Pourquoi le premier "discours du trône" de Charles III va être très scruté
L'événement est aussi solennel qu'historique. Charles III prononce ce mardi 7 novembre à 11h30 son premier "king's speech", discours du roi, en tant que souverain, face aux deux chambres du Parlement britannique, dans la chambre des Lords au palais de Westminster.
"C'est un discours qui sera remarqué dans la mesure où c'est le premier qu'il réalise en tant que souverain", note l'historien spécialiste du Royaume-Uni Philippe Chassaigne.
Car si Charles a déjà assuré ce discours, également appelé "discours du trône", en mai 2022, c'était en tant que prince de Galles, en remplacement de sa mère, la reine Elizabeth II dont la santé déclinait.
Ce discours fait partie d'une cérémonie, qui marque l'ouverture officielle du Parlement. Si cette cérémonie se tient généralement en mai ou juin, elle peut aussi avoir lieu à d'autres moments de l'année, en fonction du renouvellement de la Chambre des communes. Cette cérémonie permet au gouvernement de présenter son programme pour l'année à venir.
Les médias guettent tout signe d'un éventuel désaccord
"Le roi assure là son rôle de chef d'État, mais c'est le Premier ministre et le gouvernement qui écrivent le discours", souligne Philip Turle, chroniqueur international à France 24, rappelant qu'au moment du Brexit, la reine, qui n'était pas forcément d'accord avec ce choix avait dû lire le discours écrit par Boris Johnson.
Certains médias britanniques ont à l'époque voulu voir dans la tenue de la reine, un tailleur bleu, la couleur de l'Europe, et surtout dans son chapeau émaillé de fleurs au cœur jaune qui évoquaient les étoiles du drapeau européen, un message caché de la souveraine, lisant un texte auquel elle n'adhérait pas.
"Les observateurs ont à ce sujet des avis très différents, note pour sa part Philippe Chassaigne. Certains étaient persuadés qu'elle était pour le Brexit, et qu'elle n'était pas mécontente de voir le Royaume-Uni quitter l'Union européenne".
Pour le premier discours du trône de Charles en tant que roi, les médias guettent tout signe d'un éventuel désaccord avec la politique du gouvernement de Rishi Sunak.
"Les caméras seront là pour enregistrer toute réaction involontaire et tout signe de désaccord, alors qu'il s'est entraîné toute sa vie à faire en sorte qu'il n'y en ait pas", estime ainsi Skynews.
Mais si Charles s'est beaucoup exprimé sur différents sujets qui lui tiennent à cœur lorsqu'il était prince de Galles, "c'est plus compliqué pour lui en tant que roi de montrer qu'il n'est pas en adéquation", note Philip Turle.
"Ce qui garantit la survie de la couronne depuis un siècle et demi, c'est qu'elle est au-dessus des partis et de la lutte politique au quotidien", souligne également Philippe Chassaigne.
Un discours de pré-campagne électorale
Ce rituel politique sera en outre particulièrement scruté à l'approche des élections. S'il s'agit là du premier discours rédigé par Rishi Sunak, c'est aussi le dernier de la mandature des conservateurs avant les prochaines élections législatives, qui doivent se tenir d'ici à janvier 2025.
"C'est un programme de pré-campagne électorale, estime Philippe Chassaigne. Rishi Sunak va sans doute y mettre l'accent sur la sécurité, pour plaire au courant traditionnel du parti conservateur".
Or, "lorsqu'il était prince de Galles, Charles s'est plutôt montré en faveur d'une approche de réinsertion des jeunes en difficulté. Les idées de Charles, on les connaît, ce sont les idées de quelqu'un de centre gauche, sur une ligne comparable à celle des libéraux démocrates."
Et puis le discours doit également, selon les médias britanniques comporter un volet sur les licences pétrolières et gazières. Rishi Sunak a déjà annoncé vouloir attribuer de nouvelles licences d'exploitation et de forage d'hydrocarbures en mer du Nord et le discours du trône devrait prévoir d'inscrire dans la loi l'examen de potentielles licences tous les ans.
Ces mesures prises au nom de la sécurité énergétique sont vivement critiquées par les militants écologistes. Elles risquent également de déplaire au monarque, engagé depuis des années en faveur de l'environnement et qui s'exprimera à l'ouverture de la conférence de l'ONU sur le climat COP28 début décembre.
Cérémonie ultra-codifiée
Enfin, le discours du trône s'accompagne d'une de ces cérémonies ultra-codifié, dont la monarchie parlementaire britannique a le secret. Avant l'arrivée du monarque au palais de Westminster, les "Yeomen of the Guard", plus ancien corps militaire de l'armée britannique, en fouillent les caves à la recherche d'explosifs, pour commémorer le "complot des poudres" de 1605. Des catholiques avaient alors voulu faire sauter le Parlement où le roi protestant Jacques Ier était venu prononcer ce discours. A l'arrivée du cortège, le roi, coiffé de la couronne impériale d'apparat, prend place dans la Chambre des Lords. Lors des dernières années de son règne, la reine Elizabeth II avait abandonné les "regalia", la couronne, devenue trop lourde pour elle, et le manteau d'hermine. Pendant ce temps, un député est symboliquement "retenu en otage" au palais de Buckingham, pour assurer "le retour sain et sauf du roi".
Le gentilhomme huissier de la verge noire ("Black Rod") s'en va alors mander les députés de la Chambre des Communes, où on lui ferme symboliquement la porte au nez, un signe d'indépendance vis-à-vis de la monarchie. Elle lui est finalement ouverte pour permettre le passage des élus.