Pourquoi « Club Zero » à Cannes va forcément plaire à Ruben Östlund, le président du jury

Les adolescents de « Club Zero » de Jessica Hausner, présenté en compétition au Festival de Cannes 2023
Les adolescents de « Club Zero » de Jessica Hausner, présenté en compétition au Festival de Cannes 2023

CANNES - Des enfants qui arrêtent de manger et la société vacille : le Festival de Cannes s’est mis au régime sec ce lundi 22 mai avec Club Zero, une satire cynique que ne renierait pas le président du jury Ruben Östlund.

Le film, qui s’ouvre avec un avertissement le déconseillant aux personnes qui ont pu souffrir de troubles de l’alimentation, contient une scène de vomi explicite. Elle réussit l’exploit d’être encore plus écœurante que celle -interminable- que le Suédois avait offert l’an dernier aux festivaliers dans le bateau de Sans Filtre, qui a remporté la Palme d’or. À la critique sociale de 2022, Jessica Hausner répond en ajoutant une forme de violence symbolique.

Club Zero se déroule dans un prestigieux établissement scolaire d’un pays européen non identifié. Il tourne autour d’un groupe d’adolescents sous l’influence de Mme Novak, jouée par Mia Wasikowska, une professeure qui prône « l’alimentation consciente », jusqu’à se priver totalement de nourriture et mettre la vie de tous les élèves en jeu.

« Alimentation consciente » et vomi

Dans la scène en question, les parents d’une ado prénommée Elsa la retrouvent dans sa chambre devant une assiette vide sur son plateau-repas. Ils se réjouissent qu’elle ait enfin mangé et la croient même sauvée. Mais la jeune Elsa prend un malin (et malsain) plaisir à leur prouver qu’ils ont tort.

Répétant que la société nous conditionne à manger n’importe quoi, et que « les gens mangeraient du vomi » si on leur disait de le faire, elle met un doigt au fond de sa gorge et régurgite son repas directement dans l’assiette, le regard planté dans celui de ses parents estomaqués.

La scène avait déjà de quoi faire fuir les plus sensibles, mais la réalisatrice l’a poussée encore plus loin. Comme pour mettre en application son argumentation, l’adolescente prend sa fourchette et mange ce qu’elle vient de vomir. Chaque bouchée, bien que difficile à avaler, semble renforcer sa volonté et forcer le respect de ses parents. Et le plus choquant dans cette scène est peut-être leur réaction, ou plutôt leur absence de réaction.

« La nutrition est un moyen de montrer les codes et les règles qui régissent notre société », a expliqué la réalisatrice Jessica Hausner à l’AFP. « Lorsque, dans un dîner, une personne ne mange pas, les autres se sentent coupables ou offensés. Cela montre comment les règles (alimentaires) sont strictes et importantes dans la société ».

La scène difficile à supporter « n’est pas là pour mettre les gens mal à l’aise. C’est pour montrer comment fonctionne la radicalisation », a-t-elle ajouté.

Ce long-métrage, dans son ensemble, dénonce l’embrigadement et le sectarisme, tout en ironisant sur les névroses des sociétés contemporaines, les carences éducatives des familles aisées, l’inertie face au changement climatique ou l’obsession du « manger sainement ».

« Parfois, je me compare à quelqu’un qui viendrait d’une autre planète, qui nous regarde et (j’imagine) ce que cette personne penserait », a raconté la réalisatrice autrichienne.

« Sous influence »

Au-delà des troubles alimentaires et des dérives sectaires, le film illustre aussi les angoisses des plus jeunes générations, confrontées au changement climatique et aux inégalités. « Je pense toujours que, si j’étais une adolescente maintenant, je serais tellement nerveuse avec le monde dont nous héritons », a déclaré Mia Wasikowska à l’AFP.

« J’ai trouvé émouvant que ces enfants prennent ce cours parce qu’ils se soucient de la planète. Beaucoup d’entre eux veulent manger moins de viande et être plus conscients. C’est ce qui est beau dans la jeunesse. Mais tout cela devient corrompu, sous influence. »

Pour préparer le film, Jessica Hausner et l’actrice vue dans l’Alice au Pays des Merveilles de Tim Burton ont fait des recherches sur les cultes et les sectes. Pour la réalisatrice, l’enseignante devait être sincère dans ses croyances, plutôt qu’une manipulatrice. « C’est une vraie croyante et elle croit vraiment faire ce qu’il faut », a décrit Wasikowska.

Les enfants et Mme Novak « commencent à croire en quelque chose que nous considérerions normalement comme faux et fou. Il est très difficile d’accepter que les gens croient sincèrement en des idées dévastatrices ou destructrices », a poursuivi Jessica Hausner.

Son dernier long-métrage, Little Joe, était en compétition à Cannes en 2019 et avait notamment valu un prix d’interprétation à l’actrice Emily Beecham. Club Zero fera-t-il mieux ? Réponse ce samedi 27 mai lors de la cérémonie de clôture.

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