Prisons : au cœur de la Maison d’arrêt de Limoges, insalubre et surpeuplée

REPORTAGE - « Tout le monde, même les policiers, nous dit d’y aller. » Nous sommes le lundi 30 janvier 2023 et Damien Maudet, député de 26 ans de La France Insoumise (LFI) de la 1re circonscription de Haute-Vienne, s’apprête à visiter la Maison d’arrêt de Limoges. C’est la « toute première fois » qu’il se rend dans un lieu de privation de liberté, comme l’y autorise son mandat parlementaire.

« On craint qu’il n’y ait eu des fuites, c’est pour cela qu’on n’a pas demandé à la presse locale de venir », précise-t-il avant d’atteindre la Maison d’arrêt. Accompagné du HuffPost et d’une autre jeune députée LFI, Manon Meunier, de la 3e circonscription de Haute-Vienne, l’élu n’a pas annoncé sa venue. L’objectif : constater l’état de l’établissement, situé en plein centre-ville, qui date de 1853 et serait « encore dans son jus ».

Une lettre, écrite par neuf personnes incarcérées à l’attention du député, a achevé de le convaincre de s’y rendre. Elle confirme un rapport du bâtonnier des avocats du barreau de Limoges, rédigé après une visite le 22 décembre dernier, qui dénonce des conditions de vie indignes, pour les personnes détenues, comme pour le personnel pénitentiaire. « Nous sommes complètement laissés-pour-compte, voire carrément abandonnés », indiquent les détenus dans un courrier de quatre pages manuscrites, consulté par Le HuffPost.

« On fait avec les moyens du bord »

« On en a vu, des députés, on les reçoit à chaque fois ! Vous êtes de quel parti ? », lance un surveillant aux élus à l’entrée de l’établissement. Le directeur, Mohammed Ed-Dardi, n’en est, lui non plus, pas à sa première visite surprise. Passé les contrôles de sécurité et l’abandon des portables, le chef de l’établissement pose le cadre. « Aujourd’hui, on est à 200 % de taux d’occupation et c’est un taux bas, souligne-t-il. C’est un établissement sous-dimensionné et vétuste. On fait avec les moyens du bord. »

Le taux d’occupation, qui correspond au nombre de détenus en fonction des places, a atteint 245 % en juin 2019. En 2022, 220 %. L’établissement est donc régulièrement en état de forte surpopulation. La moyenne en France au 1er janvier était de 119 %. Aujourd’hui, c’est surtout dans le quartier de détention hommes qu’elle est la plus importante. Les détenus y sont 115, pour 58 places. La plupart des cellules sont équipées de lits superposés. Une dizaine d’entre elles est occupée par trois personnes. Chez les femmes, elles sont 13 pour 10 cellules. Nous n’avons pas le droit de poser de questions au personnel ou aux personnes détenues : la presse ne peut être là que comme observateur.

Infiltrations et vitres en plexiglas

Dans la première cellule visitée, au premier étage, trois détenus partagent une pièce qui fait 9 m² (voir la vidéo en tête d’article). Deux lits superposés et un matelas au sol, où dort l’un d’entre eux, qui restera allongé tout au long de la visite. Difficile de circuler. Pour entrer, il ne faut pas être grand : les portes, aux normes du XIXe siècle, font moins d’1,70 mètres de haut, « ce qui impose à toute personne voulant pénétrer ou sortir de la cellule de se baisser, ce qui peut, pour certains, être vécu comme une humiliation supplémentaire », écrit le bâtonnier de Limoges dans son rapport. Et il va sans dire que l’établissement n’est pas adapté aux personnes à mobilité réduite.

Hervé*, 73 ans, ancien aide-soignant à la retraite, vit dans cette cellule depuis un an, en attente de son jugement. Son voisin de lit superposé, Fabien, est là depuis deux ans et demi. Le troisième homme, endormi, est arrivé il y a trois mois. La fenêtre, à simple vitrage en plexiglas, est entrouverte. « On est trois et ça dégage de l’humidité, explique Hervé. Si on ferme, ce n’est pas supportable. Il y a la fumée de cigarette, aussi, à évacuer. » Sur un fil pendent des gants de toilettes, lavées avec les moyens du bord, ce qui ajoute de l’humidité à la pièce exigüe.

Les toilettes, situées face aux couchettes, sont séparées du reste de la pièce par un simple drap. « Il y avait une cloison, mais elle a été détériorée par de précédents détenus », précise le directeur. Elle n’a pas été remplacée. Même situation dans la cellule d’à côté, où cohabitent trois jeunes hommes. Enzo*, 28 ans, est là depuis cinq ans, en attente d’un jugement en cassation. L’un de ses codétenus est son cousin, arrivé il y a un mois. Au mur, un diffuseur Airwick est accroché. « J’essaye de mettre des ‘sent-bon’ un peu de partout », explique-t-il en souriant.

Des serviettes sont accrochées à la fenêtre, ouverte, pour tenter de jongler entre l’étouffement intérieur et le froid extérieur. Autre difficulté pointée par les hommes détenus : ils n’ont pas d’eau chaude en cellule. « Ceux qui n’ont pas de parloir doivent se faire laver le linge ici par la maison d’arrêt, sinon on fait à la main, avec des bassines », montre Enzo. À l’eau froide, donc.

Douches moisies et punaises de lit

Les murs sont couverts d’humidité, de tags et de peinture écaillée. Une insalubrité liée à la surpopulation et non à un manque de moyens, selon le chef de l’établissement. « Si j’achète de la peinture pour rafraîchir les cellules, il faut deux jours pour traiter une cellule. Où est-ce que je mets les détenus, en attendant ? », pointe-t-il. « Non, mais là, ce n’est pas un coup de peinture qu’il faudrait, c’est revoir la ventilation et l’isolation… », souligne la députée Manon Meunier.

La surpopulation entraîne de nombreux problèmes de logistique. « Si vous avez besoin de séparer des personnes et que vous n’avez pas de place, c’est compliqué, souligne un surveillant. Quand je suis arrivé ici en 2011, on avait des cellules vides, on pouvait isoler les gens, entretenir les cellules, ce qu’on ne peut plus faire. »

L’établissement ferait régulièrement face à des invasions de punaises de lit, comme nous l’indique un autre détenu, Benjamin*. « Les premiers traitements, ça a été un surveillant avec des bombes insecticides, raconte-t-il. Et après ils ont fait appel à une société, mais on ne peut pas parler de traitement. » Des propos démentis par le directeur en direct, qui explique que la cellule a été évacuée et traitée pendant 48 heures « Une journée, oui », répond le détenu. « L’État dépense énormément d’argent, je ne vais pas vous dire combien, pour l’entretien de la maison d’arrêt », assène le chef d’établissement pour clore la conversation.

« Après il y a eu la gale, aussi, ajoute Benjamin. Parce que je ne sais pas si vous avez pu constater l’état des douches… » Dans les douches communes, séparées par des cloisons, le plafond est recouvert de moisissure. Selon les détenus, l’eau y est « bouillante le matin et froide le soir ». « On reçoit des gouttes sur la tête », remarque Damien Maudet lors de sa courte visite de la salle d’eau. Une fenêtre dans un coin de la pièce de quelques mètres carrés, fermée, est noircie de moisissure, condamnée « pour raisons de sécurité ».

Pas de réinsertion, ni de contact

La surpopulation s’accompagne évidemment d’un manque de place : la Maison d’arrêt étant située en plein centre-ville, ses murs ne sont pas extensibles. Les activités des personnes détenues sont donc limitées : l’espace est trop petit pour organiser des ateliers et leur permettre de travailler, des activités pourtant cruciales à la réinsertion.

La question de l’accès à Internet, interdit en prison, dans un monde de plus en plus digitalisé, se pose aussi pour préparer une éventuelle sortie. « On nous demande de monter des dossiers de réinsertion, de faire diverses choses, sauf qu’on ne peut rien faire, s’agace Benjamin. Ce n’est pas propre spécifiquement à la maison d’arrêt, c’est un problème national. »

La surpopulation pèse aussi sur personnel de l’établissement, en sous-effectif et qui ne parvient pas à recruter. « On s’interroge de plus en plus sur le sens du métier. La garde et la réinsertion, ça faisait partie du même package. Maintenant on n’est plus que gardes. On ouvre des portes, on ferme des portes. On n’a pratiquement plus le temps de discuter avec des détenus », déplore Vincent, surveillant et délégué syndical UFAP-UNSA Justice. Avant d’ajouter : « Aujourd’hui, n’y a plus de contact. La mission de garde et de réinsertion, ça allait de pair. Ça n’existe plus. »

* Les prénoms des personnes détenues ont été modifiés.

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