"La fracture démocratique sera considérable" : pourquoi la réforme des retraites pourrait embraser la suite du quinquennat

Les numéros 1 des syndicats qui composent l'intersyndicale, à Paris, le 11 mars 2023. (Photo by Emmanuel DUNAND / AFP)
Les numéros 1 des syndicats qui composent l'intersyndicale, à Paris, le 11 mars 2023. (Photo by Emmanuel DUNAND / AFP)

Les conséquences de la gestion de la réforme des retraites pourraient être calamiteuses pour la suite du quinquennat.

"Depuis le premier jour de la mobilisation, nous n'avons pas été reçus une seule fois par un quelconque ministre. Si la semaine prochaine, on a une invitation pour parler d'un autre sujet avec l'exécutif, on dira : 'Vous vous moquez de nous ?'", a déclaré Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, sur RTL.

Un boycott du dialogue social avec le gouvernement évoqué alors que l'intersyndicale avait demandé au président de la République d'être reçue après la mobilisation record du 7 mars, accusant Emmanuel Macron de rester sourd face à la mobilisation contre ce texte. En vain.

"Il faudra du temps pour recoudre les plaies"

"Le dialogue social ressortira sérieusement blessé, il faudra du temps pour recoudre les plaies. La surdité du pouvoir vis-à-vis des syndicats laissera des traces. Si les syndicats attachés au dialogue maintiendront le contact, il faudra au moins quelques semaines avant qu'ils ne retournent à la table des négociations, personne ne comprendrait que les syndicats aillent discuter d'autres sujets après un tel déni de leur rôle social", estime Jean-Marie Pernot, politologue, chercheur à l'Institut de Recherches Economiques et Sociales (Ires).

Un boycott qui pourrait mettre en péril les prochaines lois portant sur le travail dont la loi "Plein emploi", qu'Olivier Dussopt doit présenter d'ici à l'été, et présentée comme un contre-feu du gouvernement à sa réforme des retraites.

Depuis 2017, le fossé se creuse entre la CFDT et Macron

Samedi, avant la septième journée de mobilisation contre la réforme des retraites, Laurent Berger mettait en garde : "Un 49.3 serait un vice démocratique, derrière il y aurait beaucoup de choses à faire pour réparer la société, la cohésion sociale, et le ressentiment qui montera indéniablement chez les salariés" prévenait le leader de la CFDT.

Une tension grandissante entre Emmanuel Macron et la CFDT qui remonte à plusieurs années, rappelle Jean-Marie Pernot. "Le raidissement des relations avec la CFDT date des ordonnances Macron, qui a été l'arme de destruction massive de l'implantation des syndicats. Pendant la présidentielle 2017, le candidat Macron avait dit que les syndicats faisaient trop de politique et que leur rôle devait être cantonné aux négociations d’entreprise et de branche. Ça a été le début du fossé qui s'est creusé entre l'Elysée et la CFDT", poursuit le politologue.

"Une partie de l'avenir démocratique se joue en ce moment"

"Il y a un déséquilibre, tout vient de l'Elysée. Matignon, la majorité, les syndicats ne sont pas pris en compte. Cette 'violence', prépare la victoire de Marine Le Pen en 2027, et lui laissera un système avec un Elysée puissant ,sans contrepouvoir. De cela, le pays en a conscience, ce qui explique sans doute le degré de crispation autour de la réforme. Une partie de l'avenir démocratique se joue en ce moment, c'est ce qui explique la radicalité de Laurent Berger, qu'on ne lui connaissait pas jusqu'à présent", analyse Philippe Moreau-Chevrolet, spécialiste en communication politique.

Une réforme qui pourrait laisser des traces et décider en partie de l'avenir politique du pays. "Ça donne l'image d'un pays qui vit une crise démocratique profonde. Le chef de l'État dirige sans soutien parlementaire, contre l'opinion publique et contre l'arc syndical. Cela aura des conséquences politiques", redoute Jean-Marie Pernot.

"La fracture démocratique sera considérable"

"Si la réforme passe, ce sera une victoire à la Pyrrhus, c'est-à-dire que le prix de cette réforme sera tel qu'il équivaut à une défaite : les syndicats auront été outrepassés, le président aura décidé seul, c'est la destruction du dialogue social, remplacé par le mépris vis-à-vis des syndicats, de l'opposition, de l'opinion. La fracture démocratique sera considérable et la suite du quinquennat se fera dans un climat de tension extrême", redoute le spécialiste ne communication politique.

Pour être adoptée, la réforme des retraites passera en commission mixte paritaire mercredi, d'où un texte commun devrait sortir, et être soumis au vote du Sénat, puis de l'Assemblée nationale jeudi, où la majorité est loin d'être acquise. En cas d'incertitude, le gouvernement pourrait avoir recours à l'article 49.3 de la Constitution pour faire adopter la loi sans le vote de l'Assemblée, pour la onzième fois depuis l'arrivée d'Élisabeth Borne à Matignon.

VIDÉO - "On peut faire fléchir le gouvernement" : à Paris, les manifestants contre la réforme des retraites croient à la réussite du mouvement