Pourquoi la vaccination anti-HPV est si faible chez les garçons, pourtant eux aussi concernés

Lorsque le diagnostic survient, c'est la stupéfaction. En 2010, Guillaume, aujourd'hui âgé de 40 ans, apprend subitement qu'il est atteint d'une papillomatose laryngée, après avoir vu sa voix perdre en intensité en quelques mois, jusqu'à devenir ponctuellement aphone.

La papillomatose laryngée est une maladie virale rare affectant les cordes vocales et causée par une infection au papillomavirus, dont le jeune homme ignore à l'époque l'existence.

3 à 4 opérations tous les ans

"Ça a été la surprise. On se demande: 'Qu'est-ce que j'ai fait pour avoir ça?'", confie-t-il à BFMTV.com

La maladie, si elle ne devrait pas évoluer "a priori" de façon cancéreuse chez Guillaume, n'en est pas moins handicapante pour lui. "Il n'y a pas de traitement disponible", explique-t-il.

"La seule manière de supprimer les effets, c'est de supprimer les lésions au laser", une opération qu'il est contraint de réaliser trois à quatre fois par an depuis qu'il a été diagnostiqué, en subissant à chaque fois une anesthésie générale.

La maladie a par ailleurs eu de lourds effets sur la vie professionnelle de ce salarié de l'hôtellerie qui a dû multiplier les arrêts de travail, avant d'obtenir un statut de travailleur handicapé. Une situation difficile aussi à gérer dans la vie privée.

"Vous finissez par vous recroqueviller sur vous-même", faute de pouvoir mener normalement des conversations avec un groupe de personnes, confie-t-il.

Seulement 6% des jeunes garçons vaccinés

"Clairement, si, à 15 ans, on m'avait dit: 'Il faut faire le vaccin', je l'aurais fait", juge-t-il amèrement aujourd'hui, alors que va débuter ce lundi 2 octobre une campagne de vaccination contre le papillomavirus dans les collèges.

Car, si les vaccins contre les cancers sont rares, il en existe bien un permettant de réduire fortement les infections au papillomavirus humains, dites HPV, alors que plus de 6400 personnes développent tous les ans en France un cancer lié aux HPV, selon des données du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC).

Bien que la vaccination soit recommandée entre 11 et 14 ans, c'est-à-dire avant que les patients aient en général été exposés aux risques de transmission aux papillomavirus, le taux de couverture vaccinale reste faible en France.

Actuellement, selon l'Inserm, seulement 45,8% des jeunes filles de 15 ans et 6% des jeunes garçons du même âge étaient vaccinés contre les HPV fin 2021. La vaccination des jeunes garçons est donc particulièrement faible.

"Trop associé aux femmes"

Pour Laurence Rouloff, présidente de l'association de collecte de fonds pour la recherche sur les papillomavirus humains "Akuma", ce si faible taux de vaccination chez les garçons s'explique d'abord par une méconnaissance sur le sujet.

"On associe trop le vaccin HPV aux cancers des femmes", estime-t-elle auprès de BFMTV.com

Elle-même se souvient des réactions en classe lorsqu'elle a lancé, avec son association, ses premières séances de sensibilisation sur la question dans des collèges, en 2021.

"Les garçons élèves de 3e étaient étonnés de savoir qu'ils étaient concernés aussi. Ils savaient qu'ils étaient porteurs et qu'ils pouvaient potentiellement transmettre, mais ils pensaient que le HPV, c'était le cancer du col de l'utérus", explique-t-elle.

"Je ne savais pas que ça existait aussi pour les garçons"

Habitante de Seine-et-Marne, Delphine, professeure d'arts plastiques et mère d'un jeune adolescent de 14 ans, reconnaît avoir elle aussi longtemps cru que son fils Louis (le prénom a été modifié) n'était pas concerné.

"Je connaissais l'existence du vaccin pour les filles, mais je ne savais pas que ça existait aussi pour les garçons", concède-t-elle à BFMTV.com, indiquant avoir pris connaissance du vaccin lors d'une banale conversation avec sa soeur, journaliste.

Rapidement, elle décide d'en parler avec Louis qui se montre tout de suite ouvert à cette idée. "C'était comme une évidence", assure-t-elle, indiquant avoir voulu "le responsabiliser en tant que garçon et futur homme vis-à-vis de ses futur(e)s partenaires". L'élève de classe de troisième a ainsi reçu une première dose il y a six mois et la seconde en cette rentrée de septembre.

Pas seulement le cancer du col de l'utérus

De fait, contrairement aux idées préconçues, le vaccin anti-HPV ne prévient pas seulement les cancers du col de l'utérus. Il permet aussi d'agir contre les cancers de la voie orale comme la gorge ou les amygdales, les cancers du pénis, de l'anus, ou encore de la vulve et du vagin.

Les hommes peuvent donc être touchés eux aussi et le phénomène serait même massif. Près d'un tiers des hommes de plus de 15 ans (31%) sont de fait porteurs d'une forme de HPV, d'après une étude de la revue médicale The Lancet, publiée le 16 août dernier, et menée dans 35 pays, et 21% d’entre eux sont porteurs d’une HPV à haut risque, qui favorise le développement de tumeurs.

"On n'en a pas suffisamment parlé", reconnaît à ce sujet auprès de BFMTV.com le professeur Norbert Ifrah, président de l'Institut national du cancer (INC).

Sur son site, l'Académie nationale de médecine souligne elle aussi que l'insuffisance de la vaccination chez les garçons s'explique en partie en raison de la "stratégie décennale de lutte contre le cancer (2021-2030) surtout orientée sur la prévention des cancers du col utérin, donc limitée aux filles". En France, la vaccination est ainsi officiellement recommandée depuis 2007 pour les filles, mais seulement depuis 2021 pour les garçons.

Une nécessaire "couverture vaccinale"

Par ailleurs, les garçons, et ensuite les hommes adultes, sont eux aussi concernés par la prévention du cancer de l'utérus.

"Lorsqu'on recommande la vaccination des garçons, c'est d'abord pour les protéger, mais aussi pour protéger l'ensemble de la population car il faut que bien plus de 50% de la population soit vaccinée pour assurer une couverture vaccinale", explique le professeur Norbert Ifrah.

Hommes ou femmes, la vaccination anti-HPV apparaît donc primordiale pour tenter de freiner la propagation des infections aux papillomavirus, d'autant que "le préservatif (qui) est très efficace pour le sida et les IST (infections sexuellement transmissibles), n'est pas suffisant pour les HPV", rappelle le médecin. Les HPV peuvent en effet se transmettre par un simple contact peau à peau.

Tous les hommes concernés

Autre cliché, qui a pu contribuer à la faible couverture vaccinale, l'idée selon laquelle elle ne concernerait pas tous les hommes.

"Pendant longtemps, les gens ont cru que la vaccination des garçons était réservée aux hommes qui ont des relations sexuelles avec des hommes. Il faut battre en brèche cette idée", martèle le président de l'INC.

En recommandant la vaccination, en rattrapage, jusqu'à l'âge de 26 ans pour les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, et seulement jusqu'à l'âge de 19 ans pour le reste de la population, les institutions sanitaires ont pu elles aussi contribuer à alimenter cette idée, selon le médecin.

Battant en brèche une idée reçue, le professeur souligne que la majorité des nouveaux cas de cancer de l'anus concerne, non pas des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, mais des femmes. 1532 femmes étaient concernées contre 479 hommes, sur 2011 cas, en 2018, indique l'Institut national du cancer.

Un dépistage complexe

Alors que le taux de vaccination chez les hommes reste faible, la nécessité de la vaccination est d'autant plus prégnante chez ce public en raison de spécificités liées à l'anatomie masculine.

"On ne sait pas dépister le HPV chez les garçons. On n'a pas d'équivalent en termes d'efficacité du frottis chez les hommes", souligne le professeur Norbert Ifrah.

Le dépistage, systématisé chez les femmes qui ont, en général, l'habitude de consulter régulièrement un gynécologue, permet de repérer des lésions pré-cancéreuses. Ces dernières peuvent non seulement évoluer en cancer, mais chaque année, 25.000 à 30.000 cas de lésions pré-cancéreuses justifient également des traitements chirurgicaux.

Article original publié sur BFMTV.com