aussi être mise en place. Au moment du procès des attentats parisiens, par crainte d’interceptions étrangères et de captations illégales, l’autorité judiciaire n’avait pas autorisé un tel dispositif, mais cette fois-ci, il sera accessible partout dans le monde, que ce soit dans les territoires ultramarins et à l’étranger.

Mutualisation et préparation

Charge désormais aux avocats de dépasser la contrainte de la distance. « On a des doutes sur ce que l’on doit apporter ou non, les photocopies à faire avant les audiences », détaille Olivia Chalus-Pénochet, qui évoque aussi l’intendance liée au fait de quitter trois mois un cabinet dans lequel elle travaille d’ordinaire douze heures par jour. Mais après l’exemple du 13-Novembre et le travail « admirable » de ses collègues qu’elle a pu observer, elle n’a pas « hésité une seconde à organiser la même chose, avec beaucoup de modestie ».

Avec beaucoup de « patience et de temps pour convaincre des confrères habitués à travailler seuls », c’est ainsi que le groupe « 14-07 » a donc été constitué au niveau local. « Aujourd’hui, nous avons été rejoints par des confrères de Paris, Marseille, Aix-en-Provence, Cayenne, Lille, Reims, Bordeaux… Et tous les grands cabinets qui étaient impliqués dans le 13-Novembre nous ont rejoints naturellement. »

Des spécialistes de différents domaines, qui partagent compétences et expériences et mutualisent la préparation du procès. « Des sous-groupes travaillent sur l’enfance, sur la spécificité de cet attentat, sur les victimes. Il y a aussi des pénalistes qui planchent sur les infractions et la personnalité des accusés… »

Si les plaidoiries ne sont pas encore construites, une ébauche se dessine et les « principaux thèmes sont déjà posés ». Et grâce aux enseignements du 13-Novembre, les avocats continuent jusqu’en dernière minute de s’ajuster avec le greffe, le président. « On essaie de débugger, de faire que tout soit fluide. » Car l’enjeu est de taille : que le procès se déroule au mieux et que sa tenue à Paris ne reste plus qu’une péripétie dans la mémoire collective.

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