« Les premières années du mariage pour tous ont été d’une émotion incroyable »

Pour les dix ans de l’adoption du mariage pour tous en France, Jean-Luc Romero-Michel, adjoint à la maire de Paris et militant, raconte en tant qu’élu l’émotion des premières célébrations de mariages pour tous, après des décennies de lutte.

TÉMOIGNAGE - Quand j’avais vingt ans, je n’aurais jamais imaginé pouvoir me marier un jour. Encore moins, y compris dans mes rêves les plus fous, pouvoir moi-même célébrer des mariages entre des personnes de même sexe. Et pourtant, une trentaine d’années plus tard, en 2013, la loi sur le mariage pour tous a été adoptée. Dans les mois qui ont suivi, j’ai épousé mon conjoint Christophe et ai pu célébrer les unions d’autres couples, dans une émotion immense.

Il faut se souvenir qu’en 60, des élus parlaient de l’homosexualité comme d’un « fléau social ». En 68, aimer les personnes de même sexe était considéré comme une maladie mentale, et il faudra attendre les années 80 pour voir enfin l’homosexualité dépénalisée totalement. Je suis de cette génération qui a connu la difficile dépénalisation, qui a été inscrite dans des « fichiers homosexuels », qui a connu les contrôles de police dans les boîtes gays.

Je fais partie des personnes qui ont vu l’épidémie de VIH, qui vivent avec aujourd’hui, et qui ont vu leurs amis en mourir. Qui ont vu des gens se faire expulser des appartements conjugaux après le décès de leur partenaire, se faire exclure des enterrements par les familles. Après toutes ces épreuves et tout le travail des militants pour obtenir des droits pour les couples LGBT+, quand le mariage entre les personnes de même sexe a été reconnu par la République française, il peut sembler naïf de le dire, mais cela semblait sortir d’un conte de fées.

Fêter mon mariage et ceux des autres

Le jour même, j’ai demandé la main de mon conjoint. Il était plus jeune, et cette possibilité lui semblait presque naturelle - même s’il avait connu la manif pour tous et ses rassemblements massifs, cette opposition terrible de personnes à qui, pourtant, on n’enlevait aucun droit en en donnant aux autres. J’ai profité de chaque seconde de la journée de notre mariage, qui est sûrement la plus belle de ma vie. C’était extraordinaire, de pouvoir se marier.

En tant qu’élu municipal, j’ai quelques mois plus tard commencé à officier des unions, chose que je fais encore. Les premières cérémonies de mariages homosexuels, dans les années qui ont suivi l’adoption de la loi, avaient quelque chose de très marquant. Tous celles et ceux qui ont pu y assister, qu’ils soient gays, lesbiennes ou non, pourront en témoigner.

Les premiers mariages pour tous

Car dans les années qui ont suivi se sont mariées toutes les personnes qui n’avaient jamais pu le faire avant. S’il est rare, dans une vie d’élu, de célébrer des mariages de personnes âgées, à cette période-là, elles ont été très fréquentes. J’ai uni des hommes gays qui attendaient de pouvoir se marier depuis très longtemps, des couples de femmes lesbiennes de 80 ans qui n’auraient jamais pu imaginer se marier un jour, des militants et des militantes, des couples qui vivaient ensemble depuis 40 ou 50 ans et qui avaient dû se cacher pendant les trois quart de leur vie et qui là, devant leurs amis, leurs familles, voyaient leur couple reconnu et célébré par la République. Ils se voyaient enfin considérés par la société comme des citoyens et des citoyennes comme les autres. C’était d’une émotion absolument incroyable.

Pendant deux ou trois ans après la loi, nous avons vu beaucoup de pleurs de joie, beaucoup de discours émus pendant les cérémonies, qui rappelaient les combats des militants qui avaient mené à cette égalité de droits.

Bien sûr, à partir de 1999, il y a eu le PACS - qui était encore contracté au tribunal jusqu’en 2017, puis à la mairie sans obligation de cérémonie - mais il y avait quelque chose de spécial dans la symbolique du mariage. Être à la marie, avec le/la maire ou ses adjoints qui reconnaissent l’amour homosexuel comme aussi légitime que l’amour hétérosexuel, quand on sait les décennies de rejet qui l’ont précédé, et les LGBTphobies encore présentes dans notre pays, c’est un moment spécial, l’expérience d’une avancée impressionnante.

Un droit qui se transforme en acquis

Après les unions de celles et ceux qui avaient tant attendu, on observe aujourd’hui qu’une nouvelle habitude s’est créée, et nous célébrons de plus en plus de mariages de couples homosexuels pour qui il est tout à fait ordinaire de se marier. Ceux qui ont tout juste la vingtaine voient le mariage pour tous comme un événement plus lointain, et même si l’émotion est toujours présente, car même les plus jeunes sont conscients que l’interdit a existé, le mariage des couples de même sexe s’est banalisé.

Nombreux sont ceux qui s’opposaient à ce droit et qui reconnaissent aujourd’hui que leurs arguments étaient absurdes. Aujourd’hui encore, quand je célèbre des mariages, je vois des gens qui ont manifesté contre le mariage pour tous qui viennent me dire : « Finalement, on se demande pourquoi on a fait ça. On est au mariage de notre ami, de notre enfant ou de notre cousin, et on est heureux. »

C’est une évolution considérable de la société : en 10 ans, beaucoup de nos adversaires ont changé d’avis et en 2023, dans la vie politique, plus aucune personne sérieuse ne demande l’abrogation de cette loi. Bien sûr, la PMA pour toutes n’a pas été un moment politique facile, mais elle n’a pas suscité les émeutes que nous avons connues pendant les débats sur le mariage pour tous.

Ce que cette décennie nous a montré, c’est que quand on accorde des droits à celles et ceux qui en sont privés, cela profite à tout le monde car c’est la société qui s’élève.

Elle s’élève non seulement dans le droit et le respect des personnes, mais aussi au-delà de l’égalité juridique pure. Quand vous avez rejeté des personnes pendant si longtemps, les considérer comme des citoyens et citoyennes à part entière, c’est aussi un signal politique et philosophique qui n’arrive pas souvent, dans une République. Celui qui rappelle que dans notre société, personne ne doit être exclu.

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